CLARIS. Le Bulletin
Numéro 3, novembre 2002
â Justice des mineurs â
Sommaire
Page 2
Introduction : la justice des mineurs Ă lâĂ©preuve du
pénal
Michel Kokoreff
Page 6
Le devoir dâhistoire ?
Françoise Tétard
Page 12
â Apaches â,
â blousons noirs â, â sauvageons â et autres
â racailles â...
Laurent Mucchielli
Page 15
OĂč va la justice pĂ©nale des mineurs ?
Entretien avec Michel Huyette
Page 27
 âVous avez le
droit de garder le silence...â.
Soins, éducation, répression, quelle cohérence ?
Marie Bastianelli
Page 34
EnquĂȘte dans les quartiers pour mineurs des prisons françaises
Laurent Mucchielli
Page 40
LâĂ©cole : du rapport dâincident au dĂ©lit
Maryse Esterle-Hedibel
Page 44
Le dĂ©lit dââ outrage Ă enseignant â :
illusion dâaction politique et doxa sĂ©curitaire
Marwan Mohammed
Page 46
Une mesure
applicable ? Le point de vue dâune chef dâĂ©tablissement
Entretien
avec Martine Rozet
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La justice des mineurs Ă
lâĂ©preuve du pĂ©nal
La
loi dâorientation et de programmation pour la justice a Ă©tĂ© votĂ©e par les dĂ©putĂ©s,
le 3 aoĂ»t 2002, au beau milieu des vacances. Ce rappel nâest pas quâanecdotique
: difficile dây voir autre chose quâune habilitĂ© politicienne Ă contourner le
dĂ©bat de fond sur les questions de justice aprĂšs que lâannonce du projet de loi
dans la presse ait suscitĂ© des polĂ©miques Ă la veille de lâĂ©tĂ©. La rapiditĂ©
avec laquelle la loi Perben a été votée traduit sa dimension fondamentalement
politique dans un contexte oĂč les questions de sĂ©curitĂ© et de dĂ©linquance
juvĂ©nile ont envahi le langage et les esprits, et oĂč â rassurer â
lâopinion publique est devenue un leitmotiv. Plusieurs organisations
professionnelles et associations ont dénoncé cette précipitation et le manque
de concertation, tout en se prononçant sur le fond, sans toujours se faire
beaucoup entendre, tant le dĂ©bat semble confisquĂ©. Câest pourquoi, il nous
paraĂźt important dâen clarifier les enjeux et dâen comprendre le sens ; cela en
sâefforçant de resituer plus largement cet Ă©pisode dans un processus de
transformation de la justice pĂ©nale partout Ă lâĆuvre dans nos dĂ©mocraties.
Quels sont les enjeux dâun tel
débat - souvent piégé par sa technicité et les malentendus que suscitent les
mineurs délinquants ? Un des aspects centraux de la loi Perben est la remise en
cause du droit des mineurs, sâinscrivant en cela dans la perspective du rapport
du SĂ©nat remis en juin 2002 (DĂ©linquance des mineurs. La RĂ©publique en quĂȘte
de respect). En effet, plusieurs principes fondamentaux sont visés par les
nouvelles dispositions : crĂ©ation de sanctions dĂšs lâĂąge de 10 ans, possibilitĂ©
dâune dĂ©tention provisoire pour les 13-16 ans en cas de violation du contrĂŽle
judiciaire, mis en place de â centres Ă©ducatifs fermĂ©s â et de
â centres de dĂ©tention pour mineurs â, application de la comparution
immédiate à l'égard des mineurs multirécidivistes, institution de juges de
proximitĂ© concernant les petits dĂ©lits, sanctions Ă lâĂ©gard des familles des
mineurs dĂ©linquants, nouvelle qualification pĂ©nale des injures profĂ©rĂ©es Ă
lâencontre des enseignants⊠Par lĂ , cette loi semble bien traduire â sans
parler des autres dispositions, et conjointement au projet de loi de
â sĂ©curitĂ© intĂ©rieure â - une pĂ©nalisation du champ politique et
social. Ces dispositions prennent sens en regard du constat â discutable â
selon lequel la délinquance des mineurs serait toujours plus précoce et
violente, concernant un â noyau dur â dâadolescents dont les
exactions auraient pour cause et effet la démission parentale. Sans doute ce
processus et les constats qui le sous-tendent sont antérieurs au retour de la
droite au gouvernement : ils prolongent notamment lâorientation dessinĂ©e
par la gauche depuis 1997, depuis la crĂ©ation des centres fermĂ©s jusquâaux
dispositions de la loi anti-terroriste sur les halls et la fraude dans les
transports. NĂ©anmoins, force est de constater lâaccentuation dâune gestion
pénale des problÚmes sociaux.
Lâinterview
réalisée avec Michel Huyette permet de rappeler les grandes lignes de la
justice des mineurs instaurĂ©e Ă travers lâordonnance de 1945. On se contentera
de rappeler que cette derniÚre était basée sur un triple principe : la
justice ne peut traiter un enfant comme un adulte, elle proclame le primat de
lâĂ©ducatif, et dans le mĂȘme temps, la nĂ©cessitĂ© dâun juge spĂ©cialisĂ© apparaĂźt.
En retenant la notion â dâĂ©ducabilitĂ© du mineur coupable â, le
législateur entérinait une conception de la responsabilité collective de la
sociĂ©tĂ© Ă lâĂ©gard des jeunes, considĂ©rĂ©s comme le maillon le plus faible du
lien social. En dépit de multiples adaptations, cette philosophie a été maintenue.
Pour autant, cette ordonnance nâexcluait pas des mesures rĂ©pressives, y compris
des peines dâemprisonnement, tout en considĂ©rant le mineur dĂ©linquant comme un
ĂȘtre en devenir, et non pas irresponsable. Ainsi, lors de ces derniĂšres annĂ©es,
le nombre de mineurs condamnés pour délits a été multiplié par trois, passant
de 9404 condamnations en 1995 Ă 36 787 en 1999 ; en 2000, prĂšs de 4000 mineurs
ont Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ©s, soit prĂšs de deux fois plus quâen 1990. Lâaccusation
rituelle dâune justice laxiste est, lĂ comme ailleurs, non fondĂ©e. Par contre,
les rares enquĂȘtes de terrain tĂ©moignent de lâillĂ©gitimitĂ© des conditions
dâenfermement des mineurs (voir le compte rendu de lâouvrage de E. Zombeaux) â
comme des majeurs.
Avec
la loi Perben, tout se passe comme si câĂ©tait cette logique qui sâinversait, la
sanction pĂ©nale lâemportant sur les mesures Ă©ducatives. Plus prĂ©cisĂ©ment, Ă une
dialectique fine entre lâĂ©ducatif et du judiciaire vient se substituer une
nouvelle logique socio-pĂ©nale. Ainsi le terme mĂȘme de â sanctions
Ă©ducatives â nâest pas sans Ă©voquer le sursis avec mise Ă lâĂ©preuve dans
la mesure oĂč la sanction Ă©ducative devient un Ă©lĂ©ment de la sanction pĂ©nale. De
mĂȘme, la procĂ©dure de jugement Ă dĂ©lai rapprochĂ© permettant de juger les
mineurs Ă partir de 13 ans sâapparente Ă la comparution immĂ©diate des majeurs :
elle sâinscrit dans un traitement en temps rĂ©el qui est contraire Ă la rĂ©ponse
Ă©ducative nĂ©cessitant au contraire que lâon puisse prendre le temps dâexaminer
soigneusement la situation globale dâun jeune et de rechercher la sanction la
plus adaptĂ©e. Plus fondamentalement peut-ĂȘtre, câest le regard portĂ© sur
lâadolescent qui est peut-ĂȘtre en train de basculer dĂšs lors que nous y voyons
un sujet de droit autonome et responsable, ne nécessitant plus une protection
spécifique. A moins que cette ambiguïté ait toujours été présente depuis le
siĂšcle dernier Ă lâĂ©gard de lâenfance, Ă la fois dĂ©niĂ©e et protĂ©gĂ©e, comme le
souligne Françoise Tétard.
La
question essentielle de la justice des mineurs est celle des moyens. Ceux-ci
font largement dĂ©faut en matiĂšre de prĂ©vention, dâaccompagnement social et
dâaction Ă©ducative. Certes la loi prĂ©voit la crĂ©ation de 1250 postes pour la
PJJ, aprĂšs une longue pĂ©riode (de 1983 Ă 1997) oĂč aucun poste nâa Ă©tĂ© crĂ©e.
Mais en réalité, ils seront probablement absorbés par les centres fermés, les
personnels éducatifs dans les établissements pénitentiaires pour mineurs au
détriment des postes en milieu ouvert et en hébergement. Les moyens sont trop
limitĂ©s et ne permettent pas dâintervenir au bon moment et avec efficacitĂ© ;
les magistrats ne sont pas assez nombreux, le nombre dâĂ©ducateurs est
insuffisant, leur recrutement difficile. En outre, le constat de ruptures de
suivi est banal.
Sâil
est devenu tout aussi banal de critiquer les politiques de prévention
(â ça ne marche pas â, dit-on), encore faudrait-il ne pas jeter le
bĂ©bĂ© avec lâeau du bain et prendre en compte les acquis aussi bien que les
limites des actions engagées depuis trente ans, en particulier dans les quartiers
de la politique de la ville, et procéder à des évaluations qui ne soient pas un
mode de légitimation des décisions prises par les élus. Par ailleurs, ceux qui
prononcent de tels réquisitoires contre la prévention sont-ils vraiment
compétents ? Savent-ils de quoi ils parlent ? On peut souvent en
douter.
Le
fait est que lâon assiste, ici comme ailleurs, Ă un dĂ©placement des enjeux des
politiques publiques. Aux Etats-Unis et en Angleterre, au Canada, en France ou
en Belgique, partout les logiques rĂ©pressives tendent Ă lâemporter sur toute
autre considération (éducative, préventive, sociale...). ParallÚlement, on
observe un déplacement du centre de gravité politique vers la droite (ou
lâextrĂȘme droite). Ă travers lâenvahissement de lâespace public par les questions
de sĂ©curitĂ©, un double mouvement est Ă lâĆuvre : dâune part, la mise Ă
lâagenda politique du pĂ©nal dans de
multiples domaines (en matiĂšre de sĂ©curitĂ© et dâordre public, de famille,
dâenseignement scolaire, etc.) ; dâautre part, une pĂ©nalisation du champ
social, considĂ©rĂ© comme secteur dâintervention professionnelle et lieu
dâexpression des problĂšmes sociaux.
On
peut ĂȘtre perplexe Ă lâĂ©gard de mesures lĂ©gislatives qui sont susceptibles
dâengendrer exactement lâeffet inverse de celui recherchĂ©. : stigmatiser un peu
plus les jeunes â dĂ©linquants â, les enfermer dans une image de
dangerosité sociale, confirmer la prison comme lieu de socialisation déviante.
On peut sâattendre Ă ce que ce soit les â jeunes des banlieues â,
autrement dit la jeunesse issue de milieux populaires et de lâimmigration, qui
soit la premiĂšre victime de cette loi - comme du traitement policier des
dĂ©sordres urbains. Mais prĂ©cisĂ©ment le coup de force rĂ©side dans lâabsence de
rĂ©ponse sociale Ă la dĂ©linquance juvĂ©nile, et en mĂȘme temps, dans la rĂ©duction
de la â dĂ©linquance â aux â jeunes â. Les vĂ©ritables causes
des difficultés de ces jeunes et de leur famille que sont le chÎmage, la
prĂ©caritĂ©, la dĂ©saffiliation tant sociale et urbaine quâinstitutionnelle,
lâattrait des Ă©conomies souterraines, la pression des pairs, lâabsence de
reprĂ©sentation, dâĂ©coute et de mĂ©diation, etc., ne sont jamais abordĂ©es. Or ce
sont ces questions quâil faut remettre au centre du dĂ©bat face aux idĂ©ologies
et pratiques sécuritaires qui tendent à évacuer la complexité des phénomÚnes en
jeu, et notamment lâĂ©chec scolaire et lâinsertion professionnelle. Bref, le
problĂšme , câest le social.
Afin de rendre plus intelligible
la mutation en cours des modĂšles de la justice des mineurs, nous avons choisi
de confronter les regards et dâarticuler les territoires : ceux des historiens
qui rappellent la récurrence du mythe des centres fermés (Françoise Tétard), ou
Ă lâinverse notre amnĂ©sie collective Ă lâĂ©gard des diverses figures de la
délinquance juvénile (Laurent Mucchielli) ; ceux des juristes et praticiens qui
dĂ©finissent le cadre dans lequel lâacte dĂ©linquant des mineurs est pris en
compte et celui dans lequel se situent les plus récentes interventions de la
justice des mineurs (Michel Huyette) ; ceux des cliniciens pointant sous le
â dĂ©linquant â la souffrance psychique et la nĂ©cessitĂ© dâune
articulation entre les niveaux dâintervention institutionnelle faisant trop
souvent dĂ©faut (Marie Bastianelli) ; ceux des sociologues aussi qui mettent Ă
jour la pĂ©nalisation de lâĂ©cole et les limites quâelle rencontre sur le terrain
(Maryse Esterle-Hedibel, Marwan Mohammed) ; ceux des journalistes
dâinvestigation qui livrent une â photographie â des quartiers pour
mineurs des prisons françaises qui devrait faire réfléchir les partisans de
lâenfermement dĂ©connectĂ©e de toute mesure Ă©ducative (Edouard Zambeaux).
