Comment
construire légitimement l’ordre normatif scolaire : Réflexions sur une
re-fondation de la discipline à l’école par le droit.
** Comment penser
la discipline ?
La question de la discipline Ã
l’école est comme un vaste champ intellectuel trop longtemps laissé en friche.
L’article qui va suivre est la synthèse d’un mémoire de Diplômes d’Études
Approfondies de philosophie du droit soutenu en septembre 2003 à l’Université
de droit Paris II Panthéon-Assas, intitulé Droit et discipline scolaire au collège, la discipline dans l’orbite
du droit ; celui-ci se veut une contribution modeste à une réflexion
renouvelée de l’ordre normatif scolaire.
Naturellement associée à l’idée de
contrainte, la discipline a progressivement perdu l’attention qui lui avait
longtemps été prêtée, car dans un monde scolaire rêvé de la parole et de la
raison ordonnées, contraindre, punir et imposer un ordre normatif sont apparus
comme anachroniques au moment où l’autorité traditionnelle, incarnée par la
figure de l’autorité patriarcale, a commencé à décliner il y a une trentaine
d’années. La révolution des mœurs, cette sorte de démocratie familiale, qui a
fait partager la prise de décision entre les différents membres de la famille,
a ébranlé insidieusement les règles de fonctionnement de l’institution
scolaire, où tout n’est que contrainte.
 Sorte d’objet sale, la discipline a cessé d’être pensée selon un
angle d’approche qui la décrirait, ou l’expliquerait comme l’ensemble des
règles régissant le vivre-ensemble de l’institution scolaire. Et si elle met
mal à l’aise ceux qui doivent la penser, elle tiraille un peu plus le corps
enseignant qui doit l’appliquer sans au préalable avoir reçu une formation
appropriée pour imposer l’autorité. Au final la tendance a été à un émiettement
des pratiques disciplinaires variant au gré des circonstances et de la
personnalité des professeurs. Bref, une fois les portes de l’établissement et
de la classe fermées la discipline relève du seul ressort du maître qui en
pratique fait comme il veut mais surtout en pratique comme il peut.
Aujourd’hui le discours sur la
discipline est paradoxal, d’un côté ce flou qui l’entoure, cette absence de
réflexion féconde, et de l’autre la demande de plus en plus forte des d’élèves
et de la société d’une ré-instauration d’une discipline rigoureuse. Les
violences scolaires, les faits divers les plus voyants, ont conforté l’image
d’une école laxiste, incapable de se faire respecter, incapable de faire face
aux situations les plus dangereuses. Or les problèmes que rencontre
l’institution scolaire sont bien plus profonds structurellement que ne le cache
le phénomène de violences scolaires, qui a tendance à occulter le concept plus classique de discipline.
 La solution, disons-le d’emblée, ne passe pas par une sévérité
accrue fonctionnant selon un implicite moral, car une répression qui fait
l’économie d’un discours légitime et d’un respect d’un ordre juste est condamnée
à être rejetée par ceux auxquels elle s’applique. Nous croyons au contraire
qu’il faut affirmer que la question de la discipline scolaire est avant tout
d’ordre juridique. Car la discipline, si elle s’inscrivait dans l’orbite du
droit, se dépasserait en instaurant la loi du vivre-ensemble, création du lien
social dans l’institution scolaire, manière dont vont s’agencer les relations
entre les élèves et les enseignants , afin que se construisent des ordres
normatifs démocratiques, stables, locaux et justes qui permettront un exercice
légitime de la répression.
 Les principes généraux du droit doivent servir de guide à la
production des normes scolaires. L’école est en définitive comme une petite
société qui devrait fonctionner selon une forme de droit. Cette exigence paraît
incontournable dès lors qu’il faut remédier à la crise de légitimité d’un ordre
scolaire dont la logique disciplinaire s’apparente à un
« contre-droit », comme le définissait Michel Foucault dans son
ouvrage : Surveiller et punir, naissance de la prison. C’est-à -dire
une organisation des relations de pouvoir qui enferme les acteurs sociaux dans
un rapport « domination-soumission », qui procédant selon le modèle
pyramidal, classifie, sépare et introduit des différences entre individus.
Pourtant si l’école résiste à repenser
les règles d’autorité, le mouvement théorique et législatif a déjà amorcé un
mouvement de réduction des poches de non-droit dans les espaces clos de la
démocratie. Ainsi la loi d’orientation sur l’éducation nationale du 10 juillet
1989, qui place au premier rang l’apprentissage de la citoyenneté suppose en
même temps un mode de domination compatible avec l’apprentissage de la
citoyenneté.
