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    Ne ratez pas un virage... ! si vous êtes arabe et musulman en jeûne de ramadan...

    dimanche 14 février 2010

    Un accident et ses suites...

    Lundi 18 octobre 2004, 16 heures 40 :

    Je roulais tranquillement dans la rue Conrad-Adenauer à Rosny-sous-Bois, avec la voiture de mon grand frère, une Volkswagen de type Polo. Je roulais aux environs de soixante km/h, quand je suis monté sur une chicane placée au milieu de la voie et que je n’avais pas vue. Elle a dû faire un effet de tremplin et la voiture a dérapé, zigzagué, sur une trentaine de mètres et est venue s’encastrer dans la clôture en grille. Au point où s’est arrêtée la course de la voiture, la vitesse était bien limitée à 30 km/h, mais la voiture avait commencé à déraper sur cette chicane bien avant, et je n’avais vu aucun panneau limitant la vitesse avant la chicane.
    La voiture était fortement accidentée, j’ai pu en sortir tout seul, sous le choc. Je me suis assis sur le trottoir, terrorisé, impressionné en regardant la voiture. Je pleurais dans les bras d’un homme qui essayait de me consoler. J’avais déjà eu un accident de scooter à l’âge de 14 ans, et j’avais fait très peur à ma mère, une femme très sensible et qui m’aime beaucoup. C’est d’ailleurs le premier réflexe que j’ai eu : appeler ma mère pour la rassurer, lui dire que tout allait bien, qu’elle ne devait pas s’inquiéter. Il n’y avait aucun blessé, que des dégâts matériels, à la voiture et à la grille que j’avais heurtée.
    Un quart d’heure après, j’ai entendu la sirène des pompiers qui arrivaient : j’étais soulagé, parce que j’avais très froid, j’avais mal au petit doigt de la main droite et au torse (je crois que c’était dû à la ceinture de sécurité). Les pompiers m’ont interrogé sur mon état, je leur ai indiqué ces douleurs. Les policiers sont arrivés ensuite. On m’a fait un test d’alcoolémie, j’ai soufflé, il n’y avait rien, le test était négatif. D’ailleurs, je ne bois jamais, je ne fume pas, et en plus ce jour-là je faisais le Ramadan. Les pompiers ne m’ont pas proposé d’aller à l’hôpital, et les policiers m’ont dit qu’ils allaient m’emmener au commissariat : ça m’a semblé bizarre ; je pensais plutôt à attendre une dépanneuse et faire la déclaration à l’assurance ! Mais de toute façon la voiture n’était assurée qu’au tiers… Un policier a alors fait un appel à témoins : « Tous les témoins se mettent de ce côté. » J’ai alors vu trois personnes, dont ce gentil monsieur qui avait essayé de me consoler. J’en ai entendu un dire que je roulais à 70/80 km/h et mon consolateur (si je puis dire) le contredire : « Mais non, voyons ! Il n’était pas à plus de soixante ! » Après avoir répondu aux questions du policier, il m’a laissé son numéro de téléphone en me disant d’appeler s’il y avait un problème.
    Alors je me suis senti humilié parce que les policiers m’ont mis les menottes, dans la rue, devant tout le monde, et j’ai été conduit au commissariat. Il était alors 17 heures. Je pensais que j’allais être auditionné, puis relâché. Mais, une demi-heure après, un officier m’a appris que j’étais placé en garde à vue. Je ne comprenais plus : encore en état de choc après cet accident, ce policier en rajoutait ! J’ai demandé pourquoi cette garde à vue, et il m’a répondu : « Mise en danger de la vie d’autrui. » Il a pris les renseignements sur mon identité, et j’ai été obligé de me déshabiller entièrement pour être fouillé, j’étais sous le choc encore, encore plus humilié, même si le policier était très correct ; ensuite j’ai été placé en cellule : il était 17h30 environ. Dans la cellule, je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait, il n’y avait aucun blessé, je trouvais ça bizarre qu’on me mette en garde à vue.