Michel Kokoreff, sociologue
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Le devoir d'histoire ?
Créer des
centres fermés pour les jeunes délinquants... Cette idée a commencé à parcourir
les milieux philanthropiques, pénitentiaires, hygiénistes lors de
l'instauration du Code pénal de 1810. Les premiÚres entreprises d'éducation
dite "corrective" ou "correctionnelle" sont apparues dans
les années 1820-1830, promues et ratifiées par un gouvernement déjà trÚs
demandeur. Et dĂšs le milieu du XIXĂšme siĂšcle, les premiers dysfonctionnements
commençaient à se faire sentir et une impression récurrente d'échec s'installait.
SĂ©parer
les mineurs et les majeurs
Ce
nouveau secteur d'intervention se justifiait par un raisonnement somme toute
défendable : la promiscuité des majeurs et des mineurs dans les prisons a des
effets de contamination et, au contact des multirécidivistes, l'enfant encore
pur pourrait rapidement s'abßmer. La réflexion sur les prisons battait alors
son plein et passionnait les foules ; depuis le journal Ă grand tirage
jusqu'aux sociétés savantes (telle la Société générale des Prisons), en passant
par les congrÚs pénitentiaires internationaux, tous les milieux sociaux
cherchaient la prison idĂ©ale et rĂȘvaient d'un emprisonnement rĂ©Ă©ducatif oĂč le
détenu sortirait meilleur que quand il y était entré. Pour les mineurs, le
premier modĂšle qui s'imposa fut ce qu'on appela "les quartiers
distincts", permettant d'accueillir des mineurs Ă part des majeurs ; mais
ces bĂątiments, situĂ©s au sein mĂȘme de l'enceinte de la prison, dans des annexes
souvent désaffectées, étaient d'un usage peu adapté à l'objectif initial : il
faut dire que l'administration pénitentiaire connaissait déjà à cette époque le
débordement et l'engorgement.
On
glissa vers une autre solution : construire une prison spéciale, tout exprÚs
pour les enfants : ce fut la Petite-Roquette. On sollicita un architecte de
renom, qui dessina les plans d'un pénitencier panoptique rayonnant, on prépara
une ligne budgétaire et on put ainsi "détenir" quelques 500 pupilles.
Mais on avait agi dans la précipitation et trÚs rapidement, la Petite-Roquette
fut l'objet de vives critiques. La perfection disciplinaire de cette prison
modĂšle impressionna Ă tel point les contemporains qu'elle devint insupportable
Ă ceux-lĂ mĂȘmes qui avaient Ă©tĂ© les initiateurs du projet ! Il faut dire que la
vie rééducative de ce lieu exemplaire atteignait des sommets : silence de tous
les instants, isolement de jour comme de nuit, marche au pas et rassemblement
trois fois par jour, perte du nom et du prénom (les mineurs étaient en effet
appelés uniquement par leur numéro matricule). La Petite-Roquette, inaugurée en
grande pompe quelques années auparavant, fut abandonnée au bout de vingt-cinq
ans, les pupilles étant progressivement recasés ; le bùtiment fut utilisé
ensuite pour les prĂ©venus (majeurs et mineurs), avant que d'ĂȘtre transformĂ© en prison
pour femmes (il fut démoli en 1974).
Des
maisons de correction pour rééduquer les mineurs
   Â
La
troisiĂšme solution fut - si l'on peut dire - la bonne, au sens oĂč ce fut celle
qui perdura. On institua des "colonies pénitentiaires agricoles",
disséminées sur tout le territoire. Ces colonies étaient des établissements
particuliers (c'est à dire réservés uniquement aux mineurs), de préférence
privés (2/3 des placements dans des internats privés habilités, recevant des
prix de journées pour accomplir leur mission de rééducation), et le plus
souvent à la campagne. Les enfants des villes défrichÚrent les champs, la
campagne ayant des vertus naturellement moralisatrices, sans doute si Ă©videntes
qu'il n'était plus besoin de les démontrer. Les mineurs qui y étaient placés
(dans les statistiques, on les nomme "jeunes détenus") venaient
indistinctement de toute la France, la distribution étant réalisée par
l'administration pénitentiaire, à partir du remplissage des lits disponibles.
C'est la loi du 5 août 1850 qui organisa le champ de la rééducation de l'enfant
de Justice et le décret du 10 avril 1869 qui fixa "le rÚglement général
définitif", venant s'appliquer à l'ensemble des colonies pénitentiaires,
qu'elles soient publiques ou privées. La maison de correction était née !
Il
faut ici faire un point juridique. Les enfants qui furent placés dans les
maisons de correction n'étaient pas forcément et uniquement ceux qui étaient
jugés comme coupables et qui y accomplissaient leur peine, loin de là . Tout au
long du XIXĂšme siĂšcle en effet, les mineurs qui en constituent la population
essentielle (aux 9/10Úmes !) sont des "acquittés". Ils ont commis des
délits de faible gravité et se trouvent "acquittés comme ayant agi sans
discernement" en vertu de l'article 66 du Code pénal, le "mauvais
milieu" dont ils sont issus leur donnant des circonstances atténuantes.
Ces enfants viennent de familles pauvres, et leurs parents ne sont pas jugés
dignes de les Ă©duquer correctement. Par un effet de ce qu'on pourrait appeler
"une double mesure", ces enfants se trouvent donc acquittés, mais
placés. Qui plus est, ces mineurs pénaux deviennent des mineurs civils,
puisqu'ils sont alors placés dans "une institution appropriée" non
pas jusqu'à 16 ans (c'était l'ùge de la majorité pénale jusqu'en 1906, ensuite
cet ùge passera de 16 à 18 ans), mais jusqu'à 21 ans (l'ùge de la majorité
civile) !Â
Cette
déviation pour le moins étonnante va encore s'accentuer quand sont votées les
deux lois instituant le nouveau champ de la protection de l'enfance. La loi du
24 juillet 1889 porte sur "les enfants maltraités et moralement
abandonnés" et la loi du 19 avril 1898 concerne "la répression des
violences et voies de fait commises envers les enfants". Elles visent
clairement des mineurs considérés comme victimes, qui n'ont pas commis de
délit, mais qui sont en danger : "ce sont des enfants délaissés, souvent
au péril de leur santé, toujours au détriment de leur moralité et de leur
avenir". Ce souci de venir en aide à l'enfance malheureuse honorait le législateur,
si ce n'est que, là aussi, l'objectif initial fut contrarié. Ces enfants
n'étaient pas orphelins, mais leurs parents étaient jugés indignes, ils furent
donc retirés de leur famille. Mais aucune mesure spécifique ne fut
budgétairement programmée à leur égard. Un projet de "maisons de
préservation" fut vaguement esquissé, mais ne vit jamais le jour. Et,
faute d'alternatives, les enfants en protection, aprĂšs ĂȘtre passĂ©s devant le
tribunal, rejoignirent les rangs des pupilles des maisons de correction, seule
rĂ©alitĂ© institutionnelle Ă l'Ćuvre. Ils se trouvĂšrent punis d'ĂȘtre victimes, ce
qui Ă©tait plus paradoxal encore.
Une
résistance institutionnelle à toute épreuve
La
maison de correction (dite aussi maison de redressement) n'a jamais eu bonne
réputation. Elle fut battue en brÚche à plusieurs reprises, elle démontra ses
aberrations, elle fut l'objet de scandales, elle fut contestée, critiquée,
bafouée. Les journalistes menÚrent campagne pour dénoncer les "bagnes
d'enfants" dans les années 1930 ; les parlementaires imaginÚrent à chaque
législature des moyens pour les réformer ; les bonnes consciences évoquÚrent
une "humanisation progressive nécessaire" ; les cinéastes, les
romanciers les intégrÚrent dans leurs scénarios. Rien ne bougea jusqu'à la Libération.
Telles des forteresses, les colonies continuaient Ă exister, en dehors du monde
et à l'intérieur de leurs murs.
A la
sortie de la deuxiÚme guerre, la volonté de "s'en débarrasser" fut assez
fortement exprimée. A la faveur du Gouvernement provisoire, un texte fut
ressorti des tiroirs, dont l'essentiel avait été rédigé en 1937. Ce texte
"relatif à l'enfance délinquante" passa sous forme d'ordonnance (donc
sans débat parlementaire) le 2 février 1945. Situé au pénal, il rappelait avec
force et détermination la primauté de l'éducatif et visait à accompagner la
trÚs nécessaire réforme des méthodes tant décriées d'éducation corrective. Il
fut assorti de plusieurs mesures prises dans le mĂȘme contexte : la crĂ©ation
d'une nouvelle direction ministérielle au sein au ministÚre de la Justice (la
direction de l'Education Surveillée - devenue aujourd'hui la PJJ - désormais
distincte de l'Administration Pénitentiaire, le recrutement de rééducateurs (nommés
quelques temps plus tard éducateurs spécialisés) et la reconnaissance de la
fonction spécialisée de juge des enfants, au sein du corps des magistrats.
Tout y
était, mais les moyens furent au départ trÚs timides et les nouvelles
politiques continuĂšrent en grande partie Ă s'exercer dans les murs des anciens
Ă©tablissements. On ne liquide pas si facilement un patrimoine correctif
séculaire et il fallut beaucoup de conviction et d'énergie à ceux qui
exercÚrent le nouveau métier d'éducateur pour imposer dans ces lieux
d'enfermement une amorce de pédagogie et pour y affirmer une perspective
éducative. C'est lors de l'application du IVÚme Plan de développement
économique et social (qui couvrait la période 1962-1966) qu'apparurent enfin de
nouveaux équipements, plus diversifiés et plus intégrés à la ville : foyers de
semi-liberté, foyers de post-cure, centres d'action éducative, clubs de
prévention, milieu ouvert etc.. Les anciennes maisons de correction furent,
trÚs progressivement, fermées ou reconverties.
A partir
de la décennie 1970, il sembla qu'elles étaient définitivement entrées dans
l'historiographie : Ă travers des ouvrages, des colloques, des table rondes,
etc. plusieurs études scientifiques furent produites sur ce passé correctif qui
semblait désormais révolu. Le combat mené autour de la fermeture de
l'établissement fermé de Juvisy vint en quelque sorte clore le débat, relayé
alors par les théories du "contrÎle social", diffusées dans plusieurs
franges intellectuelles et professionnelles. Qui aurait cru alors que le
spectre des maisons de correction pouvait encore resurgir ? C'est pourtant ce
qui vient de nous arriver, il fut brandi en premiĂšre ligne dans la campagne
Ă©lectorale et - qui plus est - Ă droite comme Ă gauche. Et cette fois, il
n'Ă©tait plus vĂ©cu dans une culpabilitĂ© mal assumĂ©e, mais comme une solution Ă
rĂ©examiner et Ă remettre sur l'Ă©tabli.Â
Aller
dans le mur
L'idée
d'enfermer l'enfant est-elle toujours une tentation ? L'innocence attribuĂ©e Ă
l'enfant est-elle inversement proportionnelle à la sévérité disciplinaire
projetĂ©e par l'adulte Ă son Ă©gard ?Â
Quelle est cette propension à toujours aller vers un échec prévisible
pour se débarrasser d'un problÚme social qui paraßt ingérable ? Cette façon d'aller
dans le mur - c'est le cas de le dire - est fascinante, et en mĂȘme temps
angoissante, quant aux forces récurrentes de l'imaginaire collectif et aux
faibles capacités d'inventivité de notre société dans ce domaine.
Comment
expliquer cette Ă©tonnante invariance du discours et des actions ?
- la
premiĂšre raison tient peut-ĂȘtre au sentiment de honte collective gĂ©nĂ©rĂ© par ces
politiques d'enfermement, devenu difficilement dicibles avec le temps : le
remords des professionnels qui y furent associés, le dépit de l'administration
qui les a gérées, le désengagement des décideurs politiques qui les ont
initiées, le silence des mineurs qui les ont vécues et subies. Pour ces
derniers, le devoir de mémoire peut difficilement s'exercer, comment en effet
assumer que son enfance et son adolescence aient été bercées par les gonds du
mitard ou les grilles des cages Ă poule ?
- la
seconde tient Ă la relation ambigĂŒe que la sociĂ©tĂ© entretient avec ses enfants
: vouloir sauver l'enfant encore pur, agir au plus tĂŽt possible pour qu'il
devienne un bon citoyen et pourtant le placer dans les pires conditions de
détention, alors que l'on est conscient de sa fragilité et sa malléabilité.