 Les circulaires du 11 juillet 2000, qui visent à réformer les
règlements intérieurs et les pratiques disciplinaires dans un sens davantage
conforme au droit général par l’intégration des principes généraux du droit
(légalité des délits et des peines, individualisation de la sanction, principe
du contradictoire, principe de proportionnalité des sanctions) poursuivent cet
objectif. Les principes généraux du droit auxquels font référence ces circulaires
sont empruntés à ceux qui guident le droit pénal dans un État de droit où la
lutte contre l’arbitraire et l’injustice dans la répression sont élevées au
rang d’indépassable exigence. Elles constituent une amorce de réflexion sur la
légitimité d’un ordre normatif capable d’assurer la justice et dans les
relations maîtres-élèves et sur leur pacification.
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** La fin de la
discipline traditionnelle.
L’indiscipline d’aujourd’hui est cette
sorte de désordre anomique qui se caractérise par l’impossibilité
quasi-permanente d’établir la communication dans la classe. Celle-ci connaît
des manifestations variées, qui s’analysent en fin de compte comme l’expression
d’un refus de l’ordre normatif scolaire. Les professeurs ont alors à faire Ã
« un désordre diffus et peu ritualisé [qui] témoigne d’une désacralisation
de la règle au sens du terme reconnaître, c’est-à -dire que la loi n’est plus
connue ou si elle l’est, c’est sur un mode distant ; elle n’est plus
appréhendée comme une instance régulatrice »
écrit Eirick Prairat dans son introduction à Sanction et socialisation.
La massification progressive de son
public dès les années 60 a modifié en profondeur la structure sociale des
établissements. La situation se caractérisait auparavant par un enseignement secondaire
réservé à un public d’élèves socialement homogène, qui avait de fait intégré la
culture scolaire, ses rites et ses règles, utilisant au mieux les capacités
reproductrices du système. Avec l’instruction obligatoire jusqu’à 16 ans
l’institution scolaire s’est ouverte à des « publics dépourvus de
références, de manières d’être, d’habitus comme disent les sociologues, de
normes requises pour habiter de manière positive le métier d’élève ».
Disons tout de suite que le problème n’est pas celui de la démocratisation de
l’enseignement, et la solution le retour à un certain malthusianisme scolaire.
Non, ce qui doit être déploré résulte davantage du fait que la massification du
public d’élève n’a pas été suivie d’une
véritable re-fondation organisationnelle de l’institution scolaire. Surtout
nous avons assisté, dans les quartiers les plus déshérités à la concentration
des populations les moins dotées en « propriétés sociales » pour qui
il est difficile de jouer spontanément le jeu de l’école, ne connaissant, ni
n’acceptant les codes implicites et de fait n’intériorisant plus la discipline
et les contraintes qui lui sont associées. Au final c’est bien la
transformation de la relation d’autorité que l’on constate, passant d’un
consensus pédagogique et d’une autorité d’institution à , bien souvent, une
situation de désorganisation normative où l’autorité de la règle est
constamment à ré-instituer. La transformation de la relation pédagogique est
aussi la victime des effets durables de la crise économique, qui grèvent la
compétition sociale des poids du chômage et de la pauvreté. L’illusion de
promotion sociale pour ces nouveaux bénéficiaires de l’enseignement secondaire
a fait long feu, la possibilité d’obtenir, ne serait-ce qu’avec le baccalauréat,
une position sociale plus élevée que celle de ses parents n’y suffit plus. Il
est clair qu’aujourd’hui les manifestations premières d’adhésion des enfants
des familles populaires à la culture scolaire s’estompent au profit de
l’expression d’une certaine désillusion, paradoxe de l’école pour tous. Alors,
la relation devient plus distante entre l’institution scolaire, qui leur donne
l’impression de les dominer, et leur univers. Les procédures spontanées de
contrôle social s’épuisent, la résignation et le désenchantement gagnent, les
formes de défi à l’égard des enseignants et du système se multiplient et
expriment en définitive une déviance qui traduit un rejet de l’institution.
** L’échec d’une
unique gestion de l’indiscipline par les sanctions.
C’est
en fait toute la relation d’autorité qui est à repenser. Or pendant longtemps
et encore aujourd’hui celle-ci a fait l’économie d’une réflexion de fond. Il
semble encore d’actualité de faire dépendre la gestion de la discipline par un
recours excessif aux punitions. La pierre n’est pas à jeter au corps
enseignant, qui faute d’une formation à la gestion de la classe et de ses
moments de l’indiscipline, ne dispose bien souvent d’aucun autre moyen que de
se reposer sur le concept, tout aussi fameux que fumeux, qu’est « l’autorité
naturelle », sorte de manifestation brutale ou subtile du pouvoir
personnel du professeur sur son groupe d’élèves. Or comme l’écrit Bernard
Defrance dans le Journal du Droit des Jeunes « concevoir l’autorité
en classe comme l’imposition d’un pouvoir personnel détruit toute possibilité
d’accès à la compréhension rationnelle des logiques de la loi ».
