Dans l’éducation, la notion d’obstacle pédagogique est
également méconnue. J’ai souvent été frappé du fait que les professeurs de
sciences, plus encore que les autres si c’est possible, ne comprennent pas
qu’on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie de
l’erreur, de l’ignorance et de l’irréflexion. Les professeurs de sciences
imaginent que l’esprit commence comme une leçon, qu’on peut toujours refaire
une culture nonchalante en redoublant une classe, qu’on peut toujours comprendre
une démonstration en la répétant point pour point. Ils n’ont pas réfléchi au
fait que l’adolescent arrive dans la classe de Physique avec des connaissances
empiriques déjà constituées : il s’agit alors, non pas d’acquérir une
culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de
renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne.
…
Ainsi toute culture scientifique doit commencer par une catharsis intellectuelle et affective. Reste ensuite la tâche
la plus difficile : mettre la culture scientifique en Ă©tat de mobilisation
permanente, remplacer le savoir fermé et statique par une connaissance ouverte
et dynamique, dialectiser toutes les variables expĂ©rimentales, donner enfin Ă
la raison des raisons d’évoluer.
…
Au cours d’une carrière déjà longue et diverse, je n’ai
jamais vu un éducateur changer de méthode d’éducation. Un éducateur n’a pas le
sens de l’échec précisément parce qu’il se croit un maître. Qui enseigne
commande. D’où une coulée d’instincts.
Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique.