texte issu de :
http://www.construire.ch/SOMMAIRE/0312/12entre.htm
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LA BANLIEUE N'EST PAS UN REALITY SHOW
Projets, vie associative, solidarités... Le
sociologue Michel Kokoreff
montre, avec un livre issu de dix ans de
recherche, que le quotidien
dans les "quartiers difficiles", en
France, ne se résume pas à la
délinquance.
L'enquête se déroule dans un quartier de la
périphérie nord de Paris,
habité en grande majorité par des familles
issues de l'immigration.
Menée par Michel Kokoreff, elle a duré une
dizaine d'années. Dix ans
d'observations et de rencontres pour comprendre
les "banlieues", au-delÃ
du sensationnalisme médiatique. Ce travail
sociologique a donné lieu Ã
un livre très vivant: La force des quartiers (Payot). D'où il
ressort
que si la délinquance existe bel et bien,
l'envie de s'en sortir, la
vitalité et le dynamisme associatifs existent
tout autant. Encore
faudrait-il ne pas leur mettre des bâtons dans
les roues.
* Comment avez-vous été
accueilli? Et quelle est votre démarche?
Enquêter dans les quartiers de banlieues
populaires n'est pas simple.
Parce que ces espaces et les populations qui y habitent
sont très
stigmatisés par les médias, la classe
politique, les institutions. Et
parce que la suspicion est forte à l'égard des
"étrangers de l'extérieur"
(éducateurs, journalistes, chercheurs...).
Du coup, le chercheur est sans cesse mis Ã
l'épreuve sur ses intentions,
son travail et ses retombées concrètes, etc. En
gros, la position du
sociologue peut être assez proche de celle de
l'avocat: faire des
enquêtes pour aller à l'encontre des idées
reçues et défendre les gens...
* Comment vous y êtes-vous
pris?
J'ai toujours affiché la couleur, sans
dissimuler qui j'étais et ce que
je faisais. De plus, en tant que sociologue mon
propos n'est pas de
porter un jugement moral; il consiste Ã
respecter les gens rencontrés,
qu'ils soient de simples habitants ou des
toxicomanes, et d'écouter ce
qu'ils disent de leur expérience sociale.
* Le temps d'enquête est un
atout précieux, j'imagine?
Il est certain que la durée est une donnée
essentielle de tout travail
de terrain. Mon enquête s'est étalée sur dix ans.
Au fil du temps, la
confiance s'est installée, des liens se sont
noués, des rencontres
essentielles ont eu lieu. Mon rôle a évolué peu
à peu. Au début, on me
prenait pour un policier en civil, après on
m'interpellait en me
demandant des nouvelles de mon bouquin...
* La violence est-elle
"l'état naturel" des quartiers que vous avez
étudiés?
Absolument pas. Je n'ai quasiment jamais
assisté à des bagarres ou à des
scènes de violence au cours de ces années
passées sur le terrain.
Pourtant, ces lieux avaient une très mauvaise
réputation.
Ce n'est pas pour autant faire preuve
d'angélisme. La violence existe,
mais elle s'inscrit toujours dans un contexte
qui lui donne sens. Au
quotidien, le problème est davantage dans les
inconduites des "petits",
la dégradation des parties communes des
immeubles. Ou encore les moments
de tension entre les habitants, entre les
jeunes et les forces de
l'ordre...
* Le ministre français de
l'Intérieur voit d'un oeil mauvais les
rassemblements de jeunes en
bas des immeubles. Mais au fond pourquoi
sont-ils là ? Qu'y font-ils?
Première explication, simple: ces jeunes n'ont
pas d'autres lieux où se
retrouver. Chez eux, c'est impossible, faute de
place et du regard des
parents. A l'extérieur, c'est le désert! A
peine s'il y a un café ouvert
le soir. Depuis l'origine des grands ensembles,
la question de pouvoir
disposer d'un local a été récurrente. Seconde
explication: les halls
sont devenus un lieu ritualisé de la
"galère" des jeunes. On s'y croise
et y évoque les nouvelles locales, on y éprouve
à la fois la dureté des
conditions de vie et la chaleur communicative
du groupe, l'ennui et la
défonce.