Il est exact de dire qu’au collège on constate davantage l’existence d’un
rapport « domination-soumission » que celui qui traduirait le respect
de la Loi. L’autorité professorale, ne saurait être que le don de qualités
naturelles, capables d’installer l’équilibre des relations dans la classe par
l’usage de qualités psychologiques et charismatiques. Malheureusement pour les professeurs qui ne peuvent compter
qu’avec des qualités ordinaires, le rapport de force que cette confrontation
duelle suppose peut s’inverser et face à leur groupe d’élèves, ceux-ci
capituleront et finiront par être écrasés et souffrir d’être méprisés.
L’affaiblissement de l’autorité professorale conduit certains professeurs Ã
connaître des situations de travail pénibles, parasités dans leurs activités
d’enseignement par les problèmes de maintien de l’ordre scolaire.Â
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L’indiscipline chronique culpabilise les enseignants qui en sont
victimes et les laisse sans réels moyens pour y faire face. La sanction fait
souvent figure de dernier ressort pour se ré-approprier l’autorité pédagogique
dont ils ont été dépossédés par l’insolence et la fronde de leurs élèves.
Toutefois ce recours massif aux punitions n’est pas sans conséquence sur
l’intensité de l’autorité pédagogique. Car paradoxalement loin de la restaurer
complètement, elle l’affaiblit plutôt, le professeur s’engageant en effet sur
un terrain de perpétuelle confrontation dont il ne pourra sortir qu’au prix
d’importantes concessions. En fait le recours à la sanction et à sa menace est
un pis-aller trompeur. Les manifestations multiples des élèves à ne pas
accepter l’autorité, « contraignent à la ré-activation répétée des
modalités d’actions plus autoritaires de l’autorité et du pouvoir de
sanction ». Mais ce qui
pose véritablement problème dans l’application de la punition à l ‘école
est ce flou qui entoure sa pratique, celle-ci se caractérise par un arbitraire,
dû à la conception très personnelle qu’ont les enseignants de leur métier, et
par un recours fréquent aux punitions illégales, toutes deux sources du rejet
de celles-ci par les élèves.
** Le recours
fréquent à des punitions arbitraires et illégales.
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La
punition est plus ou moins un sujet tabou à l’école, symbole paradoxalement Ã
la fois d’une perte d’autorité et d’une réaffirmation de celle-ci, elle fait
l’objet de peu d’enquêtes sociologiques alors que, comme le dit Pierre Prum,
cité par Bernard Defrance, « elle est loin d’être un épiphénomène du
fonctionnement normal du collège, la punition est constamment au cœur même de
la pédagogie et de la vie scolaire ».
Le collège se caractérise d’ailleurs
par une fréquence élevée du recours à la punition qui, bien que normalement
encadrée par des textes, ne fait l’objet d’aucun contrôle. En somme elle
s’apparente davantage à une pratique marquée par l’arbitraire décrite par
Pierre Merle comme « un fait du prince dans le quotidien de la
classe ». Un double
mouvement interdit aux élèves de considérer la sanction comme étant le résultat
d’un ensemble de règles justes qui la déterminent.
 D’une part, le phénomène de morcellement des pratiques punitives,
chaque professeur ayant son interprétation des règles disciplinaires et de la
notion de punition, donne  une vision
complexe de l’ordre normatif scolaire qui n’est en définitive qu’une
juxtaposition de micro-systèmes de pénalité qui affaiblissent dans la
conscience de l’ensemble des membres de la société scolaire la représentation
du règlement intérieur comme la loi commune et supérieure de l’établissement.
Au contraire celui-ci apparaît plutôt comme un énième système s’appliquant Ã
tout sauf à l’essentiel : ce qui se passe dans la classe. La
multiplication des sous-ordres, qui ne font bien souvent l’objet d’aucune
cohérence entre les professeurs et qui parfois ne se manifestent même pas
logiquement à l’intérieur de la classe, brouille le sens de la punition auprès
des élèves qui la rejettent apparaissant à leurs yeux comme l’expression d’une
injustice et de la toute puissance des adultes.
