Commentaire de Spinoza
Des fondements de l’État, il résulte avec la
dernière évidence que sa fin dernière n’est pas la domination ; |
Il est probable que l’origine des institutions qui
règlent, sur un territoire donné, la vie en commun des hommes qui y demeurent,
est à rechercher du côté du besoin de sécurité collective : les hommes
créent les institutions qui composent un État pour s’assurer mutuellement les
services de subsistance et de paix. |
ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et
faire qu’il appartienne à un autre, que l’État a été institué ; |
Et donc si un État particulier s’impose par la
crainte à sa propre population, détermine le sort des citoyens comme s’ils
lui “ appartenaient ”, il trahit sa propre finalité, c’est-à-dire
le sens même de sa fonction. |
au contraire c’est pour libérer l’individu de la
crainte, pour qu’il vive autant que possible en sécurité, |
La première condition de la sécurité est donc la
libération de la peur des autres, et donc des causes de cette peur :
l’État devrait donc assurer la “ police ” des relations entre les
individus et en même temps assurer les conditions de la subsistance de tous. |
c’est-à-dire conserve aussi bien qu’il se pourra,
sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir. |
Exister, agir, “ sans dommage pour
autrui ” : la première condition de la sécurité, donc de la
liberté, se trouve donc simultanément dans la
liberté et dans le respect de celle d’autrui. Si exister, agir est un droit naturel, alors il
l’est pour tous les humains. |
Non, je le répète, la fin de l’État n’est pas de
faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celles de
bêtes brutes ou d’automates, |
Et si les humains sont humains, ils ne sont ni des animaux
ni des robots (des machines). Les hommes se donnent donc les institutions qui
composent l’État dans la finalité de demeurer hommes raisonnables, capables
de conduire leur vie avec raison. |
mais au contraire il est institué pour que leur
âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, |
Les besoins humains se transforment en désirs et ils
concernent aussi bien le corps que l’âme ; l’État est donc institué, non
pas pour la satisfaction de ces désirs qui relèvent de la liberté de chacun,
mais pour réunir les conditions matérielles et culturelles de la satisfaction
de ces besoins et désirs. |
pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, |
Là aussi, ce n’est pas l’État qui est responsable de
l’usage par chacun de sa raison, il a seulement pour finalité de réunir les
conditions qui permettent à chacun d’user librement de sa raison (par
exemple, en permettant l’instruction de tous). |
pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère
ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres. |
La fin de l’État est donc de maintenir la paix civile, de
permettre la résolution pacifique des conflits, de mettre un terme à la
violence dans les relations ; l’État n’a pas pour mission de faire que
les citoyens “ s’aiment ” les uns les autres, mais seulement qu’ils
“ se supportent ”, c’est-à-dire puissent articuler leurs libertés
réciproques. |
La fin de l’État est donc la liberté. |
Un État particulier peut perdre de vue ses propres
finalités, et peut devenir un outil partial entre les mains de
“ dominants ” : il n’est plus alors légitime. La fin de l’État
est donc de permettre l’articulation des libertés, en définissant les droits
et les devoirs de chacun, les devoirs n’étant que la conséquence de
l’exercice collectif et articulé des droits fondamentaux. Et donc la liberté
de chacun ne finit pas là où commence celle de l’autre, elle commence là où
commence celle de l’autre, ce qui rend possible la vie en commun. |
Baruch
Spinoza (Traité
théologico-politique).
Et donc comment l’État peut-il rester fidèle à sa
mission,
à quelles conditions peut-il effectivement garantir
et organiser la liberté des citoyens ?