La vie
carcérale vue par un jeune de dix-huit ans.
Le Flash,
bulletin d’information de l’AVVEJ, n° 148, décembre 2000.
HassaneÂ
Bayebane est éducateur scolaire au SAU (Service d’Accueil d’Urgence)
d’Évry et fait part des difficultés à faire comprendre aux jeunes les réalités
de l’incarcération, certains jeunes étant convaincus que faire de la prison est
la référence suprême dans le CV du parfait délinquant, le passage obligé pour
être vraiment considéré et avoir sa place dans le groupe ou la bande. Et il transmet
ce texte, écrit par Fayçal, 18 ans, qui a accepté de témoigner des réalités de
la prison.
Pour commencer, j’espère que vous allez bien comprendre ce
message : « Il n’y a pas mieux que la liberté. Chaque chose a un
prix, sauf la liberté et la famille. »
J’ai commencé à faire des conneries à partir de l’âge de treize ans.
D’abord on commence par des petits vols dans les magasins, ensuite, par des
petites agressions de personnes qu’on ne connaît même pas et qui ne nous ont
rien fait, enfin, on continue par des agressions à main armée, des vols de
voitures… À seize ans, la justice a mis un terme à ma folie. Le juge pensait
que la seule solution pour moi c’était la prison. Moi je n’ai jamais pensé
qu’un jour j’irais en prison. Je pensais que ça n’arriverais jamais à moi. J’ai
trop souffert dans ma vie et je pensais que ce que je faisais Ă©tait sans
gravité pour les gens et, sans me rendre compte, j’ai été trop loin. La
justice, elle, n’a rien à faire de ta vie. Tu te retrouves en prison plus vite
que tu ne le crois. Tu n’as pas idée de ce que c’est que la prison. Tu arrives
devant, et c’est là que tu commences à penser à ta liberté et à ta famille.
C’est vrai que j’ai vécu beaucoup de violences dans ma vie, mais la
violence qui existe en prison est quelque chose d’inimaginable et d’impensable.
Dès ta première sortie en promenade, tu comprends très vite que ce n’est pas la
rue, mais c’est la jungle. Si tu n’as pas de « vice », les autres
détenus vont s’en apercevoir très vite et là , tu vas connaître la véritable
souffrance : le racket, les agressions, le viol, l’humiliation… L’univers
carcéral est un monde de grande violence. Tu es mélangé avec les criminels, les
violeurs, les lourdes peines. Ces gens-là n’ont plus rien à perdre, alors ils
essaient de créer une nouvelle vie en prison. Une vie basée sur la loi du plus
fort.
Ceux qui ont besoin de se défouler, trouvent des victimes, des
souffre-douleur ; on se prend des coups de lames de rasoirs, des coups de
fourchettes pour des embrouilles à la « con ». Et tu es obligé de
fermer ta « gueule » sinon tu es considéré comme une
« balance ». Motif qui t’en fera baver encore plus. Le viol est une
pratique courante en prison. Si le type a de grosses pulsions sexuelles, tu
deviendras « sa chose » et il ne se gênera pas pour « te faire
les fesses » à chaque fois qu’il en a envie. Alors, si tu n’es pas assez
fort et que tu en as marre de ce calvaire, de cet enfer, il te viendra à l’idée
de te couper les veines ; j’en ai vu un, ce n’est plus des bras qu’il avait
mais des cratères tellement il s’était coupé les veines : au moins une
vingtaine de fois.
Souvent, j’entends des jeunes parler du placard comme si c’était des
vacances tranquilles : tu regardes la télé, tu manges, tu dors, tu vis
bien quoi. Si tu crois Ă ces conneries et que tu te retrouves un jour au
placard, dans ce trou à rats, tu risques d’être déçu. Enfermé entre quatre
murs, tu vas comprendre ce que c’est que la souffrance. C’est horrible tout ce
qui se passe en prison. Non seulement tu es privé de ta liberté mais il peut
t’arriver les pires cauchemars que tu n’aurais jamais pu imaginer. Si tu as du
courage et de l’espoir, tu ne penses qu’à une chose : sortir de ce trou
pour ne plus y revenir. Si tu crois que la prison c’est le « Club’Med, eh
bien tu n’as rien compris. La prison c’est vraiment la misère, c’est l’enfer,
tu ne vis plus, tu es obligé de te soumettre à plus fort que toi, et ton seul
« droit », c’est de fermer ta gueule. Personne ne lèvera le petit
doigt pour toi, personne ne se souciera pour ta souffrance. Et, pour la
justice, tu es lĂ pour souffrir. Les plus malins, eux, font les fous pour
esquiver les situations entre détenus et avec les matons.
Ta vie dépend de ton juge. À ces moments-là , tu pries pour revenir en
arrière et que tout cela se termine. Mais la dure rĂ©alitĂ© de la prison est lĂ
pour te faire perdre ce petit espoir. Les sentiments d’injustice et de haine se
mélangent dans ta tête, alors tu craques et tu penses faire des folies et
risquer de voir ta peine se prolonger ou tu essayes de mettre fin Ă ta vie,
cette vie Ă laquelle tu tiens tant. RĂ©pondre Ă la violence par la violence, ou
se couper les veines. Pour les matons tu n’es qu’un matricule parmi d’autres.
Ils n’ont aucun respect pour ta gueule et ils te traitent comme un chien.
Si j’ai accepté de parler aujourd’hui, c’est parce que j’ai la haine
et la prison est une véritable source de haine. Si tu as du respect pour
toi-même, si tu as envie de t’en sortir, alors évite de te retrouver en prison.
Fayçal.