 Au collège tous les faits ne sont pas punis de la même façon,
l’élève devant s’adapter à chaque changement d’enseignant. Certains ne sont pas
punis, d’autres le sont de temps en temps, d’autres différemment , ce qui
reflète la tendance propre à la culture de l’Éducation Nationale à faire de la
classe un « pré-carré » dans lequel le pouvoir d’un individu
s’applique à d’autres, expression d’un rapport de domination, plutôt que celui
de l’obéissance à une loi unique, impersonnelle et centrale. Ces pratiques
punitives hétérogènes, prennent souvent la forme d’un système de
comptabilisation par croix de ce que les professeurs ne tolèrent pas, suivant leurs échelles ces
croix se traduisent par une sanction, symbole d’une pénalité disciplinaire qui
embrasse tant les comportements innocents que fautifs.
Dans le quotidien de la classe il
existe peu d’harmonisation des pratiques punitives, tout y est mélangé :
la sanction d’une infraction raisonnable et celle d’un fait anodin, la sanction
graduée, tant de croix égale une heure de colle, et celle qui intervient après
un simple rappel à l’ordre, la sanction disproportionnée par rapport à la
faute, la sanction individuelle et la sanction collective, la sanction par
réaction ou humeur et la sanction justifiée, une sanction différente pour un
même fait et enfin la sanction légale et la sanction illégale. Bref, toute une
suite d’arrangements avec les principes du droit qui traduisent en définitive
l’injustice des pratiques punitives.
À cela il convient de rajouter le
non-respect de la légalité des punitions et on obtient alors le triste état
d’injustice de l’application de la punition au collège. Il est dommage de
constater l’oubli dans lequel est tombée
la circulaire du 15 juillet 1890, qui fonde la définition du type de
punition applicable au collège, aussi convient-il, tant ses propos peuvent
étonner d’en citer certains passages : « Le conseil supérieur de
l’instruction publique a voulu que le régime disciplinaire du lycée fût une
école de caractère. C’est pourquoi il a nettement marqué sa préférence pour une
discipline libérale et son éloignement d’une discipline purement répressive (…)
Cette discipline est mauvaise : elle est maladroite et bornée. Elle
sacrifie tout l’avenir à la sécurité du moment présent : elle se satisfait
de l’ordre apparent qu’elle obtient et ne sait ou ne veut pas voir le désordre
profond qu’elle tolère, moins encore celui qu’elle crée. La discipline purement
répressive n’a pas le droit de cité dans nos maisons d’éducation. La discipline
libérale cherche au contraire à améliorer l’enfant plutôt qu’à le contenir, Ã
le gagner plutôt qu’à le soumettre. Elle veut toucher le fond, la conscience et
non cette tranquillité de surface qui ne dure pas, mais l’ordre intérieur, c’est-à -dire
le consentement de l’enfant à une règle reconnue nécessaire : elle veut
lui apprendre à se gouverner lui-même ». De même, dans le prolongement
de cette doctrine seront déterminées les punitions légales et celles qui
dorénavant sont bannies de l’école, ainsi en est-il du piquet des pensums [en
fait les lignes à copier], des privations de récréation ou encore des punitions
collectives.
Cette circulaire demeure la pierre de
touche du régime disciplinaire de l’école en France, les circulaires du 11 juillet
2000, rappellent encore une fois l’interdiction des lignes à copier, des
punitions collectives et de la sanction par une note (souvent le zéro) d’un
comportement. Reste que le problème majeur qui se pose par la suite est la
réticence d’une bonne part du corps enseignant, porté à occulter les pratiques
punitives, basses œuvres auxquelles il succombe malgré lui. Ceci s’explique par
la disqualification de l’acte de punir, considéré comme le « sale
boulot » que les professeurs ne peuvent (ne veulent) assumer. Comme le
synthétise Éric Debarbieux « punir n’est plus naturel, cela veut dire
aussi que cette pratique « honteuse » est devenue une pratique floue,
sans précisions « juridiques », avec le risque d’être plus « un
fait du prince » qu’une manière juste de dire et de faire la
justice » et toujours selon ce dernier et suivant les résultats de son
enquête exhaustive « on arrive à près des deux tiers des élèves punis qui
ont subi une peine interdite ».
 Le constat est amer quant au respect de la légalité en matière de
punition, véritablement incompatible avec les exigences d’un État de droit. À
la transgression des élèves on répond par la transgression des textes légaux.
Les effets de cette pratique de la punition, laissée au bon vouloir des
enseignants est contraire au fonctionnement du collège selon les principes
généraux du droit. L’autorité qui s’exprime n’est pas celle qui se reconnaît
une loi supérieure mais, l’expression du pouvoir d’un individu sur un autre. Et
c’est entre autres pour cette raison que la punition est très mal acceptée par
les élèves, davantage perçue comme l’expression d’une passion plutôt que
l’application d’une sanction à la transgression de l’ordre normatif
scolaire. Il est dommage en définitive que l’arbitraire soit la marque du
« code pénal » scolaire et que trop de pratiques professorales se
soient écartées de la ligne directrice de la discipline scolaire et de la
punition telle que définies dès 1890. Visiblement les blocages de l’institution
sont tenaces et vouloir rapprocher les pratiques disciplinaires des exigences
du droit est certainement un projet qui ne fait pas partie, actuellement, de la
culture de la gestion de la classe.