Cette perversité repose sans doute sur un écart insurmontable entre les bonnes
intentions affichées du législateur et la réalité des pratiques
institutionnelles. Depuis deux siÚcles, le décalage est profond - là comme
ailleurs mais là plus qu'ailleurs - entre une législation de l'enfance à visées
humanistes et une mise en rééducation proche du non-droit.
La
discipline historique ne semble guĂšre suffisante Ă ce stade pour expliciter ces
mécanismes collectifs, qui relÚvent plutÎt de l'anthropologie ou de la
psychologie sociale. Deux autres hypothĂšses cependant doivent ĂȘtre examinĂ©es,
me semble-t-il :
-
l'extrĂȘme confusion qui rĂšgne dans les catĂ©gories juridiques en usage,
produisant des brouillages chez les différents protagonistes. Le
"délinquant juvénile" en effet ne désigne pas uniquement un jeune qui
aurait commis un délit, il désigne tout à la fois celui qui aurait pu en commettre
un. L'adolescent dangereux et l'adolescent en danger sont inextricablement
mĂȘlĂ©s dans leurs destins institutionnels et sont mĂȘme souvent assimilĂ©s, le
passage à l'acte ne constituant donc pas forcément un critÚre distributif. Le
juge des enfants se trouve héritier de cette situation, puisqu'il exerce à la
fois au pénal et au civil. Il est le pivot de dispositif. Juge unique, il a
toujours le choix, dans la solitude de son cabinet, entre au pénal l'ordonnance
du 2 février 1945 et au civil l'ordonnance du 23 décembre 1958 (sur la
protection judiciaire du mineur en danger moral).         Â
-
l'impact du Droit des mineurs, qui reste un droit trĂšs particulier, car plus
social que juridique : il a d'ailleurs parfois été qualifié de droit
"mineur". Il s'est progressivement construit et développé parmi les
juristes et les criminologues, notamment Ă partir du courant de "DĂ©fense
sociale" fin XIXĂšme siĂšcle, puis de "DĂ©fense sociale nouvelle"
aprÚs la deuxiÚme guerre. Ses tenants prÎnaient un triple objectif : protéger
le mineur des dangers qu'il pourrait rencontrer, protéger la société des petits
dĂ©linquants qui sont, ou peuvent ĂȘtre, dangereux et protĂ©ger le mineur de
lui-mĂȘme. Etait-ce compatible ? Le risque n'Ă©tait-il pas de cibler les enfants
issus de milieux pauvres et de les mettre hors circuit ? Lorsque la loi
républicaine de Jules Ferry en 1882 a promu l'école gratuite, laïque et
obligatoire, le temps scolaire a doublé dans les maisons de correction : il est
passé de une heure à deux heures par jour, le reste de la journée étant
consacré aux travaux des champs et aux ateliers...
          Â
Le
mineur multirécidiviste hante nos gouvernants, la délinquance juvénile est, et
a été, un sujet trÚs fortement médiatique et médiatisé. Voilà deux siÚcles que
l'utopie moralisatrice est rattrapée par la pression électoraliste.
L'historien, pour sa part, est conduit Ă la modestie : sa discipline n'est en
rien agissante dans le mécanisme de la décision politique, qui reste autonome
et qui agit à l'aveugle par rapport au passé encore proche, pourtant connu et
ressassé.
Le
devoir d'histoire, disions-nous ?
Françoise
TĂ©tard, historienne
Pour
en savoir plus
Autorité,
Education, Sécurité, Les Idées en mouvement, Hors série N° 5, La
Ligue de l'Enseignement, avril 2002.
DĂ©linquances
des jeunes, questions politiques et problĂšmes de recherche, Actes des
CinquiÚmes Journées Internationales, mai 1985, Centre de recherche
interdisciplinaire de Vaucresson, 1986.
Foucault
M., Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.
Gaillac
H., Les maisons de correction 1830-1945, Editions Cujas, 1970.
Perrot
M., dir., L'impossible prison. Recherches sur le systÚme pénitentiaire au
XIXĂšme siĂšcle, Paris, Seuil, 1980.
Petit
J.-G., Ces peines obscures. La prison pénale en France 1780-1875, Paris,
Fayard, 1990.
Robert
Ph., Traité de droit des mineurs, Editions Cujas, 1969.
TĂ©tard
F., "Les arab'boys, ces petits vagabonds qui encombrent nos rues...",
dans "Soigner" la banlieue ? VEI (Ville-Ecole-Intégration) enjeux,
CNDP, N° 126, septembre 2001, pp. 10-26.Â
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â Apaches â,
â blousons noirs â, â sauvageons â et autres
â racailles â :
la longue
histoire de la peur des jeunes délinquants
â LâinsĂ©curitĂ©
est Ă la mode, câest un fait â. On croirait cette phrase prononcĂ©e hier
matin sur France-Inter ou TF1. DĂ©trompez-vous, elle a prĂšs dâun siĂšcle. Elle
fut Ă©crite en 1907 Ă la une du journal La Petite RĂ©publique. La premiĂšre
décennie du vingtiÚme siÚcle fut en effet trÚs agitée par un débat sur la
sécurité, qui comporta aussi un débat sur la peine de mort. Et dÚs cette
époque, la représentation du danger principal dans la presse est déjà celle du
jeune dĂ©linquant de quartier ouvrier, qui prend notamment Ă lâĂ©poque le nom
dââ Apaches â. La presse relate quotidiennement les agissements de
â bandes de jeunes â des quartiers pĂ©riphĂ©riques et des faubourgs de
la Capitale. On les dit trĂšs violents, voleurs mais aussi violeurs et
assassins. Ils seraient par ailleurs affiliés à des territoires, portant des
noms de rues ou de lieux. Bref, ce seraient des sauvages, le terme
dââ Apaches â leur irait bien.
Le
problĂšme a provisoirement disparu avec la guerre de 14-18. Sans doute une bonne
partie de ces jeunes délinquants ont-ils péri avec le reste de leur classe
dâĂąge au fond de quelques sordides tranchĂ©es de Verdun et dâailleurs. De fait,
lâentre-deux-guerres est une pĂ©riode de dĂ©clin dĂ©mographique pour la jeunesse.
Par ailleurs, lâĂ©conomie se porte bien dans les annĂ©es 1920, elle est soutenue
par une forte croissance industrielle (la plus Ă©levĂ©e dâEurope Ă lâĂ©poque). Le
salariat progresse Ă©galement de façon continue. Câest un peu la rĂ©pĂ©tition
avant les Trente glorieuses des années 1950-1970. Survient alors la crise des années
1930 et ses consĂ©quences sociales dĂ©sastreuses. Mais lâespoir est lĂ , incarnĂ©
bientĂŽt par le Front Populaire. Et puis câest de nouveau la guerre et de
nouveau lâhĂ©catombe.
Dans
lâeuphorie de la LibĂ©ration, on assiste comme la fois prĂ©cĂ©dente Ă une forte
augmentation des mariages. Et, contrairement à la fois précédente, ces mariages
sont aussitĂŽt suivis de naissances en trĂšs grand nombre. Câest le fameux
â baby boom â. La jeunesse devient plĂ©thorique. Et elle ne va pas
tarder à de nouveau inquiéter, au fur et à mesure que les cohortes nées aprÚs
la LibĂ©ration arrivent Ă lâadolescence. De fait, câest lors de lâĂ©tĂ© 1959 que
les mĂ©dias inventent la figure des â Blousons noirs â pour dĂ©signer
ces jeunes délinquants dont on reparle de plus en plus. La presse évoque des
bandes qui se caractériseraient par leur taille faramineuse (on évoque des
groupes rivaux comptant prĂšs dâune centaine de jeunes), et par leur violence,
qui serait Ă la fois fulgurante et â irrationnelle â voire
â gratuite â (dĂ©jĂ !). Les propos les plus catastrophistes se
font entendre et les explications moralisatrices sont fréquences : laxisme
des familles, perte des valeurs morales, influence de la culture de masse
amĂ©ricaine (câest aussi la â gĂ©nĂ©ration James Dean â). Le prĂ©fet de
Paris, Maurice Papon, se demande avec dâautres sâil ne faudrait pas interdire
le rock nâ roll⊠Si les rappeurs savaient⊠ils ne sont pas les premiersâŠ
Mais
soyons prĂ©cis si lâon veut comparer les Ă©poques. Que reprochait-on exactement
aux â blousons noirs â ? Il est intĂ©ressant de constater que
lâon incriminait fondamentalement quatre types de comportements qui sont encore
aujourdâhui au cĆur du dĂ©bat :
1-
On reprochait dâabord
aux â Blousons noirs â des affrontements violents entre grandes
bandes, se battant notamment à coups de chaßnes de vélo et de barres de métal,
autour de â territoires â, mais faisant aussi des
â descentes â dans les centres-villes, dans des fĂȘtes, des concerts,
et saccageant tout sur leur passage.
2-
La découverte sans
doute la plus surprenante pour celui qui se plonge dans les documents de
lâĂ©poque est que lâon accusait ensuite ces jeunes hommes de commettre des viols
collectifs. Câest mĂȘme la plus grosse partie de la criminalitĂ© sexuelle
juvénile traitée par la justice dans les années 1960.
3-
On reprochait ensuite Ă
ces jeunes des vols dâusage immĂ©diat et ostentatoire liĂ©s aux nouveaux biens de
consommation (la voiture, la mobylette). Il sâagissait notamment
dââ emprunter â le vĂ©hicule pour une â virĂ©e â dâun soir,
câest-Ă -dire de le voler puis de lâabandonner au retour sur le bas-cĂŽtĂ© de la
route. Au passage, lâalcool aidant, ces jeunes provoquaient aussi parfois des
accidents de la route.
4-
On leur reprochait
enfin des actes de vandalisme tournés déjà en bonne partie contre les
institutions (Ă©cole, bĂątiments publics) et les lieux publics (il semble que
certains groupes avaient pour habitude de saccager les parcs et jardins, ce qui
offrait une visibilitĂ© trĂšs forte Ă leur action et nâest pas sans Ă©voquer Ă
certains Ă©gards une des dimensions des incendies de voitures dâaujourdâhui).
On
le voit, le détour historique est instructif. Il ne signifie pas, bien sûr, que
lâhistoire est une longue ligne droite au cours de laquelle rien ne change
jamais. Lâhistoire est sans doute plutĂŽt cyclique. Par ailleurs, il y a
toujours des nouveautĂ©s. Ni les â Apaches â ni les â Blousons
noirs â ne connaissaient les drogues. De plus, ils avaient la peau bien
blanche, ne se sentaient pas victimes dâun complot de la sociĂ©tĂ© ourdi contre
eux et nâentraient quâexceptionnellement dans des rapports de force collectifs
et violents avec la police. Cela Ă©tant, il est clair que la plupart des actes
de dĂ©linquance juvĂ©nile que lâon constate aujourdâhui et que lâon dit en
augmentation (sans toujours pouvoir le prouver) ne sont nullement
â nouveaux â dans lâhistoire de la sociĂ©tĂ© française. Il faut donc
rĂ©sister ici Ă lâamnĂ©sie collective dans laquelle nous entraĂźne Ă la fois le
sensationnalisme des mĂ©dias et lâĂ©lectoralisme des hommes politiques.
Dâautant que ce catastrophisme ambiant amĂšne forcĂ©ment tĂŽt ou tard Ă remettre
en question tout lâĂ©difice du traitement de la dĂ©linquance juvĂ©nile. Le
discours sur â les jeunes ultra-violents qui font des choses quâon a
jamais vues â sâaccompagne en effet presque toujours du discours sur
â la prĂ©vention qui a Ă©chouĂ© et le besoin de passer maintenant Ă autre
chose â, câest-Ă -dire Ă la prison.
Laurent Mucchielli, sociologue
Pour en savoir plus
Copfermann E., La génération des blousons noirs,
Paris, Maspéro, 1962 (ouvrage bientÎt réédité aux éditions La Découverte).
Esterle-Hedibel M., La bande, le risque et
lâaccident, Paris, LâHarmattan, 1997.
Kalifa D., Lâencre et le sang. RĂ©cits de crimes et
sociĂ©tĂ© Ă la Belle Ăpoque, Fayard, 1995.
Mauger G., Fossé-Poliak C., 1983, Les loubards, Actes
de la recherche en sciences sociales, n°50.
Mucchielli L., Violences et insécurité. Fantasmes
et réalités dans le débat français, Paris, La Découverte, 2002.
Robert Ph., Lascoumes P., Les bandes
dâadolescents. Une thĂ©orie de la sĂ©grĂ©gation, Paris, Ăditions OuvriĂšres,
1974.
Perrot M., Les â Apaches â, premiĂšres
bandes de jeunes, repris in Les ombres de lâhistoire, Paris, Flammarion,
2001.
