Par ce
que le monde est monstrueux. Par ce que le monde ne peut mener un homme
qu’au désespoir, un désespoir si total, si absolu, que rien n’ouvrira la porte
de cette prison, l’absence de toute espérance. A. s’efforce de regarder à travers
les barreaux de sa cellule et découvre une pensée, une seule, qui le console
quelque peu : l’image de son fils. Et pas uniquement son fils, mais un
fils, une fille, nés de n’importe quel homme ou de n’importe quelle femme. Par ce
que le monde est monstrueux. Par ce qu’il ne paraît proposer aucun
espoir d’avenir, A. regarde son fils et comprend qu’il ne doit pas se laisser
aller au désespoir. Il y a la responsabilité de ce petit être, par ce
qu’il l’a engendré, il ne doit pas désespérer. Minute par minute, heure par
heure, lorsqu’il demeure en présence de son fils, attentif à ses besoins,
dévoué à cette jeune vie qui constitue une injonction permanente à demeurer
dans le présent, il sent s’évanouir son désespoir. Et même si celui-ci
persiste, il ne se l’autorise plus.
Paul Auster, L’Invention de la solitude,
Le
Livre de Poche.