** Le droit, un
nouvel outil dans l’organisation des relations scolaires.
Le rapport de force au sein de la classe, les missions
normalisatrices, extérieures à la dimension juridique de la punition, et une
discipline qui n’est qu’un « contre-droit » dressent un état du
rapport au droit bien mince au collège. Les relations professeurs-élèves semblent
totalement y échapper, si bien qu’en définitive le collège apparaît comme une
institution fonctionnant selon le « bon vouloir de chacun ». Or
quelques sociologues, professeurs en sciences de l’éducation, professeurs de
collège et malgré tout quelques juristes, pensent le renouvellement des cadres
de l’action pédagogique en rapport avec le droit et notamment ses principes
fondateurs.
La tentation du juridisme doit être le
repoussoir à cette volonté de faire fonctionner au quotidien l’école en
conformité avec le droit. Régler l’ensemble de la complexité de la réalité des
rapports scolaires par des normes impératives et indiscutables n’est pas la
solution. Le droit est plus souple que sa réalité positive, qui a eu tendance Ã
occulter ses autres facettes. En fait, plus que les règles de droit, l’école
doit intégrer comme une exigence majeure, de faire sienne, les principes
fondateurs du droit, ces principes qui permettent justement d’écrire ces règles
positives. Nous, nous situons davantage sur le terrain de l’éthique que du
juridisme, ces principes ne portent aucune prescription positive, ils ne disent
pas ce que j’ai le droit de faire mais ce que je n’ai pas le droit de faire.
Ils ne sont que les critères de légitimité de la loi. De même nous ne
préconisons pas l’utilisation à outrance du droit, et nous combattons l’a
priori paralysant selon lequel le droit annihilerait la volonté d’action.
Au contraire il est plutôt question de
développer dans une logique éducative des actions responsables par la
connaissance juridique et notamment par l’application aux réalités scolaires
des principes généraux du droit tels que la motivation des décisions, le
principe du contradictoire, ou encore le respect des droits de la défense et
l’existence matérielle de l’acte reproché. En fait nous sommes persuadés de
l’importance de lier l’acte juridique, dans sa forme légitime, à l’acte
éducatif. Car il est vrai que ce n’est qu’ainsi que l’institution pourra
réduire ses contradictions flagrantes entre ses finalités affichées et ses
pratiques réelles, qu’elle pourra dans une préoccupation éducative donner accès
aux élèves à la citoyenneté et à la responsabilité et qu’elle pourra en
définitive, leur offrir un cadre irréprochable afin de rendre crédible les
règles.
Comme le suggère Jean-Pierre Rosenczveig,
président du tribunal pour enfants de Bobigny, il faut mettre fin à cette
situation permanente d’arbitraire où chacun fait sa loi, sans les mêmes
références, ni les mêmes légitimités et sans même les expliquer dans leur sens
à ceux qui vont les supporter. La solution, à ses yeux, passe par le recadrage
de la question de la discipline sur le terrain du droit : « C’est un
état d’esprit qu’il faut développer. On verra que le droit n’est pas exclusif
d’humanité et de prises en compte des logiques personnelles et
institutionnelles. Le droit est en réalité plus souple que l’on ne croit
communément. Il offre l’intérêt de mettre une planche commune sous les pieds
des uns et des autres, adultes comme jeunes, professionnels ou non. Il est le
reflet du contrat social qui structure les comportements des uns et des autres.
Il est imparfait, mais discutable et perfectible. Il a l’avantage d’offrir une
référence aux uns et aux autres, avec sa logique. »
Les principes du droit doivent
coloniser les espaces laissés à l’abandon par la discipline, ils doivent
devenir le moyen d’accéder à un ordre normatif qui est à construire par
l’ensemble des membres de la société scolaire et que la seule direction vers
laquelle ils doivent aller est l’exigence d’un fonctionnement selon la justice,
caractéristique essentielle des sociétés démocratiques.
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** Une nouvelle
pédagogie par le droit, les circulaires modifiant les procédures disciplinaires
du 11 juillet 2000.