TĂ©tard F., Le phĂ©nomĂšne â blouson noir â en
France, fin des années 1950-début des années 1960, in Collectif Révolte
et société, Paris, Publications de La Sorbonne, 1989.
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OĂč va la justice pĂ©nale des mineurs ?
Entretien
avec Michel Huyette.
Michel Huyette
est magistrat spĂ©cialisĂ© â enfance â depuis 15 ans. AprĂšs avoir Ă©tĂ©
Juge des enfants, il est actuellement le Conseiller délégué à la protection de
l'enfance Ă Bastia. Il est lâauteur dâun Guide de la protection judiciaire
de l'enfance dont une nouvelle édition paraßtra début 2003.
CLARIS : Depuis
quelques annĂ©es, lâOrdonnance de fĂ©vrier 1945 â qui fonde la justice
pĂ©nale des mineurs en France â est rĂ©guliĂšrement dĂ©signĂ©e comme le mur
lĂ©gal Ă abattre pour que la justice soit davantage rĂ©pressive Ă lâĂ©gard des
mineurs. Cette prĂ©sentation nâest-elle pas quelque peu erronĂ©e ?
Pouvez-nous nous rappeler pour commencer quel est lâesprit gĂ©nĂ©ral de ce texte
juridique fondateur ?Â
Michel Huyette :
Si l'ordonnance de 1945 prévoit dans son article 2 la possibilité pour les
juridictions de s'orienter vers une mesure Ă©ducative lorsqu'elles sont saisies
de l'acte délinquant d'un mineur, il ne faut pas se tromper sur le sens et les
conséquences concrÚtes de ce texte. Ce texte signifie qu'on ne peut pas se contenter
de prendre en compte l'acte délinquant, qu'il faut examiner la situation
globale du mineur poursuivi, et qu'il faut envisager des mesures Ă©ducatives
parce que l'existence mĂȘme d'actes dĂ©linquants dĂ©montre qu'il existe un certain
nombre de failles dans l'éducation du mineur concerné. Mais il faut replacer ce
texte dans son époque. En 1945, il n'existait pas encore de véritable loi sur
l'assistance Ă©ducative. Le cadre juridique actuel, mis en place en 1958 et plus
encore en 1970, Ă©tait inconnu. Les rĂ©dacteurs de l'ordonnance avaient dĂ©jĂ
compris que se contenter de prendre en compte l'acte délinquant lorsque les
mineurs ont un parcours désordonné est une intervention si ce n'est illusoire,
du moins à l'impact trÚs réduit. Mais ces rédacteurs ne disposant que d'un seul
cadre juridique, le cadre pénal, ils étaient bien obligés d'inscrire dans le
mĂȘme texte d'une part les modalitĂ©s de la sanction pĂ©nale, et d'autre part
l'utilité d'une approche éducative. Mais il n'est pas du tout certain, c'est
peu dire, que leur objectif ait été de limiter les mesures éducatives
susceptibles d'ĂȘtre mises en Ćuvre Ă cause de ce cadre pĂ©nal, et d'interdire le
recours à des interventions mieux outillées au fur et à mesure de leur
apparition dans le temps.
Aujourd'hui, rien ne justifie
de remettre en question le principe de base, à savoir la nécessité impérative
d'une double approche. Que le mineur soit considéré administrativement comme un
mineur en danger, oĂč qu'un dossier pĂ©nal soit ouvert, le principe directeur de
rĂ©insertion est le mĂȘme, mais on voit mal ce qui pourrait aujourd'hui interdire
d'utiliser au maximum et au mieux toute la palette des outils permettant une
intervention sociale et Ă©ducative performante au seul motif que le mineur
devant bénéficier de ces moyens a commis un ou plusieurs actes délinquants. Le
juge des enfants qui est saisi de la situation d'un mineur délinquant
apparaissant par ailleurs profondément déstructuré a comme premiÚre obligation
d'utiliser tous les moyens existant pour apporter la réponse la plus appropriée
Ă la situation de cet enfant, afin d'obtenir autant que possible la
resocialisation de celui-ci. Dans ce but, le cadre juridique de l'intervention,
civil ou pĂ©nal, doit ĂȘtre un moyen, non un obstacle. C'est pour cela que, par
principe, le recours aux mesures civiles d'assistance éducative pour répondre
aux besoins d'un mineur qui commet des actes de délinquance ne peut pas et ne
doit pas ĂȘtre Ă©cartĂ©. Il reste alors la seule question du choix stratĂ©gique
offert au magistrat. Les plus récentes évolutions vont dans le sens d'une
intervention principalement dans le cadre pénal. Si cet objectif ne peut pas
ĂȘtre considĂ©rĂ© comme aberrant parce que concrĂštement une intervention Ă©ducative
est possible dans ce cadre-lĂ , le problĂšme est qu'elle atteint trĂšs vite ses
limites.
CLARIS : Câest le
cĆur du dĂ©bat dans lequel nous sommes entrĂ©s avec la campagne Ă©lectorale puis
le vote de la loi Perben induisant la gĂ©nĂ©ralisation des â centres
fermĂ©s â. Mais avant dây venir en dĂ©tail, quel regard portez-vous sur
lâĂ©tat actuel des structures dâaccueil ?
Michel Huyette :
Le premier problÚme est que le nombre de foyers habilités au titre de
l'ordonnance de 1945 est beaucoup moins important que le nombre de foyers
habilités au titre de l'assistance éducative. Et de plus en plus, c'est la
protection judiciaire de la jeunesse qui est chargée d'accueillir ces mineurs.
Cette administration évolue dans ce sens, et on a vu apparaßtre récemment des
foyers spĂ©cifiques Ă la dĂ©nomination variable, actuellement les centres Ă
encadrement renforcé (CER) ou les mineurs font un séjour allant de quelques
semaines à quelques mois, ainsi que les centres de placement immédiat (CPI)
envisagés essentiellement comme un lieu d'accueil provisoire et d'orientation.
Cela a pour conséquence qu'alors qu'en assistance éducative le juge des enfants
dispose d'un véritable choix au moment d'orienter le mineur vers un service
d'accueil, ce choix est considérablement réduit dans un cadre pénal. D'autre
part, lorsque dans un secteur géographique il existe peu d'établissements
habilités à recevoir des mineurs dans un cadre pénal quand ce n'est qu'un seul,
si le juge veut sĂ©parer plusieurs mineurs habitant un mĂȘme quartier voire un
mĂȘme immeuble il se trouve dans une impasse, ou alors il doit envoyer certains
mineurs dans un établissement situé beaucoup trop loin de leur lieu de vie
d'origine, ce qui peut rendre la mesure plus difficile Ă supporter par ceux-ci
et ĂȘtre Ă l'origine d'incidents, par exemple des fugues, qui auraient Ă©tĂ©
évitées si les intéressés ne s'étaient pas sentis aussi exclus et abandonnés en
partant aussi loin d'autant plus que le juge ne peut pas expliciter cet
Ă©loignement excessif de façon convaincante. Le nombre limitĂ© d'Ă©tablissements Ă
un autre effet négatif. Si à un moment donné, à cause du profil des mineurs
accueillis ou à cause d'une défaillance de l'équipe éducative, la tension
devient trop forte, les accrochages se multiplient, la violence atteint un
seuil inacceptable, il est difficile voire impossible de répartir rapidement la
charge de ce groupe de mineurs sur plusieurs Ă©tablissements. C'est ici une des
limites les plus fortes du systĂšme. Le choix d'orienter un mineur vers tel ou
tel Ă©tablissement devrait se faire principalement en fonction du profil du
service, du parcours et de l'état de ce mineur, de la capacité de
l'établissement à le recevoir sans réserves et avec confiance, alors
qu'aujourd'hui dans un cadre pĂ©nal le choix est inexistant, d'oĂč des accueils
précipités plus imposés que réfléchis et choisis, et dont on se doute dÚs le
dĂ©part qu'ils vont ĂȘtre source de sĂ©rieuses difficultĂ©s. Il ne faut pas
s'étonner de voir ensuite des professionnels harassés ou démotivés.
CLARIS :
Clairement, comment peut-on faire un travail éducatif dans des centres fermés
qui ressemblent Ă des prisons ?
Michel Huyette :
Sachant que ce qui ronge fondamentalement ces mineurs c'est un manque d'estime
de soi, l'objectif majeur du travail Ă©ducatif est d'essayer de valoriser tout
ce qui peut l'ĂȘtre en eux, afin qu'ils retrouvent d'abord un minimum de
confiance en leurs capacités, et qu'ils puissent dans un deuxiÚme temps bùtir
de nouveaux projets. Chercher et valoriser leurs propres ressources, qu'ils ont
tous à un degré ou un autre, suppose que leur entourage les regarde autrement
que comme uniquement délinquants. Une grande part du travail éducatif va
consister Ă tenter de les persuader qu'on les croit capables d'autres choses
que des actes de délinquance, et à les aider à tourner la page de comportement
dĂ©viants. Or, on ne peut pas en mĂȘme temps vouloir sortir ces mineurs de la
délinquance tout en mettant en place un systÚme qui leur rappelle à chaque
instant qu'Ă nos yeux ils sont d'abord et principalement des mineurs
délinquants. C'est pourtant ce qui se passe toujours plus ou moins lorsqu'une
mesure Ă©ducative est prononcĂ©e dans un cadre pĂ©nal. MĂȘme si bien sĂ»r cela n'est
pas forcément exprimé ainsi, les mineurs sentent qu'une décision a été prise
parce qu'ils ont commis des actes de délinquance et qu'ils ont été envoyés dans
un foyer â pour dĂ©linquants â.
Par ailleurs, lorsque les
mineurs de ces foyers vont rencontrer un Ă©ventuel employeur pour faire un
stage, celui-ci apprend vite qu'on lui présente un mineur délinquant confié par
le juge à un foyer de délinquants. Les équipes éducatives des centres éducatifs
renforcés ont à plusieurs reprises expliqué que lorsqu'un mineur qui leur est
confié a suffisamment progressé pour que soit tenté un retour dans un cadre de
vie plus ordinaire, la réintégration de ce mineur est rendue nettement plus difficile
par l'étiquette qui lui est accolée à cause de son statut pénal. Par exemple,
il n'est pas rare que le directeur d'un Ă©tablissement scolaire se montre
particuliÚrement réticent à un essai de réinscription du mineur dans son
Ă©tablissement essentiellement parce que ce mineur Ă©tait auparavant dans un
foyer pour dĂ©linquants et qu'il continue Ă traĂźner comme un boulet impossible Ă
décrocher cette image particuliÚrement péjorative de mineur dangereux.
Ă l'inverse, la prise en charge
en assistance Ă©ducative, tout en permettant de prendre en compte la
particularité de l'acte délinquant dans le travail avec le mineur, ne met pas
en avant et au premier plan cet acte délinquant. La part que doit prendre cette
délinquance dans l'appréhension du cas de ce mineur et dans les réponses à lui
apporter n'est plus artificiellement hypertrophiée. Une moindre stigmatisation
du comportement délinquant peut parfois aussi permettre plus facilement au
mineur d'exprimer l'ensemble de ces ressentiments sur toutes les facettes de sa
problématique, sans avoir à chaque fois à repasser par sa délinquance. En tout
cas, elle lui montre indirectement que les adultes ne sont pas obnubilés par
ses passages Ă l'acte dĂ©linquant et sont prĂȘts Ă rĂ©flĂ©chir avec lui Ă tout ce
qui a pu le conduire Ă sa situation actuelle.
CLARIS : Ne
faut-il pas indiquer ici lâimportance, en amont, du problĂšme de lâĂ©cole et de
la façon dont elle marginalise complÚtement beaucoup de jeunes ?
Michel Huyette :
Certainement. Les mineurs profondément déstructurés, pour la plupart
d'entre eux, subissent un important retard scolaire qui suscite humiliation et
révolte. L'échec scolaire, ressenti comme une violence insupportable et point
de départ d'une relégation sociale qui redouble l'ampleur de la révolte, impose
une intervention trÚs spécialisée pour redonner à ces mineurs les bases leur
permettant d'une part de retrouver le goût et l'envie d'apprendre, d'autre part
la possibilité de croire en leurs capacités. C'est là un problÚme d'éducation
nationale, mais certainement pas un problĂšme de justice. Quelle que soit leur
compétence qui est souvent trÚs grande, les éducateurs travaillant pour le
tribunal pour enfants ne pourront jamais rattraper des années d'échec scolaire.
La gestion du quotidien d'un groupe interdit toute action en profondeur auprĂšs
de chacun des mineurs accueillis. Organiser le départ de mineurs dans des
foyers ne disposant pas des moyens de combler au moins un peu les retards
d'apprentissage, c'est masquer la problématique réelle et répondre à cÎté.
