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Dans sa critique de la propagation des passions dans la foule inorganisĂ©e, Tarde constate que " les hommes incultes, entre Ă©gaux, sont portĂ©s Ă  parler tous Ă  la fois et Ă  s’interrompre sans cesse ". Mais cette " mer agitĂ©e ", bien loin de porter seulement la violence, n’est-elle pas au contraire source d’une fragmentation en myriades de sous-conversations d’autant plus " civiles " qu’elles Ă©vitent une canalisation de leur Ă©nergie ? La foule Ă  l’état libre est en effet un Ă©moussement de la puissance, un recommencement du sens Ă  partir des micro-interactions, sĂ©parĂ©es, coupĂ©es du " lien " par une heureuse autonomie, pouvant Ă  tout moment renouer des rĂ©seaux, des sĂ©ries conversationnelles, des rires ou des indignations plus collectifs. C’est une autre façon de dire que les vices privĂ©s crĂ©ent les vertus publiques. Encore n’avons-nous aucune certitude sur ce que les gens prĂ©tendent accomplir lorsqu’ils se sĂ©parent d’une entente de masse, pour se consacrer Ă  leurs affaires ponctuelles, dans le brouhaha le plus complet. Peut-ĂŞtre chacun d’entre nous est-il conscient que la meilleure manière d’empĂŞcher une foule de devenir criminelle est de lutter contre la polarisation de celle-ci par des images simples. Le bruit, ici, n’est pas fortuit, ni innocent, mais dĂ©libĂ©rĂ©, Ă©mis pour tamiser, affaiblir, compenser par une prĂ©sence multiple le " grand parler " du leader. Cela est particulièrement vrai en France, oĂą les discours officiels se dĂ©roulent gĂ©nĂ©ralement sur fond d’indescriptible charivari, de prĂ©fĂ©rence près des petits fours et du champagne.

Denis Duclos, De la civilité.


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