Les circulaires du 11 juillet 2000, proposent une
alternative à la criminalisation des comportements d’indiscipline. Elles visent
en l’occurrence à changer radicalement les pratiques disciplinaires et les
relations entre les établissements, les élèves et leurs familles, pour les
placer sous le signe du droit. Appliqué à la vie scolaire le droit diffuse une
pacification dans l’action éducative, parce qu’il enjoint le respect par
l’établissement des procédures en matière disciplinaire et dissipe ainsi
l’arbitraire qui s’est longtemps nourri du secret et des arrangements, marques
du fonctionnement du passé. Le but des circulaires a été de donner un cadre
solide à l’exercice de la punition afin d’éviter qu’elle ne se perde dans un
morcellement des pratiques professorales, d’affaiblir ainsi la caractéristique
majeure du collège en France qui est marqué par une multipolarisation
exacerbée. Donner à tous les garanties que l’on sera puni si l’on commet une
faute avec justice, retire le sentiment d’être à la merci des humeurs des
professeurs. Face à une égalité de traitement, la loi se comprend mieux et
s’intègre d’autant plus vite. Alors en somme intégrer la loi, c’est finalement
accepter de se déprendre de son arbitraire et de ceux qui sont en position de
vous l’imposer, c’est accepter de dire que je ne suis libre que parce que la
loi me le permet et que je suis l’obligé du monde, soucieux d’articuler ma
liberté avec celle des autres grâce à la médiation du droit. Le couple
liberté-responsabilité est donc justifié par l’attachement à appréhender de la
même façon les actes transgressant l’ordre normatif.
Les circulaires ont donc retenu les
quatre principes majeurs du droit pénal, digne d’un État de droit, ainsi
mentionnons : le principe de légalité des sanctions et des procédures, qui
fait écho au célèbre adage de Cesare Beccaria « nul crime, nulle peine
sans loi », celui du principe du contradictoire qui a le souci des droits
de la défense et qui est considéré depuis les arrêts du Conseil d’État du 5 mai
1944 (Dame Veuve Trompier-Gravier et du 26 octobre 1945 Aramu) comme un principe
fondamental reconnu par les lois de la République et qui par conséquent empêche
qu’aucun texte ne puisse y porter atteinte. Ce dernier principe s’articule avec
celui de motivation de toute décision administrative définit par la loi du 11 juillet
1979. Le formalisme protège, et il faut, donc, un énoncé clair et rigoureux des
considérations de fait et de droit qui constituent le fondement de la décision,
ainsi qu’une motivation écrite et précise. De même, les circulaires prévoient
le respect du principe de proportionnalité de la sanction. L’on suppose alors
l’existence matérielle des faits et l’implication de l’élève dans la
réalisation de l’acte fautif. La proportionnalité de la sanction est ensuite la
combinaison de plusieurs facteurs tels que les circonstances de l’affaire et la
personnalité de l’élève. Enfin dernier principe, celui d’individualisation de
la sanction, qui de fait interdit toute sanction collective. Ainsi selon les
termes de la circulaire il convient de sanctionner, non seulement en fonction
de l’acte commis, « mais également et surtout s’agissant des mineurs, en
considération de la personnalité de l’élève et du contexte de chaque
affaire ». Toutefois, afin d’éviter une certaine
« tarification » des sanctions, la circulaire entend rappeler que la
punition a une finalité tant juridique qu’éducative qu’il faut respecter car de
là dépend la bonne réception par les élèves de la punition. Ainsi le rôle de la
sanction est « d’attribuer à l’élève la responsabilité de ses actes, et de
le mettre en situation de s’interroger sur sa conduite en prenant conscience de
ses conséquences », ici la sanction répare, et « lui rappelle le sens
de la vie en collectivité (respect de la société et des individus, nécessité de
vivre ensemble de manière pacifique) », ici la sanction punit la
transgression de la loi.
** Certaines
limites au projet d’une pédagogie par le droit.
Il
faut être pragmatique avant toute chose et ne pas masquer les possibles freins
et les imperfections de ce projet de re-fondation de la discipline scolaire,
par sa soumission aux exigences du droit. La transformation que cela induit
bouscule les certitudes et les habitudes du corps enseignant et de
l’administration des établissements scolaires, ceux-ci se montrant méfiants
face à un projet qui pourraient conférer des droits aux élèves, rendant alors
encore plus compliqué l’acte de punir. Le formalisme exacerbé semble même être
une faiblesse que l’on accorde aux enfants, comme les droits de la défense
qu’on leur reconnaît maintenant conduiraient à réduire l’autorité professorale.
Ceux-ci mèneraient inévitablement à une contestation permanente, tout comme
l’amnistie laisserait la bride sur le cou aux récidivistes, et que le temps
nécessaire à la réflexion et à la confrontation retarderaient la prise de
décision, la sanction alors perdrait toute son efficacité car il convient
surtout de sanctionner vite selon eux.