    À 18 heures, on est venu me chercher, on m’a fait monter à l’étage, pour être auditionné. Ils étaient cinq dans le bureau. Au moment où je suis entré, l’un d’eux s’est exclamé : « Alors c’est toi le fameux Schumacher ! » Je ne lui ai pas répondu. En réponse aux questions j’ai essayé de raconter le plus simplement possible ce qu’il s’était passé. Mais plusieurs autres réflexions du même genre que la première m’ont été faites, comme quoi j’allais devoir repasser mon permis. Ils étaient cinq et une femme policière leur a dit à un moment qu’ils pouvaient se retirer, mais ils restaient là à rigoler entre eux. Ce qui m’a vraiment marqué, c’est quand j’ai demandé à manger, ils ont refusé, et un m’a dit : « On est dans un pays laïc et on s’en fout que tu fasses le Ramadan ! » J’ai aussi remarqué qu’ils avaient enlevé de la voiture l’affichette qui était collé sur la vitre arrière et qui indiquait qu’elle était à vendre, et ils l’avaient gribouillée en changeant le prix indiqué, 8 300 euros, en… 83 euros ! L’affichette était placée sur un mur… Une fois l’audition terminée, il devait être 19 heures passées, j’ai demandé un verre d’eau au policier qui me ramenait en cellule, il a accepté et me l’a apporté.
    À 19h30, l’avocat qui m’avait été proposé lors de l’audition est arrivé, c’était une femme, elle se préoccupait juste de savoir si je n’étais pas maltraité, qu’on ne me frappe pas et qu’on me donne à manger ; elle m’a dit elle-même qu’elle n’était pas là pour mon affaire, mais quand même, en me voyant, elle a eu une sorte de pitié et m’a demandé pourquoi j’étais là. Je lui ai raconté les faits, et je lui ai aussi dit que j’avais des douleurs un peu partout, et que je n’avais pas mangé, à part le verre d’eau qu’on m’avait donné. L’avocate m’a dit qu’elle allait s’en occuper et je suis retourné en cellule. Il devait être 20 heures. Mais on ne m’a pas apporté à manger… pourtant j’ai su après que ma famille avait apporté des sandwiches mais on ne me les pas donnés.
    Vers 22 heures, on est venu me chercher, pour m’emmener à l’hôpital Jean Verdier à Bondy, pour, m’a-t-on expliqué, faire un dépistage de cannabis. J’étais menotté à nouveau, ils ont refusé de me donner ma veste et j’avais très froid, en chemise. Mais à l’hôpital, il n’y avait pas de médecin disponible pour faire le test. Il a fallu retourner au commissariat, toujours menotté bien serré… il était maintenant 22h40. Une fois dans la cellule, je n’arrivais pas à dormir. Je suis resté allongé sur le banc, jusqu’à ce qu’un médecin arrive, vers 3 heures du matin. Il a pris ma tension et quelques renseignements sur ma personne. Je lui ai indiqué les douleurs que j’avais à cause de l’accident, mais j’avais l’impression qu’il s’en moquait : il était très tard et il devait sûrement être pressé de rentrer chez lui… Il m’a donné un étui pour prélever mon urine : je suis donc allé aux toilettes, mais sans doute à cause de mon état, et le fait que j’étais en plein jeûne, je n’arrivais pas à uriner. Les policiers pensaient que je ne voulais pas uriner parce que j’aurais consommé des stupéfiants (« Comme par hasard ! » a dit l’un d’eux). J’ai eu beau rester une dizaine de minutes aux toilettes, je n’y arrivais pas, hélas ce n’était pas de la mauvaise volonté, au contraire, j’aurais pu leur prouver qu’ils se trompaient…

    Mardi 19 octobre, 9 heures :