L'étude du parcours de la plupart des mineurs déstructurés devrait plutÎt
conduire Ă un investissement massif auprĂšs de ceux qui trĂšs tĂŽt apparaissent en
difficulté à l'école, par le biais d'actions beaucoup intensives et plus personnalisées
qu'aujourd'hui. C'est pour cela que la mention, dans l'article de la loi de
septembre 2002 consacré aux centres fermés, d'une mission qui leur est confiée
de â suivi Ă©ducatif et pĂ©dagogique renforcĂ© â peut apparaĂźtre
surréaliste parce que l'on sait qu'il ne s'agira jamais réellement de cela.
CLARIS : La
nature de la prise en charge ne change t-elle pas aussi profondément la
relation du mineur avec sa famille ?
Michel Huyette :
Oui. Dans les établissements spécialisés et notamment dans les CER, le travail
s'effectue principalement auprÚs du mineur et, de façon souvent délibérée, les
contacts avec les parents sont fortement réduits pendant plusieurs semaines ou
plusieurs mois. Une mise à distance de la famille peut sans doute présenter un
certain intĂ©rĂȘt Ă©ducatif. Surtout en tout dĂ©but de sĂ©jour, cela favorise
l'installation du mineur qui n'est plus en permanence soumis aux suggestions ou
Ă la pression de son environnement proche. Mais le risque, lorsque une part
importante de la problématique du mineur provient de l'existence d'une relation
dégradée avec son environnement proche, est que les efforts importants déployés
auprĂšs de lui ne soient pas d'un grand impact par rapport Ă cet environnement.
De plus, par définition, le passage du mineur dans l'établissement est
forcément limité dans le temps. Cette limite découle soit de la durée de la
procédure pénale, soit de toutes façons de l'arrivée de la majorité du mineur.
Le mineur va se retrouver tÎt ou tard dans son environnement d'origine. L'en séparer
pendant un temps est donc en partie artificiel. L'intervention Ă©ducative ne
pouvant pas avoir pour seul objectif de faire en sorte que le mineur ne passe
plus Ă l'acte dĂ©linquant, et parce que l'objectif principal est de permettre Ă
ce mineur de retrouver une place plus sereine dans son lieu de vie ordinaire,
il sera souvent indispensable de travailler autant avec cet environnement,
notamment l'environnement le plus proche. Or, si dans un cadre civil il est
aisé d'organiser une intervention auprÚs de tous ceux qui influencent le
développement de l'enfant, les interventions dans un cadre pénal sont toujours
beaucoup plus réduites. Cela est de nature à en limiter les effets. Par
ailleurs, le mineur ressent souvent intuitivement la réalité. Si dans la chaßne
de cause à effet qu'on trouve en amont du passage à l'acte délinquant il y a
une relation viciĂ©e avec l'environnement proche qui provient elle-mĂȘme du
comportement inapproprié des personnes composant cet environnement, notamment
les parents, se focaliser sur le seul comportement du mineur et solliciter
d'immenses efforts de lui seul lui apparaßtra parfois comme profondément
injuste.
De leur cÎté, les
parents, consciemment ou non, peuvent ĂȘtre tentĂ©s de s'appuyer sur le caractĂšre
pénal de la procédure pour se mettre à l'écart de l'intervention éducative
et/ou pour minimiser leur implication dans ce qu'est devenu leur enfant. Ils
peuvent ĂȘtre tentĂ©s de dire : â VoilĂ Ă quoi t'ont conduit tes actes de
délinquance maintenant tu te débrouilles, tu doit assumer. Tu reviendras quand
tu auras changĂ© â. Ce sont des rĂ©flexions que l'on entend rĂ©guliĂšrement
dans les cabinets des juges des enfants.
Les nouvelles
â sanctions Ă©ducatives â
La loi de septembre 2002 prévoit le systÚme suivant (article 15.1 nouveau
de l'ordonnance de 1945). Les mineurs de 10 Ă 18 ans peuvent ĂȘtre condamnĂ©s par
le tribunal pour enfants à une ou plusieurs sanctions éducatives, par décision
motivée. Celles-ci sont les suivantes :
- confiscation d'un objet ayant servi Ă la commission de l'infraction
ou en Ă©tant le produit,
- interdiction de paraĂźtre dans certains lieux dans lesquels
l'infraction a été commise, sauf lieu de résidence, pour une durée maximale
d'une année,
- interdiction de rencontrer ou de recevoir les victimes de l'infraction
ou d'entrer en relation avec elles, pour une durée maximale d'une année,
- interdiction de rencontrer ou de recevoir les coauteurs ou complices
de l'infraction ou d'entrer en relations avec eux, pour une durée maximale
d'une année,
- mesure d'aide ou de réparation de l'article 12-1 (activité d'aide ou
de réparation à l'égard de la victime ou d'une collectivité),
- obligation de suivre un stage de formation civique d'une durée maximale
d'un mois ayant pour objet de rappeler au mineur les obligations résultant de
la loi.
La loi prĂ©voit, en cas de â non respect par le mineur des
sanctions Ă©ducatives â, la possibilitĂ© pour le tribunal pour enfants de
â prononcer une mesure de placement dans l'un des Ă©tablissements visĂ©s Ă
l'article 15 â, donc hors centres fermĂ©s rĂ©servĂ©s aux situations de
contrĂŽle judiciaire et de sursis avec mise Ă l'Ă©preuve.
CLARIS : La loi
Perben de septembre 2002 a introduit des â sanctions Ă©ducatives â
prononçables Ă partir de lâĂąge de 10 ans. Quâen pensez-vous ?
Michel Huyette :
Un tel dispositif est critiquable. D'abord, d'un point de vue terminologique,
on peut se demander en quoi certaines des â sanctions â prĂ©vues sont
"Ă©ducatives". Les quatre premiĂšres sont proches des dispositions
existant en matiÚre de contrÎle judiciaire (article 138 du code de procédure
pénale) et permettant au juge d'interdire au mis en examen de se rendre dans
certains lieux ou de rencontrer certaines personnes. Le but est de protéger des
tiers, non d'Ă©duquer le mis en examen. D'autre part, alors qu'il s'agit de
â sanctions â prononcĂ©es par le tribunal pour enfant, donc lors du
jugement définitif de l'affaire, il est prévu une seconde possibilité de
â condamnation â en cas de non respect de la â sanction â.
Or on ne â sanctionne â pas deux fois la mĂȘme personne pour les mĂȘmes
faits. Les mesures prévues sont donc plus proches d'obligations imposées dans
un cadre de mise à l'épreuve que de véritables sanctions au sens pénal du
terme.
Mais surtout, ce qui
choque est le mécanisme de sanction choisi. Il est prévu en cas de non respect
des obligations imposées au condamné, uniquement un placement du mineur
concerné dans un foyer. On remarque tout de suite qu'aucune durée maximale
n'est prévue. Y en a-t-il une ? Dans l'affirmative laquelle ? Peut-on imaginer
qu'un mineur condamnĂ© Ă une â sanction Ă©ducative â alors qu'il est
ĂągĂ© de 12 ans soit â condamnĂ© â ensuite Ă rester en foyer jusqu'Ă sa
majorité ? Sans doute pas. DÚs lors la rÚgle retenue semble l'arbitraire de la
juridiction, sans critÚre ni limite autre, sans doute, que la majorité civile
du â condamnĂ© â. Cela est vĂ©ritablement stupĂ©fiant.
Et puisque le mineur
peut-ĂȘtre confiĂ© Ă un foyer Ă©ducatif ordinaire par une juridiction pĂ©nale comme
â sanction â du non respect d'une prĂ©cĂ©dente â sanction â,
que se passera-t-il si avant l'expiration de la durée fixée par le tribunal
pour enfants ce mineur en sort et n'y revient pas volontairement ? Aussi
étonnant que cela puisse paraßtre, la loi ne prévoit rien. Donc, un mineur
â condamnĂ© â par exemple Ă ne pas se rendre dans un lieu et qui y va
quand mĂȘme, ou qui interrompt en cours de route la mesure de rĂ©paration, puis
qui pour cela est envoyĂ© dans un foyer mais n'y reste pas, ne subira finalementâŠ
aucune sanction. Si l'on avait voulu trouver un moyen sûr et efficace de
ridiculiser les institutions judiciaire et Ă©ducative, on ne s'y serait pas pris
autrement.
Enfin, on doit se
demander en quoi va consister le travail Ă©ducatif du personnel du foyer dans
lequel le mineur est envoyé uniquement comme conséquence du non respect de la
sanction Ă©ducative. Un accueil d'un mineur en foyer n'a de sens que s'il
correspond à une nécessité et qu'il y a véritablement besoin et d'un
éloignement et d'un encadrement spécifique. Or il est certain que tous les
mineurs qui ne respectent pas les modalitĂ©s de la â sanction
Ă©ducative â ne seront pas dans une telle situation. Certains des jeunes
condamnés seront suffisamment insérés dans leur environnement familial, social
et scolaire.
Ainsi donc, il est
envisagé de déplacer un mineur qui par ailleurs a un mode de vie convenable et
qui suit une scolaritĂ© dans un Ă©tablissement oĂč il est adaptĂ©, qui peut avoir
un bon contact avec les services de prévention de son quartier, au seul motif
qu'il rencontre une ancienne victime ou un autre condamné. Mais s'il est
pratiqué ainsi cela entraßne d'une part une rupture brutale de son parcours
scolaire et un déracinement inutile, et d'autre part l'intervention d'une
Ă©quipe Ă©ducative qui recevra un mineur sans qu'il y ait aucune raison
réellement éducative à son intervention. Un tel systÚme à ce point incohérent
ne peut pas fonctionner de façon crédible.
Les centres fermés
La loi Perben indique ce qu'est un centre fermé (nouvel article 33 de
l'ordonnance de 1945) : â Les centres Ă©ducatifs fermĂ©s sont des
établissements publics ou des établissements privés habilités dans des
conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, dans lesquels les mineurs sont
placĂ©s en application d'un contrĂŽle judiciaire ou d'un sursis avec mise Ă
l'Ă©preuve. Au sein de ces centres, les mineurs font l'objet des mesures de
surveillance et de contrĂŽle permettant d'assurer un suivi Ă©ducatif et
pédagogique renforcé et adapté à leur personnalité. La violation des obligations
auxquelles le mineur est astreint en vertu des mesures qui ont entraßné son
placement dans le centre peut entraĂźner, selon le cas, le placement en
dĂ©tention provisoire ou l'emprisonnement du mineur â.
CLARIS : La loi
Perben de septembre 2002 introduit ensuite la possibilité de placer des mineurs
en centres fermĂ©s Ă partir de lâĂąge de 13 ans, et de les placer en dĂ©tention
provisoire sâils ne respectent pas lâobligation de sĂ©jour en centre fermĂ©.
Quâen pensez-vous ?
Michel Huyette :
Que de nouveaux lieu d'accueil soient créés n'est pas le problÚme. Ce sont
essentiellement la nature particuliĂšre du nouveau lieu oĂč doit sĂ©journer le
mineur, le centré fermé, et le cadre juridique proposé pour le contraindre à y
rester, la menace de l'emprisonnement, qui font difficulté. Il s'agit là d'une
rupture avec le passé sur au moins deux plans : c'est quasiment la premiÚre
fois qu'il est nettement envisagé pour les mineurs de répondre par une sanction
pĂ©nale sous forme d'emprisonnement Ă un seul acte de fugue, sans mĂȘme que
ceux-ci ne commettent le moindre acte de délinquance, et c'est la premiÚre fois
depuis longtemps qu'il est de nouveau envisagé de mettre des mineurs de 13 ans
en détention provisoire alors que jusque-là celle-ci était réservée à ceux ùgés
d'au moins 16 ans. L'analyse ne portera pas ici sur l'aspect politique du
choix. A priori, toutes les pistes peuvent ĂȘtre lĂ©gitimement explorĂ©es
lorsqu'elle n'enfreignent pas les principes fondamentaux légaux de notre
société, ce qui n'est pas encore le cas. Par contre, puisque les juridictions
pour mineurs ont Ă leur disposition un outil nouveau, il est indispensable de
s'interroger sur sa cohérence et son efficacité, dans son versant éducatif. Or
l'examen de ce systÚme montre vite qu'il présente beaucoup plus d'inconvénients
que d'avantages.
CLARIS :
Pouvez-vous nous détailler précisément ces inconvénients ?
Michel Huyette :
Jâen vois au moins huit.
1- A toute contrainte de
rester dans un lieu limité correspond une envie de sortir, surtout lorsque la
personne qui s'y trouve y est contre son gré. Le mineur confié à un foyer fermé
saura vite que l'Ă©tablissement n'est pas totalement clos, soit parce qu'il aura
posé la question au magistrat, soit tout simplement parce qu'il le constatera.