Les
blocages institutionnels sont nombreux, car en fait c’est tout le projet de
pédagogie par le droit et les transformations qu’il comporte qu’il convient de
particulièrement expliquer, c’est-à -dire engager une véritable information sur
la nécessité de maintenir et fonder en droit l’autorité de l’adulte, inscrite
dorénavant dans les principes généraux du droit. Ces bonnes intentions auront
certainement beaucoup de mal à être traduites en actes car il faudra compter
avec les obstacles que constituent le poids des pratiques, un certain
immobilisme du corps enseignant, et le climat parfois tendu et figé où la
confiance mutuelle entre professeurs et élèves est difficile à faire renaître.
De même, parce que cela suppose un retournement des pratiques, il convient de
réfléchir à une nouvelle façon d’impliquer les élèves aux réalités de
l’institution et à l’apprentissage actif de ce que les élèves ont le droit de
faire au sein de l’école, afin qu’émerge de façon convenable une compréhension
satisfaisante et stimulante des règles de la démocratie.
Enfin le texte gouvernemental ne
saurait souffrir d’aucun défaut, et il est encore dommage de constater certains
freins à l’émergence d’un droit disciplinaire scolaire plus juste et accompli.
Il est surtout question de l’absence de définition de ce qui constitue un fait
fautif au collège et de la relativité de leur gravité, encore laissée à la
large appréciation de la sensibilité et à l’arbitraire des adultes. S’il est
pourtant vrai que la formulation, à la manière d’un code pénal, d’une échelle
de sanctions pour telle ou telle faute commise, n’est pas compatible avec la
réalité scolaire car, comme le dit Claude Durand-Prinborgne,
« l’automaticité serait ici contraire à ce qu’est le droit disciplinaire
et à sa souplesse nécessaire, pour des questions d’opportunités, liées à la vie
scolaire. Elle serait techniquement impossible à mettre en œuvre par des
rédacteurs des textes qui ne sauraient tout prévoir et tout modifier »,
il aurait été en revanche souhaitable que le ministère aille toutefois plus
loin dans l’éradication des multiples incohérences des manières de punir. En
effet s’il est difficile de tout prévoir, l’enquête de Pierre Prum La
punition au collège révèle qu’il existe plus de deux mille motifs
entraînant une punition.
Une définition des caractéristiques
d’un fait fautif, et non l’énonciation d’un catalogue de fautes, aurait pu être
une solution satisfaisante respectueuse des libertés d’appréciations des
situations par les enseignants. Ici en fait nous pouvons déplorer le
rapprochement de la discipline et du droit, celle-ci reste comme le dit Michel
Foucault encore empreinte d’une pénalité perpétuelle, l’expression d’une
pénalité de la norme, non de la loi, à l’instar du droit répressif. Il importe
de compléter ces textes et d’introduire dans les règlements intérieurs le
fondement d’un fait fautif, comme il en est de la définition de la faute civile
à l’article 1382 du Code Civil. C’est-à -dire d’une généralité assez suffisante
pour s’adapter en souplesse à la diversité de la vie sociale, et s’il a été
possible de le faire pour la société, aucun obstacle théoriquement n’empêche
d’en faire autant pour ce qui peut se passer dans la classe ou les
établissements. Ainsi la référence
subjective à la gravité du manquement commis par l’élève, subordonnant le type
de punition qui peut lui être attribué est remplacée par une donnée
objective : le dommage qu’il cause à la société du collège, et suivant les
conséquences de ce dommage (qui peut être moral, physique, léger ou grave,
supporté par une personne ou un bien, symbolique ou matériel...) lui infliger
une sanction proportionnée. Aujourd’hui l’absence de définition des caractères
objectifs d’un fait fautif empêche la réalisation finale d’un droit
disciplinaire scolaire.
** Pour aller
plus loin : esquisse d’une théorie du droit scolaire.
Il
a été question dans les lignes qui précèdent d’une volonté de corriger les
défauts de l’ordre disciplinaire classique du collège, par sa soumission aux
exigences des principes généraux du droit. Il faut avant de présenter
véritablement un embryon de solution, rappeler qu’il n’est absolument pas
question de transformer la relation pédagogique en relation juridique. Le
projet est tout autre, et il se situe davantage dans l’optique de répondre à la
question de savoir comment l’école peut renouveler un type de domination
compatible avec une conscience démocratique et les impératifs de justice qui
lui sont inhérents.
Le modèle disciplinaire formel a échoué
à s’imposer comme un ordre juste, démocratique et stable, car en lui-même il
porte les marques d’une régulation sociale a-juridique et il devient nécessaire
devant la crise de légitimité de l’ordre normatif scolaire, perçu par les
élèves comme l’imposition violente de normes arbitraires, de renouveler le
cadre de pensée du mode d’institution des règles. Il est à notre sens dommage
de croire qu’il n’existe qu’une façon de voir et de construire du droit. Il
existe à côté du droit formel, celui rendu valide par les procédures
officielles dans un ordre juridique donné, un « droit social vivant »
plus profond et plus riche, fruit de la vie sociale et de l’expérience originaire.