    Vers 9 heures, un policier est venu me chercher en m’expliquant qu’ils allaient me ramener à l’hôpital pour faire le test, et que si je n’arrivais à nouveau pas à uriner, ils allaient prolonger la garde à vue de 18 heures ! Ils m’ont dit de boire de l’eau, mais je leur ai répondu que je faisais le Ramadan ! Ils m’ont menotté, ils ont refusé à nouveau de me donner ma veste et j’avais très froid. On est donc allé à l’hôpital, le médecin m’a donné un étui et je suis allé aux toilettes. Je faisais tout ce que je pouvais pour ne pas retourner si longtemps en garde à vue, mais rien à faire : je n’arrivais pas à faire pipi ! Heureusement, finalement, au bout de vingt minutes, j’y suis quand même arrivé… J’ai donc donné l’étui au médecin, qui a déclaré le test négatif. Et quand je suis sorti du cabinet avec le médecin et qu’il a annoncé le résultat aux policiers, j’ai compris que ceux­-ci avaient fait un pari et que deux sur trois avaient perdu !
    Ensuite on est retourné au commissariat, il devait être 10 heures ou 10h30. Je suis monté à l’étage, on m’a pris les empreintes, et je suis retourné en cellule. J’ai demandé à l’officier qui m’accompagnait si j’allais bientôt sortir et il m’a répondu : « Normalement, oui… » J’étais très impatient de revoir ma mère, j’avais hâte d’être de retour dans ma famille !
    À midi, deux policiers m’ont sorti de la cellule, j’ai eu un moment de joie intense, mais j’ai entendu alors que j’allais être emmené au « dépôt » et que je devais être jugé ! Ma joie s’est vite éteinte… Je ne savais pas ce qu’était le « dépôt », j’ai donc demandé aux policiers de quoi il s’agissait. Ils m’ont répondu que c’était la suite de la garde à vue en attendant d’être jugé. Ils m’ont redonné ma veste cette fois et m’ont menotté. Lorsque nous sommes sortis du commissariat, direction le tribunal, j’ai aperçu mon frère, qui a 19 ans, et un de mes meilleurs amis : ils étaient venus me chercher pour m’emmener chez moi ! Mais ils ont appris la nouvelle et mon frère s’est mis à pleurer. Je n’ai pu lui parler qu’un tout petit moment, je ne pouvais pas le toucher et le consoler…
    Une fois arrivé au dépôt, j’ai été fouillé entièrement et mis en cellule, il devait être 13 heures. Des surveillants sont venus pour proposer à tous ceux qui étaient là avec moi à manger. J’ai refusé, car je voulais avoir la force de continuer à respecter le Ramadan. Mais j’aurais dû me méfier et garder la nourriture pour l’heure de rupture du jeûne, mais sur le moment je n’y ai pas pensé, j’espérais encore que j’allais bientôt retrouver ma famille. Je me suis assis sur le banc et j’ai attendu. À 14 heures, on m’a emmené voir le délégué du procureur, il m’a rappelé les faits, et je me suis mis à pleurer, je n’en pouvais plus ! Le procureur a essayé de me calmer et m’a dit que tout allait bien se passer, qu’il ne fallait pas que je me mette dans cet état-là… Je suis retourné en cellule.
    À 15h30 environ, on m’a fait rencontrer un avocat commis d’office. Le scénario était exactement le même qu’avec le précédent. Je lui ai demandé si je risquais la prison et il m’a répondu : « Bien sûr que non ! Enlève-toi cette idée-là de la tête ! » J’ai été vraiment soulagé et je me suis dit que tout allait être bientôt terminé. J’ai donné tous les renseignements me concernant à l’avocat : étudiant, sérieux, bac + 2 à la fac de Bobigny, aucun antécédent judiciaire… Et je suis retourné en cellule, il devait être 16 heures environ.