Ne pas fermer la porte tout en le menaçant de sanction met le mineur dans une
situation difficilement gérable si ce n'est perverse. On sait par hypothÚse
qu'il présente des troubles du comportement, on sait qu'il n'accepte pas
d'aller volontairement dans un foyer (sinon le recours au foyer fermé n'a plus
de raison d'ĂȘtre), et on le place dans un endroit dont il peut facilement
sortir tout en lui demandant de ne pas le faire. C'est un peu comme mettre
devant les yeux d'un affamé un plat de nourriture en lui demandant de ne pas y
toucher. On peut alors se demander s'il est moralement acceptable de mettre un
mineur dans une situation biaisée qui risque de le conduire à la prison
uniquement parce qu'il n'aura pas su résister à la tentation qui lui aura été
offerte par les adultes eux-mĂȘmes. Si un tel systĂšme est envisageable et a
d'ailleurs fait ses preuves dans certains pays, il ne peut concerner que des
adultes suffisamment équilibrés qui ont bien conscience de leur situation et
sont capables de maßtriser leur envie de sortir de l'environnement carcéral en contrepartie d'un encadrement
plus souple en vue d'une préparation à la sortie. Mais la quasi totalité des
mineurs n'est pas capable d'une telle maĂźtrise.
2- Si le mineur placé
sous contrĂŽle judiciaire ou en mise Ă l'Ă©preuve sort sans autorisation du foyer
dans lequel il a l'obligation de rester, la sanction prévue est son départ en
prison dans le cadre de la détention provisoire. Cela signifie que la seule
raison d'ĂȘtre de l'emprisonnement est dans ce cas le fait que le mineur ait
franchi une porte sans autorisation. La question qui se pose immédiatement est
alors la suivante : est-il acceptable d'envoyer un mineur en prison au seul
motif qu'il ne rĂ©side pas dans le lieu qui a Ă©tĂ© choisi pour lui et cela mĂȘme
si depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois il se comporte par ailleurs
parfaitement normalement et ne commet plus aucun acte de délinquance. Il est
difficile de concevoir une réponse positive à cette question. L'emprisonnement,
que ce soit sous forme de détention provisoire ou d'exécution de peine aprÚs
jugement, ne peut ĂȘtre envisagĂ© dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique que pour faire
obstacle Ă un comportement qui porte exagĂ©rĂ©ment atteinte aux intĂ©rĂȘts du reste
du groupe social. C'est en ce sens qu'ont été définis dans le code de procédure
pénale les critÚres juridiques de détention provisoire (pression sur les
témoins, disparition des preuves, risque de fuite, risque de récidive, trouble
grave Ă l'ordre public). Or lorsqu'un mineur se contente de fuguer, on ne se trouve
dans aucun de ces cas de détention provisoire.
3- L'idée est de
sanctionner une fugue. Mais une fugue peut avoir bien des explications
différentes. Entre le départ de la seule initiative du mineur hors de tout
dialogue avec les éducateurs, et le départ conséquences de propos maladroits
d'un travailleur social ou d'attitudes incohérentes entre plusieurs membres de
l'équipe éducative, ils y a bien des possibilités aux contours variables. Il
peut aussi y avoir des menaces dans le foyer de la part d'un autre mineur, non
décelées par les éducateurs, ou des pressions de quelqu'un d'extérieur. Est-il
possible d'envisager de sanctionner une fugue sans rechercher les réels motifs
du départ du foyer ? Sans doute pas. Cela signifie donc que certains départs
seront sanctionnés par de l'emprisonnement, d'autres non. Qui va définir les
critĂšres, comment vont-ils ĂȘtre prĂ©sentĂ©s aux mineurs avant leur dĂ©part,
va-t-on mĂȘme aborder la question avec eux, ou va-t-on improviser ensuite au cas
par cas ?
4- Si le juge qui a placé
le mineur sous contrÎle judiciaire en lui expliquant d'un ton sévÚre que s'il
fugue de l'établissement il sera aussitÎt impitoyablement sanctionné sous la
forme d'une arrestation et d'une mise en détention provisoire, procÚde
complÚtement autrement lorsqu'il apprend que le mineur a fugué et refuse
d'envisager sa dĂ©tention justement comme cela vient d'ĂȘtre dit parce que ce
mineur se comporte finalement tout Ă fait normalement, c'est alors toute la
crédibilité du magistrat qui explose en un instant. Le mineur aura tout de
suite compris que les menaces du juge ne sont que pitreries, que le risque de
sanction est inexistant, et ne manquera pas de penser et de dire Ă ses copains
qu'il n'y a plus matiÚre à se tracasser si le juge fait allusion à un centre fermé.
5- Quand la sanction
d'une fugue est l'emprisonnement, le mineur concerné est tenté de se cacher
pour ne pas ĂȘtre attrapĂ© et ne pas ĂȘtre incarcĂ©rĂ© s'il quitte le foyer. La
menace induit une peur qui conduit alors à la fuite et à une précarisation
immédiate de ce mineur, avec un risque aggravé pour sa santé et sa sécurité
(nuits dans la rue, contacts avec d'autres marginaux..). Cette marginalisation
est un risque majeur d'autant plus que les services de police ou de gendarmerie
n'auront pas forcément pour préoccupation majeure de retrouver des mineurs qui
Ă part la fugue ne commettent aucune infraction.
6- Pour les 13-16 ans,
l'accueil sous contrĂŽle judiciaire ne pourra se faire que dans un â centre
fermĂ© â. Mais si un mineur que le magistrat veut mettre sous contrĂŽle
judiciaire est dĂ©jĂ accueilli dans un foyer ordinaire oĂč il Ă©volue assez bien
mis à part ses actes de délinquance, établissement dans lequel le contact est
bon avec les Ă©ducateurs, oĂč il rentre la plupart du temps volontairement,
va-t-on le déplacer uniquement pour pouvoir le mettre sous contrÎle judiciaire,
et ainsi briser la relation de confiance qui s'est peu instaurée avec les
Ă©ducateurs du premier foyer, et admettre un changement brutal d'Ă©tablissement
scolaire ou une rupture des séances avec un psychologue ? Ce serait absurde.
7- On ne peut que
s'interroger sur les consignes Ă donner aux Ă©ducateurs. Dans quelle mesure
ont-ils pour mission d'empĂȘcher la fugue des mineurs ? Selon le nouveau texte
ils doivent mettre en Ćuvre des mesure â de surveillance et de
contrĂŽle â, mais concrĂštement lesquelles ? Doivent-ils physiquement
s'interposer en cas de tentative de sortie et dans l'affirmative de quelle
façon ? Doivent-ils au moins agir verbalement et tout faire pour s'opposer au
départ d'un mineur, mais comment et dans quelles limites ? Mettra-t-on en
question la compétence de l'équipe éducative d'un centre fermé si les fugues
sont trop nombreuses ?
8- Enfin, on doit
s'interroger sur le contenu du travail Ă©ducatif qui peut se mettre en place
dans un tel lieu de contrainte (voir lâinterview du directeur du CPI de
Marseille, Le Monde, 25 juillet 2002). Le nouvel article 33 mentionne
dans la mĂȘme phrase les mesures de surveillance et le "suivi Ă©ducatif et
pédagogique renforcé" qu'elles doivent permettre. Le travail des
professionnels peut-il ĂȘtre efficace quand le mineur n'est prĂ©sent que parce
qu'il y est contraint, sans un minimum d'accord de sa part ? En quoi l'action
Ă©ducative va-t-elle ĂȘtre plus "renforcĂ©e" que dans les autres services
Ă©ducatifs du fait d'une surveillance plus Ă©troite, autrement dit quels
avantages vont présenter ces établissements d'un point de vue strictement
Ă©ducatif qui puissent justifier d'orienter les mineurs vers eux pour un autre
motif que la sanction d'un acte délinquant ? Que va-t-il rester d'une
éventuelle ébauche d'action éducative si un départ de l'établissement est
sanctionné par une mise en détention ? Tout mineur confié à un centre fermé n'y
restera que quelques mois puisque le séjour est lié au déroulement du dossier
pénal. Il ne s'agira donc que d'une intervention ponctuelle, au milieu d'un
ensemble morcelé. Quelle action pénale en profondeur va donc pouvoir se mettre
en place dans un temps limité ? Si le moment de l'accueil du mineur dépend du
moment de commission d'une infraction pénale, cette date sera-t-elle forcément
adaptée ? Puisque les centres fermés seront peu nombreux, il y aura dans un
mĂȘme lieu des mineurs d'Ăąge trĂšs diffĂ©rents ? L'intervention Ă©ducative
pourra-t-elle en permanence ĂȘtre adaptĂ©e Ă chacun d'eux ?
Les questions sont donc
trĂšs nombreuses, et d'autres apparaĂźtront encore, notamment celle du personnel
à affecter à ces établissements. L'expérience de certains CER ou CPI avec du
personnel beaucoup trop jeune et inexpérimenté fait craindre le pire si les
équipes de ces centres fermés ne sont pas constituées de professionnels
expérimentés et spécialement compétents. On voit bien que ce genre de structure
induit de nombreux phénomÚnes parasites. Il est douteux qu'une intervention
Ă©ducative sereine puisse se mettre en place dans un tel cadre.
CLARIS : Quelles
sont selon vous les vĂ©ritables conditions dâun travail Ă©ducatif auprĂšs de la
plupart des mineurs délinquants ?
Michel Huyette :
Il n'est pas impossible d'engager de façon cohérente une double action,
Ă©ducative et rĂ©pressive. Mais d'autres critĂšres devraient ĂȘtre retenus. Il faut
Ă mon avis partir dâau moins trois principes.
1- Faire pression sur un
mineur pour que son comportement évolue et notamment qu'il ne récidive pas
n'impose pas par principe la mise en place d'une action Ă©ducative dans un cadre
pénal. C'est le point de départ du raisonnement. Cette pression provient de
l'existence de poursuites engagées par le procureur de la république et du
risque de sanction pénale lors du passage devant la juridiction de jugement.
L'impact de cette pression et son efficacité dépendent beaucoup plus de la
façon dont sa situation est présentée au mineur que du cadre administratif
choisi pour son accueil en foyer. Il est aisé de faire trÚs nettement la différence
entre une rencontre â civile â et une rencontre â pĂ©nale â
au tribunal pour enfants. C'est une question de choix du moment, du ton et des
mots. D'un point de vue théorique, lier la pression pénale à un travail
éducatif dans le seul cadre pénal est une erreur.
2- Pour que la sanction
pĂ©nale soit efficace, elle doit ĂȘtre rĂ©elle, progressive, et intervenir
rapidement. Faire durer artificiellement une procédure pénale ou prononcer un
sursis avec mise Ă l'Ă©preuve pour maintenir un mineur dans un foyer pour
délinquants présente plus d'inconvénients que d'avantages. Et si l'on admet la
nécessité d'une sanction à délai rapproché, cela devient contradictoire avec
une action éducative en profondeur qui impose une stabilité des éducateurs et
une action sur le moyen ou le long terme. Dans un cadre pénal, rapidité de
jugement et travail Ă©ducatif long sont incompatibles.
3- Pour qu'une action
éducative efficace puisse se mettre en place, il faut nécessairement une
acceptation minimale du mineur. Une telle action est en grande partie vouĂ©e Ă
l'échec si celui-ci se sent piégé dans un lieu qu'il refuse totalement ou si sa
premiÚre préoccupation concerne ce qui va lui arriver en cas de fugue.
Dialoguer avec des Ă©ducateurs, aborder des questions intimes, laisser parler ses
sentiments, ĂȘtre en mesure d'exprimer ses angoisses et ses rĂ©voltes, cela
nécessite de la part du mineur un minimum de confiance et d'estime envers le
professionnel qu'il rencontre. Cette estime ne peut qu'ĂȘtre rĂ©duite si ce
professionnel est celui qui a pour mission d'empĂȘcher le mineur de fuguer et va
prévenir le juge en prélude à un emprisonnement.
CLARIS : Dans
quel sens souhaiteriez-vous en fin de compte que lâon rĂ©forme la justice des
mineurs ?
Michel Huyette :
Je suis enclin à conclure que seule une séparation administrative et pratique
entre action éducative et action répressive permet d'intervenir de façon
souple, cohérente, durable et efficace. Cette différenciation évite tous les
phénomÚnes parasites décrits et qui réduisent considérablement l'efficacité du
travail des Ă©ducateurs. Elle permet au juge de manier les deux outils sans
interfĂ©rences, en laissant Ă chacun sa logique propre. Finalement, ce qui est Ă
retenir des expériences conduites jusqu'ici, c'est que l'on a beaucoup plus
besoin de services disposant de moyens Ă©ducatifs plus importants que de foyers
â fermĂ©s â. Les mineurs gravement dĂ©structurĂ©s ont besoin d'une forte
présence en temps et en qualité. Mais pour certains il faut un projet
spécifique, élaboré spécialement pour eux, et permettant des modes
d'intervention variés. Ces mineurs doivent pouvoir accumuler les expériences
affectives, sociales, et professionnelles offertes dans des lieux variés.
