Les commencemens des disciplines ont
esté petis, et la plus grande difficulté a esté à les inventer premièrement, puis par l’industrie des sçavans ont esté peu à peu
augmentees, en corrigeant les choses mal observees et suppliant les omises :
sans toutefois qu’il y en ait encore d’absolue entierement, à laquelle on ne
puisse faire addition. Rien n’est commencé et achevé ensemble, mais par
succession de temps croist et amende, ou devient plus poly. Si ont esté trouvez
presque tous les ars par l’usage et experience, puis dressez par observation et
raison. Consequemment reduicts en meilleure forme et plus certaine par
divisions, definitions, argumentations, demonstrations, par preceptes et
reigles universelles tirees de nature, esloignees d’opinion, et tendantes à
mesme fin. Non en s’arrestant à ce que les premiers avoient faict, dict, escrit
: ou en les imitant seulement, à la maniere des paresseux et lasches de cœur :
Mais en y adjoutant par les survenans du leur, ainsi que les matieres de temps
en temps se découvroient, et eclaircissoient, demourant ordinairement l’honneur
aux derniers comme plus exquis et accomplis. A l’exemple desquels devons
prendre courage de travailler, avec esperance de nous rendre meilleurs qu’eux :
aspirant tousjours à la perfection qui n’apparoist encores nulle part, restans
plus de choses à chercher qu’il n’en a esté de trouvees. (…)
Il y en a de si adonnez et
affectionnez à l’antiquité, qu’ils
ignorent le temps et pays où ils vivent. Ils sçavent comment se gouvernoient
entierement Athenes, Lacedemon, Cartage, Perse, Egypte, ignorans les affaires
de leur pays auquel sont estrangers. Comme s’en trouve assez par deçà qui
discourent de l’Areopage, ou des comices Romains : n’entendans rien au conseil
de France, maniement des finances, et ordre des parlemens. N’est-ce dont abuser
de l’estude et lettres ? que de s’amuser seulement aux anciens, et n’essayer à
produire nouvelles inventions convenables aux mœurs et affaires de son temps ?
Quand cesserons nous de prendre l’herbe pour le bled, la fleur pour le fruict,
l’escorce pour le bois ? ne faisans que traduire, corriger, commenter, annoter,
ou abreger les livres des anciens ? Lesquels s’ils en eussent ainsi usé : se
proposans de n’escrire ou dire, sinon ce qui avoit esté escrit ou dit
autrefois, nul art eust esté inventé, ou tous fussent demourez en leurs
commencemens, sans recevoir accroissement. Les imitateurs perpetuels, et
tousjours translateurs ou commentateurs cachez soubs l’ombre de l’autruy sont
vrayement esclaves, n’ayans rien de genereux, et n’osans quelquefois faire ce
qu’ils ont apprins longuement. (…)
Or puis que les arts et sciences
commencent, croissent, muent, sont conservees par soin, diligence, souvenance,
meditation : et perdues par
nonchalance, paresse, oubliance, ignorance : estant tres-requis que verité
demoure entre les hommes. Necessairement il faut que les premieres abolies,
autres se mettent en leur place, et les vieils livres perdus où elles sont
contenues, s’en facent de nouveaux. Comme les autres choses subjettes à
mutation ont besoin de continuelle génération, pour se renouveller, et
maintenir chacune en son espece. Ainsi convient il pourveoir aux lettres, en
cherchant nouvelles inventions au lieu des perdues, changeant ce qui n’est
bien, ou adjoutant ce qui defaut : à fin que ne se perdent, ains aillent
tousjours en amendant. Car estant l’univers constitué de deux choses, dont les
unes sont perpétuelles, les autres muables et corruptibles : il est certain que
les perpetuelles, comme le ciel, le soleil, la lune et autres astres, demourent
constamment en mesme estat. Mais les muables commencent et finissent, naissent
et meurent, croissent et diminuent incessamment, taschans neantmoins tant que
peuvent approcher, et participer de l’eternité : non perseverans tousjours
mesmes comme les supérieures et divines, mais en continuant leurs especes par
le moyen de generation : qui est œuvre immortelle en la mortalité. (…)
Que si nous blasmons la stérilité au
corps, à plus forte raison la devons nous detester en l’ame, et aspirer à semblable immortalité, et renommee
: dont le desir est naturellement donné à toutes personnes, pour servir
d’eguillon à entreprendre actions honnestes. (…) Ainsi ne suffit sçavoir par
livre, sans rien produire de soy, qui ayde à la verité. (…) Parquoy si tous
estiment le futur leur appartenir, et taschent laisser memoire d’eux : les
sçavans ne doivent estre paresseux à acquerir par les monumens durables de lettres,
ce que les autres pretendent par œuvres en brief perissables. Ains convient que
travaillent à leur pouvoir, sinon pour le regard des hommes qui se monstrent
souvent ingrats envers leurs bienfaicteurs, et envieux de la vertu presente :
aumoins que ce soit pour l’honneur de Dieu. Qui veut que conservions
soigneusement les arts et sciences, comme les autres choses necessaires à la
vie, et les transmettions de temps en temps à la posterité par doctes et
elegans escrits en belles matieres : donnans clarté aux obscures, foy aux
doubteuses, ordre aux confuses, elegance aux impolies, grace aux delaissees,
nouveauté aux vieilles, authorité aux nouvelles.
Loys
Le Roy, De la vicissitude ou variété des choses en l’univers,
à
Paris, chez Pierre l’Huillier, 1575.