Il y avait une lueur dans ses yeux noirs :
peut-être l’expression d’une certaine compassion à l’égard du malheureux destin
de l’homme.
Le pouvoir, c’est la corruption. Libéré de ses chaînes,
le fauve qui se dissimule dans l’âme humaine cherche à satisfaire avec avidité
son instinct primitif, par les coups, les meurtres.
Je ne sais pas si le fait de signer une condamnation à mort peut procurer une certaine satisfaction. Il y a là certainement une jouissance macabre, une imagination qui ne cherche pas à se justifier.
J’ai vu des gens – et j’en ai vu beaucoup – qui avaient donné autrefois l’ordre de fusiller ; à présent, c’est eux qu’on tuait. Et rien, rien que la poltronnerie, des cris : « C’est une erreur, je ne suis pas celui qu’il faut tuer pour le bien de l’État, moi-même je sais tuer. »
Je ne connais pas ces personnes
qui donnaient l’ordre de fusiller. Je les ai vues seulement de loin. Mais je
pense qu’un tel ordre repose sur les mêmes forces de l’âme, la même attitude
morale que l’acte de fusiller, le meurtre qu’on commet de ses propres mains.
Le pouvoir, c’est la corruption.
L’ivresse que donne le pouvoir
sur autrui, l’impunité, le sadisme, l’art de manier la carotte et le bâton, voilà
l’échelle morale d’une carrière de chef.
Mais Zouïev nous battait moins
que les autres ; nous avions de la chance…
Varlam Chalamov, Récits
de la Kolyma, Verdier éd., p. 1023.