Déclaration de Bernard Defrance,
administrateur de la section française de Défense des Enfants International
Conférence de presse du mercredi 24 mars 2021
organisée en soutien à Hélène Careil, institutrice,
victime d’une sanction en pleine année scolaire, sous forme de « mutation d’office ».
Madame, monsieur, amis,
Quelques précisions en préalable sont nécessaires : tout d’abord, il est parfaitement clair pour tous que cette sanction vise à casser le travail pédagogique engagé depuis de longues années à l’école République de Bobigny, sous la direction de Véronique Decker. Pédagogie coopérative visant à répondre avec efficacité aux exigences la Convention internatinale relative aux Droits de l’Enfant (CIDE).
Ensuite, je n’interviens pas ici sur les aspects proprement professionnel de la situation infligée à Hélène Careil : c’est du ressort des syndicats et nul doute que tous les recours nécessaires seront exercés. Je n’interviens pas non plus pour faire entendre la voix des parents dont les enfants ont à subir cette décision : cela reste du ressort des associations de parents et là aussi nul doute qu’elles joindront leur voix aux protestations contre cette mesure hiérarchique radicalement injustifiable.
Enfin, je n’interviens pas non plus sur les aspects, disons psychologiques (!) de cette affaire qui n’est rien d’autre qu’une basse vengeance exercée par une petite cheffesse, qui se précipite à manifester sa servilité à l’égard de la politique systématique de destruction de notre système éducatif entreprise par celui qu’un de vos confrères a, dans un réquisitoire impitoyable, qualifié d’« Attila des écoles », lâche vengeance exercée dès que celle qui pilotait ce travail pédagogique exemplaire a pris sa retraite.
J’interviens principalement ici pour rappeler que la voix des enfants eux-mêmes peut et doit être entendue par des responsables… irresponsables ! En effet, comme vous le savez, mais il est toujours nécessaire de le rappeler, les deux différences entre les Déclarations des droits de l’enfant (Société des Nations, 1924, ONU, 1959) qui avaient précédé l’adoption de la Convention dite de « New-York » en 1989 , sont que :
– d’une part, les déclarations antérieures n’avaient pas de force légale contraignante en droit interne, alors que la Convention, elle, s’impose juridiquement aux États-parties (article 55 de la Constitution française) ;
– d’autre part, à côté des droits-créances déjà énumérés dans les déclarations précédentes, la Convention reconnaît à l’enfant la capacité progressive d’exercice des droits-libertés.
Ainsi la Convention se structure en deux ensembles de droits : les droits à... et les droits de… Les droits-créances se déclinent de manière négative (le droit à ne pas être maltraité de quelque manière que ce soit, soumis à peines dégradantes, etc.) et de manière positive (droit à l’identité, à l’éducation, aux loisirs...) : ils se traduisent en devoirs et obligations des adultes à l’égard des enfants. Quant aux droits-libertés, énoncés dans les articles 12 à 15, ils reconnaissent aux enfants, selon leur degré de maturité, la capacité à exercer eux-mêmes, directement ou par l’intermédiaire de représentants, certaines libertés, d’expression libre, de réunion et d’association. Cela signifie désormais qu’une institution ou une association qui accueille des enfants est juridiquement tenue de mettre en place des procédures de participation progressive des enfants à toutes les décisions qui les concernent, et que, si elles ne le font pas, elles sont hors-la-loi. Au regard des exigences de la Convention, nous devons constater que notre système éducatif est en quasi-totale infraction, que les enfants n’y ont quasiment aucun pouvoir réel, qu’un enfant de maternelle – sachant la pédagogie des écoles maternelles encore en vigueur, et gravement menacée – a plus de pouvoir sur son quotidien qu’un élève de terminale qui doit encore demander l’autorisation d’aller faire pipi…
Les pédagogies coopératives n’ont pas seulement l’intérêt de permettre l’épanouissement des enfants et leurs réussites scolaires, mais aussi de constituer de véritables écoles de démocratie, d’apprentissage citoyen ; et nous savons tous quelles sont les urgences à cet égard, sachant que, notamment ici en Seine-Saint-Denis, nous avons des enfants originaires de toute la planète, de toutes les cultures et religions : il s’agit alors d’apprentisage des valeurs universelles des droits humains par leur mise en pratique même dans le quotidien le plus banal de la vie des enfants.
De toute évidence, ce projet démocratique, ces valeurs portées par la Convention déplaisent à un très grand nombre de décideurs divers, ancien « bons élèves » qui prétendent infliger leurs idéologies perverses et destructrices.
Nous pouvons donc désormais justifier ces pédagogies coopératives, pas seulement au regard de leurs réussites pour les enfants, mais au regard du droit. Et donc : « Désolé, Madame l’inspectrice primaire, mais vous êtes hors-la-loi, et vous ne pouvez pas l’ignorer, puisque vous êtes majeure et que nul n’est censé ignorer la loi. »
Dans l’affaire présente, ici à Bobigny, notre droit permet à tout enfant victime des conséquences de la punition infligée à leur maîtresse, de saisir lui-même directement le juge des enfants en demande de protection contre les maltraitances que leur font subir des adultes qui trahissent leur mission éducative. C’est ici une suggestion : que chaque enfant concerné qui le souhaite écrive au juge, avec copie aux instances hiérarchiques de l’Éducation (encore, malgré tout…) nationale, et diffusion dans les médias.
Et si leurs requêtes de levée de cette punition imbécile qui frappe leur maîtresse n’aboutissaient pas aux différents étapes de recours, il leur resterait la possibilité de saisir le Comité des experts des droits de l’Enfant de l’ONU, puisque vous le savez – voyez les actions d’enfants en cours à travers le monde sur la question climatique – depuis la ratification du troisième protocole facultatif, les enfants peuvent porter plainte auprès du Comité si les recours internes n’aboutissent pas.
Chers amis, comme vous le voyez, la bataille dépasse ici le seul cas d’Hélène : par cette résistance aux décisions nuisibles, par ce refus légitime d’une pseudo-légalité bureaucratique, Hélène rend service à tous les éducateurs qui refusent de se plier aux injonctions – désormais illégales depuis la Convention – des petits maîtres de la place.
Nous ne pouvons qu’exiger la levée de cette sanction et souhaiter que ses élèves retrouvent rapidement leur maîtresse Hélène.
Merci de votre attention.