PlutĂŽt qu'un maintien contraint dans un lieu unique, c'est un soutien souple et
aux formes variĂ©es qui doit ĂȘtre la prioritĂ©. En ce sens les premiĂšres
expériences des CER sont riches d'enseignements. La présence d'un plus grand
nombre d'éducateurs, la succession d'expériences dans et hors des murs, donnent
des résultats en partie satisfaisant.
Mais il faut aller plus
loin. La situation catastrophique de certains de ces mineurs impose de
mobiliser l'ensemble des moyens existant en matiĂšre d'aide aux jeunes en trĂšs
grandes difficultés. Réduire le nombre des moyens disponibles au champ pénal
beaucoup moins outillé que le champ de l'assistance éducative, uniquement parce
qu'ils ont commis des actes de délinquance, ne peut pas se justifier. Cela va
mĂȘme parfois dans le sens contraire du but recherchĂ©. Les moyens civils de
l'assistance Ă©ducative doivent donc ĂȘtre utilisĂ©s dans toute leur ampleur. Pour
ces mineurs, tout en se montrant particuliÚrement fermes en présence
d'infractions pĂ©nales et tout en sanctionnant sĂ©vĂšrement ce qui doit l'ĂȘtre,
les professionnels doivent organiser un grand mouvement de solidarité.
L'exclusion sans autre but que l'enfermement n'a pas sa place. C'est ainsi que
seront obtenus les meilleurs résultats, tout en sachant que l'enjeu essentiel
n'est pas là mais dans les moyens utilisés en amont, dÚs qu'apparaissent les
premiers signes de fĂȘlure. En tous cas, en ne se focalisant pas sur le seul
acte délinquant, les professionnels peuvent obtenir des résultats. Un chef de
service Ă©ducatif (M. Chenut, directeur de CER Ă Saint Gaudens) Ă©crivait il y a
peu : â Il est Ă©vident
que tous ces jeunes, en recherche identitaire, ne s'aiment pas et sont marqués
par la haine et le rejet, avec des réactions défensives à fleur de peau. La
révolte gronde sans pouvoir dire son nom et se retourne souvent contre
eux-mĂȘmes, en dĂ©pit des apparences. La relation vĂ©ritable avec un adulte qui
les écoute, les encouragements, les félicitations, changent leurs visages. Ils
redeviennent ce qu'ils ont le plus souvent cessĂ© d'ĂȘtre : des enfants en quĂȘte
de reconnaissance et d'amour â. Cela me semble profondĂ©ment juste.
___________________________________________________________________________
âVous avez le droit de
garder le silence...â
Soins, Ă©ducation,
répression, quelle cohérence?
âDĂ©linquantâ, âfouâ, âenfant de la DDASSâ... Un jeune
en difficulté finira-t-il nécessairement par se voir stigmatiser ? Comment
lâĂ©tiquette lui sera-t-elle imposĂ©e parmi ces diffĂ©rentes interprĂ©tations? Quel
rĂŽle va-t-elle jouer dans son parcours Ă venir?
Pour les professionnels amenés à le rencontrer, il
sâagit dâabord de reconnaĂźtre quâau centre des questions se trouve un sujet,
adulte en devenir, et son histoire le plus souvent chaotique. Si tant de modes
dâintervention existent, si lâon cherche constamment Ă en inventer de nouveaux,
câest parce que lâon sait que lâon est Ă un moment particuliĂšrement important,
charniĂšre dans le parcours dâun individu et de son inscription sociale.
Face aux conduites déviantes, on peut opter pour
différentes méthodes:
- Laisser le jeune et son entourage se débrouiller
seuls, avec ce qui dĂ©borde le sujet et quâil nâa pas les moyens, ni psychiques,
ni sociaux, de gérer. On imagine mal, si ces difficultés sont importantes, que
les ressources individuelles puissent dâelles-mĂȘmes canaliser un dĂ©bordement
qui nâira quâen augmentant jusquâĂ ĂȘtre pris en compte.
- Enfermer, dans le seul but de contenir et rĂ©duire Ă
néant ces débordements, les faire disparaßtre pour les nier quand ils
nâexisteront plus. On protĂšge alors la sociĂ©tĂ©, les autres, dans le temps de
lâenfermement, et uniquement dans ce temps, sans se soucier de ce quâil
adviendra aprĂšs. Ou dans lâillusion que cet enfermement est dĂ©finitif ? On ne
protĂšge pas le sujet lui-mĂȘme de ce qui le traverse de sa souffrance.
- Accompagner dans la gestion de ce qui déborde, et
dans la construction avec le sujet dâun projet de vie individualisĂ© en fonction
de ses compĂ©tences, ses intĂ©rĂȘts, sa capacitĂ© de choix et de
responsabilisation.
Ce dernier choix est un pari coûteux dans la mobilisation
de moyens variĂ©s. Câest le seul tenable dans la projection dâun avenir,
lâaffirmation dâune capacitĂ© Ă faire advenir des adultes avec un maximum
dâautonomie, donc nĂ©cessitant un minimum de moyens dâaide sur le long terme.
La société dans son ensemble y est forcément
gagnante, Ă©conomiquement, socialement, humainement.
Mineurs, jeunes ou adolescents ?
En préalable à une réflexion sur les mineurs en
difficultĂ©, repartons dâune dĂ©finition. Lâadolescence est la pĂ©riode de
construction de lâidentitĂ© qui dĂ©termine Ă terme lâinscription dâun sujet dans
un projet de vie adulte, dont sera fonction son inscription dans la société.
Elle débute avec la puberté, processus physiologique donnant accÚs à la
maturitĂ© sexuelle. Ces modifications physiques sâaccompagnent de lâĂ©mergence
soudaine dâune Ă©nergie importante, inconnue et inquiĂ©tante pour le jeune
lui-mĂȘme avant que dâinquiĂ©ter ses parents, son entourage ou la sociĂ©tĂ© dans
son ensemble.
De cette dĂ©finition fort banale, dâemblĂ©e apparaĂźt
lâimportance de lâenjeu de ce moment pour chaque individu, quels que soient son
histoire, son environnement, sa personnalité. Il a, dans cette période plus ou
moins longue, Ă gĂ©rer lâintrication de lâindividuel et du social, de son
identitĂ© de sujet et de sa place dans le groupe, de son image et son rapport Ă
lui-mĂȘme, Ă ses parents, Ă ses pairs, Ă lâensemble de la sociĂ©tĂ©, en fonction
des codes, rÚgles, limites et lois des différents espaces sociaux. Soi et les
autres: quels liens construire? Des expériences antérieures, des liens
rassurants, dangereux ou aliénants, des limites contenantes, arbitraires ou
humanisantes, va dĂ©pendre lâampleur du travail de lâadolescent pour se
construire en sujet autonome et socialisé. Pour gérer de maniÚre
individuellement et socialement adaptée cette énergie nouvelle et débordante,
parfois âindissibleâ Ă laquelle il a Ă se confronter, inĂ©luctablement du fait
de son développement physique et psychique. Cela est vrai pour tout adolescent.
Il est particuliĂšrement important de lâavoir en tĂȘte dans la prise en charge
des mineurs âdifficilesâ, ou âen difficultĂ©â.
Dans cette pĂ©riode complexe, la parole souvent nâest
pas le mode dâexpression privilĂ©giĂ©. Pour utiliser la parole de maniĂšre
efficiente dans la gestion de ses difficultĂ©s, lâadolescent doit dâabord ĂȘtre
en suffisamment bonne santé psychique. il doit avoir une assise narcissique
correcte et ĂȘtre dans le lien, câest Ă dire se reconnaĂźtre comme sujet et
reconnaĂźtre lâautre comme sujet diffĂ©renciĂ©, investir ses propres processus de
pensĂ©e, et ĂȘtre capable Ă minima de reconnaĂźtre ses ressentis et ses actes,
préalable indispensable au fait de reconnaßtre que ceux-ci peuvent avoir un
sens. Il faut Ă©galement que la parole soit reconnue comme ayant de la valeur,
quâune adresse soit identifiĂ©e: des interlocuteurs (parents, entourage, autres
membres de la sociĂ©tĂ©) perçus comme susceptibles dâentendre et prendre en
compte cette parole, la recevoir et en partager le sens.
Dans la plus grande part des situations de souffrance
psychique des jeunes, lâensemble de ces conditions nâest pas rĂ©uni, un ou
plusieurs de ces Ă©lĂ©ments font dĂ©faut. Parfois alors, la parole sâefface et le
jeune devient silencieux: repli, isolement, absentéisme scolaire, retournement
de la violence contre soi par auto-mutilation ou tentative de suicide. Lorsque
les difficultĂ©s sont repĂ©rĂ©es par lâentourage -souvent trĂšs tardivement,
puisque justement il ne âfait pas de bruitâ- câest le secteur du soin ou de
lâĂ©ducatif qui sont interpellĂ©s, souvent amenĂ©s Ă travailler en articulation par
la gestion de la déscolarisation notamment pour les jeunes de moins de 16 ans
soumis Ă lâobligation scolaire.
Dans dâautres cas, ou quand ce mode dâexpression nâa
pas Ă©tĂ© perçu par lâentourage, câest le bruit qui alerte sur la situation: un
bruit qui nâest pas le son de la voix qui vĂ©hicule une parole. â Au
mieux â, il est cris et insultes, en deça de mots porteurs dâun sens pour
eux-mĂȘmes. Les mesures rĂ©centes concernant le milieu scolaire visent Ă faire
taire ce brouillage incomprĂ©hensible plutĂŽt quâĂ tenter de le comprendre. Au
pire, ce bruit est celui des troubles du comportement: les cris accompagnent ou
non les bagarres, portes qui claquent, chaises renversées, objets personnels ou
matériel urbain détruits, vols ou agressions de personnes...
Intervenir sur le mode rĂ©pressif, câest exiger que ce
bruit sâarrĂȘte ici et maintenant (ou quâil se poursuive ailleurs...?). SymptĂŽme
social et symptĂŽme dâune souffrance psychique, rarement lâun sans lâautre, il
est assourdissant et nous empĂȘche de nous entendre. Signifier la nĂ©cessitĂ© de
son arrĂȘt est fondamentalâŠ, mais pas suffisant. Du malaise social Ă lâentrĂ©e
dans une pathologie psychiatrique grave, de lâacte isolĂ© Ă lâinstallation dâun
fonctionnement inadaptĂ© pour un trĂšs long terme, les mĂȘmes faits peuvent avoir
des causes particuliÚrement variées, et demander autant de réponses
différentes.
Câest un choix de sociĂ©tĂ© que dâordonner de se taire
-mais pour combien de temps?- ou de proposer de sâexprimer dâune maniĂšre
âentendableâ, donc âtolĂ©rableâ. Le concept de âtolĂ©rance zĂ©roâ est
littéralement un non-sens: il est refus de donner du sens, et déni de la
rĂ©alitĂ© psychique du sujet. Il est fonctionnement en miroir, Ă lâidentique, des
jeunes auquel il sâadresse, une mise en acte de ce qui ne peut, ou ne veut, ĂȘtre
pensĂ©. Notre position dâadultes supposĂ©ment capables dâun fonctionnement
relativement adaptĂ© se doit dâĂȘtre autrement distanciĂ©e.
Le dialogue de sourds des domaines dâintervention
Trois domaines dâintervention sont susceptibles
dâĂȘtre interpellĂ©s pour rĂ©pondre aux comportements dĂ©viants des mineurs: la
rĂ©pression, lâaide Ă©ducative et le champ de la santĂ© mentale. SchĂ©matiquement,
on peut résumer les tùches ainsi: la justice pénale vise à supprimer ces
comportements; lâĂ©ducation vise Ă les modifier pour une meilleure adaptation
sociale; le soin psychique vise Ă les nommer et leur donner du sens.
Selon les situations, lâun ou lâautre est sollicitĂ©
en premier. Lâintervention primaire de la justice au plan pĂ©nal marque dans la quasi-totalitĂ©
des cas une défaillance majeure du fonctionnement social. Elle est relativement
rare.
La particularité de la justice des mineurs est
dâintervenir dans deux domaines de compĂ©tence: lâassistance Ă©ducative et le
pĂ©nal; lâenfance âen dangerâ et lâenfance âdangereuseâ... avec la complexitĂ© de
ce postulat de base: ces deux dimensions ne peuvent ĂȘtre clivĂ©es. Et la rĂ©alitĂ©
dâun fonctionnement: les structures de prise en charge sont clivĂ©es.
Lâarticulation des niveaux dâintervention apparaĂźt
Ă©videmment nĂ©cessaire. Si tout le monde (ou presque...) sâaccorde sur cette
position de principe, sa mise en Ćuvre concrĂšte reste nĂ©anmoins complexe. Elle
est le plus souvent dĂ©pendante de lâimplication des partenaires au plan local,
fonction des moyens matĂ©riels et humains des diffĂ©rents services, dâune
démarche volontariste des acteurs de la reconnaissance et du respect des places
et fonctions de chacun.