    Malgré ce qu’avaient dit le délégué du procureur et l’avocat, j’étais très inquiet. Après une heure et demie de stress et d’angoisses, on m’a fait monter au tribunal, menotté entre le dépôt et la salle. J’étais très impressionné, c’était la première fois que je voyais une salle d’audience. J’ai aperçu mon petit frère et un ami dans le public, je n’arrivais pas à les regarder vraiment… et je me suis mis à pleurer. Avant que ce soit mon tour, c’était un jeune noir qui était jugé : il a été condamné à quatre mois de prison ferme pour défaut de permis de conduire. J’ai vraiment été effrayé par cette sanction. Le juge avait un air très sévère, il faisait peur rien qu’en le regardant. Mon tour est arrivé, le juge a rappelé les faits, je paniquais complètement, j’avais très très peur. Le juge déclara que c’était grave… Je n’ai pas compris ce qu’il voulait dire : c’est grave d’avoir un accident ? C’est vraiment un délit ? Le juge déclara alors que le jugement allait être reporté au 2 novembre et qu’en attendant, soit j’allais en maison d’arrêt, soit je sortais sous contrôle judiciaire. Il a demandé son avis au procureur, qui a demandé, à mon vif soulagement, que je sois placé sous contrôle judiciaire puisque je n’avais aucun antécédent et que j’étais étudiant. L’avocat a pris la parole et a déclaré les mêmes choses que le procureur, que j’étais étudiant, que je n’avais eu affaire à la police ou à la justice, que j’étais sérieux…
    Alors le juge et deux autres personnes qui étaient à ses côtés sont sortis de la salle par une porte qui était juste derrière eux. Au bout de cinq minutes à peu près, ils sont revenus et le juge a donné sa décision : 15 jours en maison d’arrêt en attendant la nouvelle audience. J’ai été foudroyé. J’ai ressenti un violent sentiment d’injustice et de haine. L’avocat me regardait avec désolation et il a dit aux policiers qui m’accompagnaient : « Donnez-lui à manger, regardez-le, il est dans un état ! » Depuis l’accident, en fait depuis lundi matin, le début du jeûne, je n’avais eu qu’un verre d’eau… Je ne comprenais plus ce qu’il m’arrivait, on m’a menotté, j’ai entendu, comme dans un brouillard, les policiers répondre gentiment à l’avocat qu’ils allaient s’occuper de moi. Un des policiers, très sympa, m’a demandé à quelle heure était la rupture du jeûne et je lui ai répondu que c’était à 19 heures. Il m’a promis alors que j’aurais à manger à cette heure-là. Je suis retourné en cellule, il était 18 heures. J’étais fatigué, dégoûté, triste, et j’avais très peur parce que j’allais me retrouver en prison, j’étais complètement KO, j’avais été mis KO en un round !
    À 19 heures, je m’attendais à avoir à manger, mais la promesse du policier n’a pas été tenue. J’ai appelé un surveillant pour qu’on me donne à manger comme prévu, mais rien à faire. Ce n’est qu’à 20 heures enfin, comme pour les autres détenus qui étaient avec moi, qu’on nous a apporté à manger : j’ai pris un sandwich au fromage que j’ai avalé très rapidement. Je me suis allongé contre le mur, et deux heures après, vers 22 heures, les gendarmes sont venus nous chercher pour nous emmener à la maison d’arrêt de Fleury­-Mérogis. Les policiers nous ont fait monter dans le camion des gendarmes, mais avant ils nous ont fait déshabiller pour vérifier qu’on n’avait rien sur nous. Une fois dans le camion, j’ai été effrayé par le comportement des autres prisonniers : certains avaient l’air contents d’aller en prison ! Par contre, moi, je ne parlais pas, j’étais en état de choc total, je n’arrivais toujours pas à me rendre compte de ce qui m’arrivait… Nous étions dans des espèces de grilles individuelles, ils nous avaient enlevé les menottes.