C'est une sorte de refuge pour fumer son joint,
mais cela peut être
aussi un lieu de trafics illicites. Tout cela
fait de ces halls des
lieux hautement symboliques. Ce qui conduit Ã
des interventions des
forces de l'ordre, sans qu'il y ait
nécessairement constat d'une
infraction. L'occupation des halls est devenue
un délit passible de six
mois de prison et 7500 euros d'amende. Bel
exemple des dérives
sécuritaires contenues dans les dispositions
des lois votées suite aux
dernières élections présidentielles...
* Vous dites à ce propos que
l'insécurité est "co-produite".
Qu'entendez-vous par là ?
Dans ces zones de marginalité urbaine et sociale,
le face à face, en
particulier entre jeunes et police, conduit Ã
un climat explosif. Bien
des jeunes prennent à un moment le chemin de la
délinquance, ce qu'ils
appellent le "vice". Mais par leur
lieu de résidence et leur origine,
ils subissent aussi des contrôles
systématiques, au faciès, accompagnés
de brimades, des fouilles illégales. De telles
pratiques sont évidemment
vécues comme une injustice. Elles favorisent
l'émergence de certains
délits alors qu'elles sont censées les
résorber.
C'est un problème capital aujourd'hui: quand
les dépositaires légitimes
de l'ordre public transgressent eux-mêmes les
lois, le "droit du plus
fort" semble l'emporter, et c'est la
nature même du lien social qui est
remise en cause en incitant à se faire justice
soi-même.
* En dix ans, dites-vous, la
problématique est passée des rubriques
société, avec le thème de
l'exclusion sociale, Ã celles des faits divers,
avec le thème de
l'insécurité. Pourquoi ce glissement ?
L'insécurité est un phénomène qui émerge Ã
partir des années 1970 dans
un contexte de récession économique. La
question des banlieues, en
France, apparaît comme un problème social au
tournant des années 1980.
Faire face à ce malaise, c'est lutter contre
l'exclusion sociale par la
mise en place de nouvelles formes
d'intervention publique.
Tout cela a été remis en cause au cours des
années 1990. Les banlieues
relèvent au mieux du fait divers, au pire de la
cour d'assises:
incivilités, violences dites
"urbaines" ou "scolaires", pitbulls,
trafics, viols, etc. La responsabilité des
médias est déterminante à cet
égard lorsqu'ils contribuent à mettre en scène
ces méfaits sur le mode
des reality show, en jouant la carte du
sensationnel. Le règne du fait
divers, c'est aussi la dépolitisation des
questions de société. A cela
s'ajoute la prégnance de l'idéologie
néolibérale qui conduit à rabattre
les phénomènes sur la seule responsabilité
individuelle, voire Ã
culpabiliser les familles. C'est dire la
pauvreté du débat!
* Le manque de lien social
est, soi-disant, caractéristique de notre
société. Selon vous, il est
au contraire en excès dans les quartiers...
Tout le monde, en effet, se connaît dans le
quartier ou la cité. Il
existe entre les générations, comme au sein
d'une même génération, des
liens extrêmement forts, une solidarité
informelle du groupe familial,
des réseaux de voisinage et de sociabilité
amicale. Je ne dis pas que
c'est "le village dans la ville".
Mais c'est une dimension importante et
méconnue de la vie dans ces quartiers. Cela
explique les difficultés des
jeunes à quitter un monde où l'univers familial
et l'univers du quartier
se juxtaposent.
* Vous citez des modes de
communication propres au quartier. Qu'est-ce
que "l'embrouille",
par exemple?
Pour les jeunes, s'embrouiller est une activité
sociale essentielle.
