Le désir
1. Le désir se
constitue à partir des besoins et pulsions élémentaires, pour s’en détacher
progressivement, dans l’expérience de la séparation d’avec la mère et de
la frustration : l’interdit de l’inceste, la loi originaire qui fait
advenir le sujet, permet l’accès au désir.
2. Le désir se découvre
lui-même contradictoire : s’il est sentiment d’un manque, d’une privation,
marqué par la souffrance, il recherche sa satisfaction tout en cherchant
également à la différer, la retarder…
3. C’est que nous ne
savons pas ce que nous désirons : tout objet désigné par notre désir ne
nous satisfait pas, sa consommation même fait resurgir le désir intact, dans
une tension renouvelée. Le besoin peut être comblé, mais le désir traverse son
objet et le dépasse.
4. On peut évoquer la
réalisation du bonheur comme accomplissement de tous les désirs possibles, mais
le risque de l’illusion demeure : débordant sans cesse les limites que le sujet
cherche à lui assigner, le désir semble illimité.
5. Et donc, ce serait
dans la mesure et le réglage de l’intensité du désir, c’est-à-dire
l’application de la volonté à ses manifestations, que peut s’accomplir la
recherche du bonheur et de la sagesse : ainsi les stoïciens veulent
distinguer ce qui dépend du sujet, sur quoi sa liberté reste souveraine, et ce
qui n’en dépend pas, à propos de quoi il est vain de désirer ou d’espérer. La
sagesse consisterait alors à vouloir tout ce que l’on peut.
6. Derrière tous les
objets qui peuvent s’offrir à la satisfaction des besoins, se profile un désir
qui les dépasse et ne peut s’en satisfaire. Ce qui explique que la pulsion
puisse trouver des voies très diverses, changer d’objet et de but : la
pulsion sexuelle, par exemple, n’a plus la rigidité ou la fixité de l’instinct
animal, et peut trouver à investir son énergie dans des œuvres et des projets
non sexuels.
7. Le désir témoigne de
l’inscription de l’existence humaine dans le temps, et donc de son
inachèvement. Tout désir serait ainsi désir d’éternité : philosopher
serait apprendre à mourir, c’est-à-dire libérer l’âme du corps pour lui
permettre d’accéder à la contemplation des idées et de la Vérité (Platon).
8. L’épreuve du manque
peut dès lors retourner le désir en puissance d’affirmation positive,
créatrice, du sujet. Ainsi toute œuvre, artistique, scientifique, politique,
est œuvre du désir. Et la joie peut nous porter à nous emparer des
significations données au monde et à l’histoire par les générations précédentes
et à en inventer de nouvelles.
9. Si c’est l’énergie
du désir qui pousse à la rencontre (pas seulement amoureuse) d’autrui, c’est
aussi l’obscurité du désir à lui-même qui peut conduire à la violence dans le
choc des désirs contradictoires : le désir sexuel, mais aussi bien
politique, peut ainsi se perdre dans la recherche de la soumission de
l’autre ; mais l’autre existe aussi, comme désir et liberté…
10. Force créatrice,
force destructrice. Le désir fait peur, se nourrit de l’angoisse d’un manque
originel où je « demande à l’autre ce qu’il n’a pas » (Lacan). Il se nourrit
aussi de la joie des accomplissements créateurs et procréateurs. Ensemble et
séparés, différents et semblables, nous nous adressons mutuellement les signes
de notre désir, à travers les paroles, les projets, les œuvres, les amours.