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    Petite fille ... et les droits de l’Enfant

    jeudi 24 décembre 2020

    Petite fille et la défense des droits de l’enfant

    L’émotion et les louanges que le film « Petite Fille » a provoqué (TTT, Télérama, entre autres commentaires) nous amènent à le considérer sous l’angle de la défense des droits des enfants et de leur intérêt supérieur à l’intégrité physique et morale : nous devons formuler les critiques les plus fermes sur la présentation édénique du processus que décrit « Petite Fille » qui hypothèque gravement l’avenir de cet enfant.

    Qu’on soit LGBT ou pas, c’est le droit de chacun. Mais un enfant de moins de sept ans ? Les parents peuvent fantasmer, imaginer que leurs enfants seront polytechniciens, carmélites, violoniste de talent, ou n’importe quoi. Mais aucun enfant n’a un droit acquis à être Mozart. On peut souhaiter être pompier ou maîtresse à quatre ans (et vouloir épouser maman et tuer papa, ou le contraire) et changer d’avis plus tard pour finir médecin, actuaire, agent d’entretien, voire cinéaste... Parce que la vie n’est pas ce que l’on imaginait à quatre ans. Accepter ces limitations (on n’épouse pas ses parents…) fait partie des « frustrations maturantes ».

    Un petit garçon de sept ans se voudrait fille. Le veut-il vraiment, lui ? Ou est-ce seulement le reflet du désir de sa mère ? En tous cas, c’est le souhait de sa maman, et, dit-elle, « le combat de sa vie ». Et c’est ce qu’il dit, lui, à sept ans. Mais ce qu’il en disait beaucoup plus jeune, dès trois ans, nous ne le saurons que par ce qu’en dit la mère... À la fin du film, Sacha a huit ans, il se vêt et se vit en fille, et, de chrysalide du début, il devient papillon : il danse avec des ailes postiches. Ce n’est pas un vrai papillon, et que deviendra la petite fille à l’avenir ?

    Le médecin qui reçoit Sasha, sa mère, son père et son grand frère, explique à Sasha qu’il va falloir rencontrer l’endocrinologue qui prescrira des bloqueurs de puberté « pour éviter que les signes que tu n’as pas envie de voir apparaître apparaissent ». Et aux parents qu’il faudra voir comment préserver sa fertilité, c’est-à-dire conserver des spermatozoïdes fonctionnels avant une castration définitive « en faisant maturer les testicules immatures in vitro ». (56-57’). Il ne s’agit plus simplement de maquillage, de vêtements roses, et de faire de la danse avec les filles : on est entré dans le vif du sujet. Et ces mots techniques sont prononcés devant Sasha, dont on peut se demander ce qu’il-elle en comprend vraiment.

    Et le droit ?

    Changer de sexe si on veut, mais comme adulte. Pour changer de sexe à l’État civil, il faut être majeur ou mineur émancipé (article 61 – 5 du Code civil depuis 2016).
    Pour ce qui est des traitements et du corps même, c’est plus difficile : une personne ne peut pas être contrainte à subir une atteinte à son corps. Le consentement libre et éclairé de l’individu est toujours nécessaire. La parole de l’enfant doit certes être prise en compte – ce qui ne veut pas dire qu’il faut lui obéir – quand il est capable de discernement. Pour un changement de sexe, ce n’est pas le cas à trois ans, ni à cinq, ni à huit.
    Pour consentir à une castration, en dehors d’une urgence médicale caractérisée, voici ce que disent les textes. Nous sommes ici dans le même cas :
    D’abord le code civil :

    • Article 16 : La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie.

    • Article 16-1 Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable.

    • Article 16-2 : Le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci, y compris après la mort.

    • Article 16-3 : Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. 

    On passe alors aux dispositions du code de la santé publique : les prescriptions ici formulées pour le don d’organe valent également dans le cas présent. Il faut le consentement préalable du donneur. ..
    (article L 1211-2 CSP) ; aucun prélèvement d’organes, en vue d’un don, ne peut avoir lieu sur une personne vivante mineure ou un majeur protégé
    (’Article L1231-2 CSP), et même pour les majeurs, le consentement nécessite un formalisme très précis
    (article L 1231-1 CSP) :
    - le donneur, doit être préalablement informé par le comité d’experts mentionné à l’article L. 1231-3 des risques qu’il encourt, des conséquences éventuelles du prélèvement ;
    - le consentement au don doit être exprimé devant le président du tribunal judiciaire qui s’assure que le consentement est libre et éclairé et que le don est conforme aux conditions prévues...

    Donc l’avis de Sasha pendant sa minorité n’aura aucune influence pour aller au terme du traitement. La parole d’un enfant de huit ans n’a donc en l’espèce aucune portée puisqu’il est présumé légalement ne pas avoir atteint la maturité nécessaire. Mais, dans l’intervalle, les traitements hormonaux subis peuvent avoir des conséquences définitives. Sur la technique médicale et les conséquences des traitements, le jugement "Bell vs Tavistock" (voir ci-après) apporte beaucoup d’éléments.

    Que dit la CIDE ? quels "intérêt supérieur" de cet enfant-là à changer de sexe faudrait-il respecter ou faire prévaloir ?

    On invoque aujourd’hui « l’intérêt supérieur de l’enfant » à toutes les sauces pour tenter de justifier ce qui correspond en réalité à ses idées, voire son idéologie.
    Constituent seuls des intérêts supérieurs de l’enfant ceux qui figurent dans des normes « supérieures » (conventions internationales, déclaration universelle ou européenne des droits, Constitution, etc.) et au premier chef de ces normes supérieures figurent les dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).