 Il convient de réfléchir à un mode alternatif de production de
normes qui ne soit pas relégué au modèle disciplinaire, ne cherchant à agencer
les rapports de pouvoir que selon l’asymétrie et la soumission. Il est plus
intéressant de trouver des nouvelles manières d’agencer des relations sociales
qui cherchent à établir la justice entre les membres d’un groupe social, et qui
respectent l’impératif d’une normativité juste, seule source de légitimité et
d’acceptation d’un ordre normatif.
 On appellera finalement « droit » le modèle de
régulation sociale composé « de l’ensemble des règles obligatoires
qui déterminent les rapports sociaux tels que la volonté collective du groupe
se les représente à tout moment ».
Toutefois une telle définition du droit ne saurait exclure une théorie qui
détermine et garantisse son objet, l’agencement des libertés, ainsi que sa fin,
la poursuite de la justice. C’est ici que les principes généraux du droit et de
fait les principes généraux de la démocratie interviennent pour fixer à ce
droit un horizon éthique, ils seront
ceux qui structureront et fonderont l’ensemble de ses règles. Comme l’écrit
Jean-Pierre Obin au sujet des chefs d’établissement en charge de la
reconstitution du pacte scolaire cela passe par « dire et faire appliquer
le droit, notamment face à ceux qui voudraient le déclarer illégitime au nom
des conceptions politiques ou religieuses, pour éduquer à la citoyenneté, ils
doivent pouvoir s’appuyer sur une position morale, non pas individuellement
mais institutionnellement. Cette morale nécessaire est celle qui permet de
fonder l’idée démocratique, une morale laïque renouvelée, une morale du droit
et non plus de fait, qui définit les hommes comme libres, égaux et solidaires,
celle que définit Marcel Conche : « comme la morale des droits et des
devoirs universels de l’homme ».
Le droit libre s’épanouit alors dans ce cadre qualifié de morale laïque, et
c’est aux collèges de définir selon leurs différentes réalités l’ensemble des
règles qui décideront de l’avenir des relations entre tous les membres de la
société scolaire.
Il convient une fois cette étape
déterminant la normativité de cet ordre d’affiner la question qui permettra de
« construire de la loi dans l’école », de faire émerger les normes du
collège de structurer le sens de la loi et de l’expliquer afin qu’elle
s’impose. Ceci ne saurait se réaliser qu’en tenant compte des réalités diverses
de la relation pédagogique. Nous pensons alors que la fabrication d’ordres
justes et démocratiques passe par une procédure qui se réclame de la
communication. L’objectif d’une telle rationalité est de réinventer le lien
social et la manière de voir le droit. C’est en fait l’abandon de la conviction
que les normes sont découvertes au profit de la notion d’invention des règles
qui est à la base de la réflexion. De l’expérience procède le droit qui
permettra de coordonner l’action des membres de l’école. Cela passe alors par
un travail d’explicitation des fins et des sens des règles, de ce qu’il est admis comme pouvant être négociable
ou non, par la mise en place d’institutions et de procédures afin de favoriser
une ambiance sereine dans l’établissement. Bref de se donner le temps, et peut-être
que la première semaine de la rentrée pourrait être l’occasion de présenter
premièrement les principes généraux qui
régissent le service public de l’enseignement en France (Gratuité, Laïcité, Égalité
des moyens), mais aussi dans un deuxième temps faire réfléchir les élèves avec
les professeurs et le personnel administratif de l’établissement à la création
des normes et des ordres scolaires, à faire prendre conscience qu’une loi
commune peut organiser le vivre-ensemble, et ainsi les faire sortir du face Ã
face stérile quant à la compréhensionÂ
du sens de la loi. Donner les moyens en définitive de créer des
conditions de parole critique et de stimuler les élèves à l’apprentissage de la
vie ensemble. Il est évident que la poursuite d’un tel objectif passe par les
formes d’un débat dont les élèves pourront maîtriser les enjeux. Le préalable
est donc la mise en place d’une pédagogie du droit (et par le droit), non pas
simplifiée mais explicitée selon des situations et des termes que chaque élève
pourra comprendre (l’idée de justice n’est-elle pas innée ?). Ce faisant
le collège accomplirait de façon vivante et vivifiante sa deuxième
mission : l’apprentissage de la citoyenneté.
On le voit, inscrire la discipline dans
l’orbite du droit, conduirait à un renouvellement sans doute salutaire de la
relation maître-élèves.
Dominique Messineo.