    Mercredi 20 octobre, 0 heure et quelques… :

    On est arrivé à Fleury-Mérogis peu après minuit. Nous sommes sortis du camion et on nous a placés deux par deux dans des cellules, dans un bâtiment appelé D4. Il faisait très froid dans cette cellule et nous avons attendu là plus d’une heure. Quand nous sommes sortis de ce frigo, des surveillants, grincheux et méchants (ils ne nous parlaient pas, ils gueulaient), nous ont pris les empreintes et en photos pour leur registre. Et nous avons été replacés en cellule, par quatre cette fois. Au bout d’un quart d’heure, on nous a fait ressortir, pour la fouille, il a fallu se déshabiller à nouveau complètement. On nous a fait regagner une autre cellule encore, et au bout de vingt minutes, on nous a emmenés avec un véhicule, une sorte d’utilitaire, vers un autre bâtiment, dont je ne connais pas le nom… Nous avons été replacés dans une cellule collective cette fois, des surveillants sont venus nous distribuer des bons pour des produits qui devaient nous être apportés le lendemain. Une fois les bons récupérés, ils nous ont fait sortir en file indienne dans le couloir et nous ont distribué des draps, deux couvertures chacun et un sandwich. Nous avons ensuite été placés en cellule, deux par deux. C’est là que nous devions passer le reste de la nuit : il y avait deux lits et un robinet, il était 2 ou 3 heures du matin…
    À 7 heures, des surveillants sont venus nous réveiller. À 7h30, on est venu nous apporter le petit-déjeuner, mais je ne l’ai pas pris, car je voulais avoir la force de continuer le jeûne du Ramadan. Vers 9 heures, on est venu nous chercher, pour aller voir le chef (je crois que c’était le chef du bâtiment), un par un. C’était une femme : elle m’a posé quelques questions et m’a indiqué dans quel bâtiment j’allais être placé. C’était le Dl, et j’allais être avec le même garçon avec lequel j’avais passé la première nuit, il s’appelait David, il avait 19 ans et était d’origine antillaise. Une fois l’entretien terminé, nous avons été ramenés en cellule. On est revenu nous chercher au bout d’un quart d’heure : un médecin nous a examinés et a pris des radios de nos poumons. Il était gentil. Et une fois la séance terminée, on nous a fait monter dans un véhicule pour nous emmener au bâtiment Dl. Là-bas nous avons passé plusieurs entretiens, avec un psychologue, un médecin à nouveau et une assistante sociale. Puis on nous a affectés à la cellule où, apparemment, nous devions rester pour le reste du temps de détention. Il était 13 heures. Nous avions déjà un peu parlé, David et moi : il était là parce qu’il avait braqué un tabac et quand je lui ai dit pourquoi j’étais là, il n’y croyait pas ! Dans la cellule, il y avait deux lits, un poste de télé, des WC et un lavabo. Tout était très sale, les toilettes étaient à découvert, c’est-à-dire qu’il n’y avait rien qui les séparaient du reste de la cellule, c’était écœurant. Nous nous sommes installés. Ensuite nous sommes allés en promenade. Quand j’ai découvert la cour de promenade, j’ai été choqué par la vue des bâtiments et des cellules vues de l’extérieur : tout était délabré, les vitres cassées étaient remplacées par du carton ou des draps ! C’est là que j’ai vraiment réalisé que j’étais en prison. Franchement, cela faisait peur ! Je me suis dit qu’il allait falloir que je reste ici quinze jours et que j’allais devoir être très patient… Nous tournions en rond dans cette cour : les nouveaux arrivants, comme moi, nous avons été interrogés par ceux qui étaient déjà là, tous étaient très calmes et très impressionnés par mon histoire… Vers 16 heures, on m’a emmené pour prendre une douche, nous étions une dizaine, dans des cabines non fermées. Cette douche m’a fait vraiment beaucoup de bien. Mais là aussi, j’ai été choqué : tout le local était d’une saleté repoussante…
    Durant ces quinze jours, j’ai eu l’impression de vivre un vrai cauchemar. Ce qui m’a le plus marqué était le total manque de respect de certains gardiens à l’égard des détenus. Par contre il y en avait d’autres qui pouvaient être très sympas. Mais ceux qui manquaient de respect étaient très mal polis, ils insultaient les prisonniers, sous n’importe quel prétexte, par exemple lorsque quelqu’un mettait ses mains dans ses poches, ou lorsqu’un autre ne se pressait pas lors des mouvements pour aller ou revenir de la promenade : « Abruti, branleur, pédé, travelo… etc. ! » Mais moi je n’ai jamais été insulté. Sinon, c’était une routine pénible : tous les jours se ressemblaient, réveil le matin, télé jusqu’à 16 heures, promenade, télé à nouveau jusqu’au soir, sommeil. J’ai poursuivi le jeûne, je gardais le chocolat en poudre du matin pour le mettre sur une tartine le soir, la nourriture n’était pas bonne, des choux-fleurs, des carottes… Dans la cour j’avais retrouvé un très ancien copain, et comme on ne peut pas cantiner la première semaine, il a trouvé moyen, une fois, de me faire passer, par une gardienne sympa, un chausson aux pommes. La seule chose qui me sortait de cette routine était les lettres que je recevais de ma famille et de copains. Je les ai toutes gardées précieusement. Et j’avais de la peine pour David qui, lui, des quinze jours où j’ai été là, n’a jamais reçu de courrier. Au bout d’une semaine, on nous a changés de cellule, nous sommes montés à l’étage. Les conditions étaient les mêmes. Mais cette deuxième semaine a été très pénible pour moi, parce que plus le jour du jugement approchait, et plus je stressais, j’imaginais le pire, j’étais angoissé, même si je savais que ma famille avait pris un avocat pour moi.