L'embrouille, c'est l'imbroglio, le différend,
le quiproquo, donc un
climat de tensions et de conflits qui peut
partir d'un rien (un regard,
par exemple) et aller à la bagarre générale.
L'embrouille implique de
proche en proche les autres. Autrement dit,
s'embrouiller, c'est activer
des chaînes de solidarité.
* Y a-t-il des expériences
(médiateurs, agents de proximité, mesures de
prévention, etc.) qui ont
fait la preuve de leur utilité sociale?
Le bilan des politiques dites "de la
ville" est paradoxal. D'un côté,
elles n'ont pas eu les effets escomptés, elles
n'ont pas fait reculer le
chômage ou l'échec scolaire, la délinquance et
les incivilités, leur
manque de lisibilité est aussi criant. D'un
autre côté, les dispositifs
ont permis l'émergence de nouveaux profils
d'emplois et de nouveaux
acteurs locaux, issus des quartiers et de
l'immigration, qui viennent
faire tampon là où les médiations
institutionnelles classiques ont
disparu.
Mais ces actions se heurtent à de multiples
obstacles institutionnels,
bureaucratiques, politiques. C'est le cas du
projet de "médiateurs de
nuit", initié par des habitants et qui n'a
jamais réellement vu le jour.
Or l'action publique a besoin de ces supports
locaux (jeunes leaders,
adultes-relais, associations de quartiers,
etc.). Neutraliser les
"forces vives", c'est exposer Ã
l'échec programmé et favoriser le repli
sur soi!
* Si davantage d'habitants de
ces quartiers étaient élus, au niveau des
mairies par exemple, les
choses iraient-elles mieux? Les obstacles
sont-ils encore trop
nombreux?
On l'oublie bien souvent, il existe une forte
conscience sociale et
politique parmi la génération des trentenaires,
en particulier parmi
ceux que l'on a appelés les "Beurs".
Ceux-ci ont une double identité:
nés de parents émigrés, ils ont bien souvent la
nationalité française,
et ont parfaitement intégré les valeurs de la
République. Leur double
culture est une richesse qu'ils revendiquent.
C'est toute la différence
avec les strates précédentes de l'immigration
(Belges, Polonais,
Italiens...) qui ont été "assimilées"
rapidement, sans remettre en cause
le fonctionnement de la société.
Or, ce n'est plus le cas. L'expérience sociale
des Maghrébins est celle
du racisme, des discriminations, de la
diabolisation et de la
criminalisation, contre lesquels ils se
révoltent. La société française
est placée devant un véritable défi: prendre en
compte sa diversité
culturelle, non dans les discours mais dans les
faits, au sein même des
institutions.
* Au fond, cette "force
des quartiers", en quoi consiste-t-elle,
principalement?
D'abord, dans l'attachement très fort des
habitants à leur quartier -
même s'ils sont les premiers à le critiquer. Ce
qui traduit un phénomène
plus général: on ne se définit plus en
s'identifiant collectivement Ã
une classe ou au travail ouvrier. C'est la cité
ou le quartier qui
définit un "nous" lorsque les autres
supports de l'identité font défaut.
Mais la force des quartiers, c'est "la
force des faibles", comme dirait
Nietzsche: une capacité de résistance au stigmate
et à la misère, une
vitalité associative, un potentiel politique...
Il est le temps de le
reconnaître plutôt que de s'en tenir à une
vision de la réalité sociale
obsédée par les idéologies sécuritaires et la
peur.
Propos recueillis par Elisabeth Gilles
Michel Kokoreff possède un doctorat de sociologie. Il est
maître de
conférences à l'Université de Lille 1,
actuellement en délégation au
CNRS (Césames-Paris V).
A lire: La
Force des quartiers. De la délinquance à l'engagement
politique, Payot, 2003
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« Se rebeller est juste, désobéir est un
devoir, agir est nécessaire ! »
                                                  Â
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Résistons ensemble
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