    Article 8-1 : Les États parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu’ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale.

    et 8-2 : Si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité les États parties doivent lui accorder une assistance et une protection pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible.
    Dès lors, comment soutenir que le changement de sexe constitue « la préservation de l’identité », puisqu’il est justement question de modifier fondamentalement cette identité ?

    Article 12 - 1 : Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
    Ce texte est repris en droit français interne par l’article 388 – 1 du Code civil. L’enfant ainsi entendu a droit à l’assistance d’un avocat. Mais on a vu (article 1231 –1 supra) que le consentement du mineur est ici sans influence.

    Article 16 - 1 : Nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
    Dès lors, les parents pouvaient ils consentir à ce documentaire ? Leur nom est entendu à plusieurs reprises. Le secret médical de Sasha est totalement perdu de vue. Pourra-t-il, s’il le souhaite un jour, bénéficier d’un « droit à l’oubli » ?

    Article 19 - 1 : Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.

    Et donc on peut se demander si le film ne constitue pas une telle violence. D’autant que la mémoire infinie des réseaux sociaux ramènera probablement ce film sur les écrans lorsque Sasha sera adulte, et cela quel que soit son choix à ce moment-là.

    En ce qui concerne le droit de Sasha à son image, en l’état, il n’existe pas de délit puisque les parents ont à l’évidence consenti au film. Mais quel sera le regard de Sasha sur lui-même dans des années pas vraiment lointaines... ?

    La loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne aurait pu s’appliquer. Mais elle n’entrera en vigueur que le 20 avril prochain... Il fallait donc se dépêcher ! Coïncidence ?

    L’exemple anglais "Bell vs : Tavistock"

    En Angleterre la clinique Tavistock a développé des procédures de changement de sexe de mineurs qui sont passés de quelques dizaines à plusieurs centaines, mais avec de nombreux cas de « regrets » ultérieurs malheureusement irrattrapables. L’une des patientes, K. Bell a contesté ce processus dont elle s’estime victime.
    La question du consentement aux soins était ici primordiale. Le fondement juridique n’était pas la CIDE, mais l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (protection de la vie privée et familiale).

    Le protocole "médical" consiste à administrer d’abord des bloqueurs de puberté puis des hormones croisées (cross-sex hormones) à partir de 16 ans environ puis vient une phase de chirurgie, après 18 ans. En 2019 sur 161 enfants à qui on a prescrit des bloqueurs de puberté, 26 avaient 13 ans ou moins et 95 avaient moins de 16 ans.
    Le 1er décembre 2020 trois juges, dont la présidente de la Chambre civile (Queen’s Bench Division), un juge femme et un homme ont rendu une décision unanime. C’est une décision majeure. 

    Pour les détails, voir article du Figaro : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/les-enfants-sont-dans-l-incapacite-de-donner-un-consentement-valable-aux-traitements-de-transidentite-20201204?fbclid=IwAR0ksJN37lUr4nioJ1P2M5_aVrub77B41qk3Mkbaxkik7Iywj2qVIWVO85E
    et pour la discussion scientifique de la question (en anglais) https://www.judiciary.uk/wp-content/uploads/2020/12/Bell-v-Tavistock-Judgment.pdf

    Voici ce que conclut ce jugement :

    151. Un enfant de moins de 16 ans ne peut consentir à l’utilisation de médicaments destinés à supprimer la puberté que s’il est capable de comprendre la nature du traitement. Cela inclut la compréhension des conséquences immédiates et à long terme du traitement, le peu de preuves disponibles quant à son efficacité ou son but, le fait que la grande majorité des patients procèdent à l’utilisation d’hormones sexuelles croisées et ses conséquences potentielles sur la vie d’un enfant. Il sera extrêmement difficile pour un enfant de moins de 16 ans de comprendre et d’évaluer ces informations et de décider s’il doit consentir à l’utilisation d’un médicament bloquant la puberté. Il est très peu probable qu’un enfant de 13 ans ou moins soit en mesure de donner son consentement à l’administration de bloqueurs de puberté. Il est douteux qu’un enfant âgé de 14 ou 15 ans puisse comprendre et peser les risques et les conséquences à long terme de l’administration de bloqueurs de puberté.

    152. En ce qui concerne les jeunes âgés de 16 ans et plus, il existe une présomption qu’ils ont la capacité de consentir à un traitement médical. Compte tenu des conséquences à long terme des interventions cliniques en cause dans cette affaire, et étant donné que le traitement est encore novateur et expérimental, nous reconnaissons que les cliniciens peuvent très bien considérer ces cas comme des cas où l’autorisation du tribunal doit être demandée avant de commencer le traitement clinique.
    Sous réserve de différences de procédure, les juges anglais proposent donc une solution concrète proche de celle utilisée en France pour les dons d’organes.

    En conclusion, et pour en revenir au documentaire de Sébastien Lifhsitz, en invoquant l’écoute et le respect de la parole d’un enfant de moins de huit ans avec des suites inconnues, ce film réussit habilement à promouvoir une maltraitance infantile précoce foncière sous l’image d’une bientraitance familiale et militante. Est-ce rendre service à un enfant que de lui faire croire qu’il lui suffit de désirer quelque chose pour que cela puisse advenir ?

    Au total il faut vraiment déplorer les commentaires médiatiques divers qui sont largement dupes d’un récit, parfaitement mis en scène certes, mais profondément pervers et manipulateur, et on se voit dans l’obligation de constater les infractions majeures commises ici, avec la complicité d’un médecin, à la déontologie et aux droits fondamentaux de l’enfant.

    Alain Cornec, avocat



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