    Mardi 2 novembre, 6 heures :

    Un surveillant est venu me réveiller. Cette nuit-là, j’ai très mal dormi. Je pensais au pire, que j’allais avoir de la prison ferme. Des policiers, des avocats, le procureur même m’avaient déjà menti ou s’étaient trompés en me disant que je ne risquais pas la prison, que cela allait bien se passer… Le surveillant m’a prévenu que le départ pour le tribunal de Bobigny était dans une demi-heure. Et à 7h30, on m’a emmené dans le même bâtiment que celui de l’arrivée. J’ai eu droit à deux fouilles : une fois par les surveillants et une deuxième fois par les gendarmes. J’ai attrapé froid et suis tombé malade à cause de ces fouilles : il fallait se déshabiller complètement, et il faisait terriblement froid ! Une fois monté dans le camion des gendarmes, j’étais un peu soulagé : j’espérais ne jamais revenir ici, jamais, jamais, jamais…
    Après trois quarts d’heure à peu près de trajet, nous sommes arrivés au tribunal. Là nous avons à nouveau été fouillés et on nous a placés dans une grande cellule. Nous étions tous, tous les prévenus, dans la même cellule. Et on a attendu… Vers 13 heures, un policier est venu me chercher pour que je rencontre mon avocat, celui que ma famille avait choisi. L’entretien a duré un quart d’heure et il m’a promis que j’allais sortir de là. Il m’a mis en confiance, j’avais confiance en lui. Je suis retourné en cellule, et les surveillants nous ont apporté à manger : un paquet de chips, deux biscottes, un morceau de fromage pourri, une tartelette et une petite bouteille d’eau. Cette fois j’ai pensé à tout garder pour pouvoir plus tard rompre le jeûne à l’heure. Vers une heure et demie, les surveillants sont venus me chercher pour être jugé. J’étais complètement stressé, j’invoquais Dieu pour que je sois libéré et pouvoir revenir parmi les gens que j’aime et qui m’aiment. Lorsque je suis entré dans la salle d’audience, j’ai vu toute ma famille et tous mes amis, la salle était pleine, ils étaient tous là ! Dès que j’ai croisé le regard de mes parents, je n’ai pas pu empêcher mes yeux de verser des larmes. J’ai pleuré… jusqu’à ce qu’une policière me dise d’arrêter parce que je faisais ainsi pleurer ma mère ! Elle s’est aussi adressé à moi, en me répétant d’arrêter de pleurer, qu’il fallait être courageux, que j’allais m’en sortir.
    Le juge est arrivé et l’audience a commencé. Les faits ont été rappelés, le procureur a demandé quatre mois de prison avec sursis, six mois de retrait de permis de conduire et 400 euros d’amende. Mon avocat a pris la parole pour dire que je n’étais pas un délinquant, que j’étais une personne sérieuse dans la vie, étudiant en université, et que je n’avais jamais eu de problèmes avec la justice. Il a dit aussi qu’il y avait eu une injustice manifeste en m’envoyant en prison, que ma place n’était pas là-bas et que j’avais déjà assez souffert comme ça. J’ai ensuite pris la parole pour répéter ce qu’avait dit mon avocat, que je n’étais pas un délinquant, que ma place était à l’école et non en prison… Enfin le juge a pris la parole pour annoncer le verdict : j’avais très très peur… Trois mois de prison avec sursis, six mois de retrait de permis de conduire et 300 euros d’amende, voilà le verdict qui a été prononcé. J’ai ressenti un soulagement et une joie extraordinaire, un peu tempérée par le fait que j’ai ensuite appris que j’allais devoir retourner à Fleury­-Mérogis : mais il me fallait bien récupérer mes affaires et signer des papiers.

    Je suis donc retourné, menotté à nouveau entre la salle d’audience et le dépôt, dans la grande cellule d’attente, où il y avait encore tous ceux qui allaient devoir passer après moi en jugement. Un tunisien, avec lequel j’avais commencé à faire connaissance, m’a demandé ce que j’avais eu. Je lui ai dit que j’avais eu du sursis et que j’allais être libéré. Il était très content pour moi et nous avons continué à faire connaissance. J’ai aussi remarqué un chinois qui avait un œil très très abîmé : on m’a dit qu’il avait refusé d’embarquer dans un avion pour être expulsé et qu’il avait été tabassé. J’ai aussi parlé avec un homme de 35 ans à peu près : c’était un français, qui était là pour délit de fuite, défaut de permis et ivre au volant. Je lui ai raconté pourquoi moi j’étais là et ce que j’avais eu, en plus des quinze jours passés à Fleury-Mérogis, et il s’est fait alors beaucoup de soucis… Mais quand, plus tard, il est revenu de l’audience, il m’a dit qu’il n’avait rien et sortait ce soir en même temps que moi. Rien, pas de prison avec sursis, pas d’amende, pour tout ce qu’il avait fait ! J’ai cru comprendre que s’il n’avait rien eu c’était parce que les policiers qui l’avaient arrêté l’avaient tabassé et lui avaient cassé son portable… Et même si j’étais content pour lui qu’il n’ait rien, j’étais quand même très choqué par rapport à ma situation. Nous sommes restés là, à attendre, jusqu’à plus de minuit…
    Nouvelle fouille avant de repartir à Fleury-Mérogis, et nouvelle fouille à l’arrivée là-bas… Tous ceux qui allaient être libérés devaient récupérer leurs vêtements, on m’a fait signer des papiers, on m’a redonné mon argent et mes deux chaînettes de cou, ma gourmette et ma montre et on m’a conduit vers la sortie. Enfin, je suis sorti de ce trou ! ce trou qui ne mène nulle part… Il était quatre heures du matin et toute ma famille et mes amis m’attendaient ! Chacun à leur tour, ils m’ont pris dans leurs bras... avec une très grande joie ! J’avais enfin retrouvé mes proches et je me suis juré alors de ne plus jamais m’en séparer.

    Mourad, 20 ans.



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