La loi doit bien Ă©videmment sâappliquer partout, Ă
lâextĂ©rieur comme Ă lâintĂ©rieur des structures dâĂ©ducation et de soin. Cela
doit ĂȘtre reconnu par les professionnels comme par les jeunes pris en charge,
câest un outil de travail fondamental pour les acteurs de ces structures. Il y
est exceptionnellement nécessaire de faire appel dans le réel à la justice au plan
pĂ©nal. Dans ce cas, câest une façon de donner du sens, de se dĂ©gager de cette
fonction pour ĂȘtre libre dâune autre parole, en tant que soignant ou Ă©ducateur,
de ne pas se positionner dans une toute-puissance dans la relation ; sa
fonction est limitĂ©e et nâest pas au-dessus de la loi, son rĂŽle est autre.
Affirmer cela est un acte éducatif ou thérapeutique, à condition que le
professionnel soit lui-mĂȘme porteur de ce sens.
Lorsque les passages Ă lâacte se multiplient au sein
des institutions ou au cours dâune prise en charge, les exclusions dâun jeune
se multiplient parfois. RenvoyĂ© dâune structure Ă une autre, finalement sans
lieu proposé à la suite de ces échecs, certains se retrouvent à leur domicile,
ou dans la rue, livrĂ©s Ă leurs dĂ©bordements jusquâĂ la prochaine intervention
judiciaire, pour le coup le plus souvent pénale.
Justice, aide sociale Ă lâenfance et santĂ© mentale
Le fonctionnement de lâarticulation Justice, Aide
Sociale Ă lâEnfance et soins est alors Ă interroger. Le secteur de la santĂ© mentale
ne peut souvent pas travailler seul dans la prise en charge dâun jeune en
difficultĂ©, mais il est souvent un partenaire important dans lâarticulation de
cette prise en charge. La consultation ou lâhospitalisation sont des espaces
dont la neutralitĂ© doit ĂȘtre prĂ©servĂ©e, mais oĂč la dimension des relations avec
lâenvironnement du jeune est Ă©vidente. Le placement provisoire dâun jeune, ou
son accompagnement par des partenaires dans son milieu naturel, peuvent
apparaßtre comme un élément à part
entiĂšre du soin. Mais la mobilisation des partenaires est soumise Ă leurs
représentations du champ de la santé mentale: un jeune soigné en psychiatrie
est-il un fou, éventuellement dangereux, dont définitivement seuls les
psychiatres peuvent sâoccuper? La peur peut - et doit - ĂȘtre entendue; mais on
ne peut sâarrĂȘter Ă sa reconnaissance: il faut la travailler pour proposer
malgré tout des solutions adaptées.
Les foyers ou établissements sollicités rechignent
parfois Ă recevoir un jeune adressĂ©, malgrĂ© la pertinence de lâorientation;
parfois, le jeune adressé par eux dans un moment de crise ne peut réintégrer
son Ă©tablissement, du fait de cette inquiĂ©tude quâil a suscitĂ©e et qui a Ă©tĂ©
confirmée implicitement par les soins offerts. Nombreux sont les jeunes qui
bĂ©nĂ©ficieraient dâun placement dans le cadre privilĂ©giĂ© dâune famille
dâaccueil: ces familles, en nombre insuffisant, savent que lâaccueil dâun
adolescent est difficile; alors sâil sort de psychiatrie...
Que la demande dâaide soit initiĂ©e par le secteur de
soin, ou que lâorientation vers le soin soit faite par le juge ou les services
quâil a mandatĂ©s pour la prise en charge, le partenariat est difficile, et
demande un travail spĂ©cifique de rĂ©flexion commune sur lâorientation la plus
adaptée. Cela demande du temps et des moyens: outils de réflexion, travail
autour des reprĂ©sentations de chacun et construction dâun langage commun, lieux
dâorientation et de prise en charge. Au plan local, chacun se dĂ©brouille de
maniĂšre plus ou moins efficace; au plan national, ces outils manquent; leur
dĂ©veloppement dĂ©pend dâune vĂ©ritable volontĂ© politique.
Dans le secteur sanitaire, lâĂ©tat des lieux et les
perspectives sont décourageants. Le nombre de psychiatres est trÚs insuffisant,
au vu de la formation des médecins de cette spécialité, les carences vont
sâaccentuer notablement dans les annĂ©es Ă venir. Les Centres
Médico-Psychologiques, lieux de consultation du secteur public, sont saturés
avec des listes dâattente de plusieurs mois, parfois 6 Ă 8 mois, pour une
demande de premiĂšre consultation. Les situations difficiles ne peuvent ĂȘtre
Ă©valuĂ©es Ă temps, le traitement en urgence de situations devenues extrĂȘmes est
la rĂšgle. Le traitement âcommunautaireâ de la souffrance psychique se
dĂ©veloppe, oĂč lâapproche individuelle est rĂ©duite, faute de moyens, et oĂč lâon
renvoie au groupe, au social, la gestion de ces questions, avec la caution
dâune prĂ©sence minimisĂ©e des professionnels de la santĂ© mentale: dimension
certes intéressante, mais non suffisante. Le secteur privé est tout aussi débordé.
En termes dâhospitalisation, lâorientation des jeunes
hospitalisĂ©s est dâune telle complexitĂ© que les adolescents restent souvent
bien plus longtemps que nécessaire, embolisant le fonctionnement du systÚme,
occupant plus que nécessaire les places qui, durant ce temps, ne peuvent
accueillir dâautres jeunes qui pourraient en bĂ©nĂ©ficier. Dans les structures
médico-sociales type IME (Institut Médico-Educatif), les places sont également
en nombre trÚs insuffisant: des jeunes en trÚs grande difficulté, avec une
pathologie présente souvent depuis la petite enfance, psychose infantile ou
handicap lourd, relevant de ces Ă©tablissements, ne peuvent y ĂȘtre accueillis.
Sans soins ni éducation adaptés, parfois maintenus au domicile, ils se
retrouvent en situation de crise; accueillis alors Ă lâhĂŽpital, ils y restent
parfois plusieurs mois, voire plusieurs annĂ©es avant quâune orientation ne leur
soit proposée. Cette prise en charge ne leur est pas adaptée, elle ne relÚve
pas des missions des services hospitaliers sollicitĂ©s. Ces missions dâaccueil
temporaire et dâĂ©valuation limitĂ©e dans le temps ne peuvent pas, du coup, ĂȘtre
remplies: les jeunes qui en bénéficieraient sont à leur tour pris en charge de
maniĂšre inadĂ©quate ou livrĂ©s Ă eux-mĂȘmes, rĂ©pĂ©tant des troubles du
comportements auxquels aucune rĂ©ponse satisfaisante nâest donnĂ©e: pas entendus,
ils continuent Ă âfaire du bruitâ...
Il ne sâagit pas de faire ici un plaidoyer pour la
psychiatrisation de toute difficultĂ©, bien au contraire. Lâanalyse des moyens
et du temps de lâintervention du champ de la santĂ© mentale permettrait
dâutiliser ces compĂ©tences de maniĂšre adaptĂ©e et efficace dans le cadre plus
général du traitement individuel et social des troubles du comportement des
adolescents. La rĂ©duction dâun espace oĂč peut se travailler le sens donnĂ© aux
comportements dĂ©viants implique mĂ©caniquement lâaugmentation dâun autre champ
de traitement de ces questions; en lâoccurrence, câest aujourdâhui dans le
champ de la répression et du traitement pénal que les choix politiques portent
les moyens financiers et humains.
Marie Bastianelli, psychologue
clinicienne
Pour en savoir plus
Winnicott D.W.,
DĂ©privation et dĂ©linquance, Payot,Â
1994.
Kammerer P., Adolescents
dans la violence, Gallimard,
Collection "sur le champ", 2000.
___________________________________________________________________________
EnquĂȘte
dans les quartiers pour mineurs
des prisons
françaises
Les Ă©tudes permettant de se faire une idĂ©e de lâĂ©tat
actuel des quartiers pour mineurs des prisons françaises ne sont vraiment pas
nombreuses, et elles traitent presque toujours dâun aspect particulier de la
vie carcĂ©rale, spĂ©cialisation oblige. A lâheure oĂč lâon construit de nouvelles
prisons pour y envoyer davantage de mineurs dĂ©linquants, câest la premiĂšre
raison de sâintĂ©resser au livre dâĂdouard Zambeaux. Le seconde raison est que
ce journaliste indĂ©pendant a rĂ©ellement tentĂ© de savoir ce quâest cette
rĂ©alitĂ©. Avec lâautorisation du ministĂšre de la Justice, il a sĂ©journĂ© dans 8
prisons françaises (Reims, Lyon, Strasbourg, Lille, Fleury-Mérogis,
Bois-dâArcy, Villepinte et Aix-en-Provence, entre octobre 2000 et juillet 2001.
A notre demande, E. Zambeaux nous a prĂ©cisĂ© quâil avait sĂ©journĂ© prĂ©cisĂ©ment
une semaine dans 6 des 8 prisons, 2 et 4 jours dans les deux autres (oĂč il y
avait moins de dix détenus mineurs). A chaque fois, il était présent durant la
journée complÚte, de 7 heures à 19 heures, soit les horaires des équipes de
jours pour les surveillants. Sa demande de pouvoir rester la nuit a été refusée
par lâadministration. Il sâest cependant efforcĂ© de rester dans les lieux le
plus tard possible Ă la fin de la journĂ©e, afin dâassister au remplacement
entre lâĂ©quipe de jour et celle de nuit. Au total, il a rĂ©alisĂ© de trĂšs
nombreuses observations et a recueilli prĂšs de 200 entretiens plus ou moins
formels avec ceux qui en acceptaient le principe parmi les détenus
(généralement dans leurs cellules), les surveillants, les éducateurs, les
mĂ©decins, les enseignants et les chefs dâĂ©tablissements. Il livre ainsi, selon
ses propres termes, â une photographie Ă une moment donnĂ© â,
certainement incomplÚte, certainement émaillée de jugements moraux,
certainement orientée ici ou là par les rencontres, les personnalités
individuelles, la sienne aussi. Mais ce travail a été mené avec une vraie
conscience professionnelle, une belle volonté de savoir et un certain courage.
Cette photographie nâest donc certainement pas exempte de zones dâombres, les
rares spécialistes en discuteront, mais elle éclaire aussi beaucoup de choses
dont on donnera ici quelques aperçus, en conseillant à chacun de lire ce petit
livre Ă bien des Ă©gards Ă©difiant.
Un monde oĂč rĂšgne lâarbitraire ?
Que font au jour le jour les mineurs (ils sont prĂšs
de 900 actuellement) dans une prison ? Pour y répondre, il est essentiel
de tenter dâobserver ce quâest la vie quotidienne rĂ©elle, loin des textes de
lois qui encadrent tant bien que mal la vie carcérale et des discours officiels
de lâadministration. DâemblĂ©e, câest en effet lâarbitraire qui sâimpose et le
sentiment vite partagé par la plupart des adolescents détenus que la prison est
une â zone de non droit â, pour reprendre une expression Ă la mode
dans un autre contexte. Lâarbitraire, câest dâabord celui des codĂ©tenus qui
imposent la loi du plus fort et qui rackettent tout nouveau venu, sur ses
chaussures (malheur Ă celui qui a des baskets trop neuves), puis sur ses
cigarettes et les divers produits de sa â cantine â. La vie en prison
ressemble Ă bien des Ă©gards Ă la vie dans certains quartiers pauvres. De petits
groupes sây reforment, des leaders sây imposent par la violence, et celui qui
nâest pas du coin et qui ne connaĂźt personne est vite forcĂ© de rentrer dans le
rang, non sans avoir tenté de se défendre et avoir été battu parfois trÚs
violemment. La chose peut Ă©tonner car, aprĂšs tout, les mineurs ne sont pas si
nombreux dans chaque prison, généralement quelques dizaines au maximum, et la
prison est un espace clos, trĂšs structurĂ©, qui ne semble pas si difficile Ă
surveiller. LâĂ©tonnement disparaĂźt lorsque lâon comprend que les moments
quotidiens de vie collective â les promenades â et certains espaces
comme les toilettes et parfois les douches Ă©chappent Ă la surveillance des
gardiens, souvent parce que ces derniers le veulent bien. Le diagnostic de
lâobservateur est clair : â Le rĂšgle est que les dĂ©tenus sont en
promenade livrĂ©s Ă eux-mĂȘmes sous lâĆil plus ou moins distrait dâun surveillant
qui, le cas Ă©chĂ©ant, donne lâalerte ou de quelques camĂ©ras, lorsquâelles
fonctionnent â (p. 120). Câest lĂ que les comptes se rĂšglent. Beaucoup
dâadolescents tentent dây Ă©chapper en restant enfermer dans leur cellule, au
prix dâun isolement renforcĂ© qui se paye autrement, psychologiquement.
Lâarbitraire, câest ensuite celle des rapports entre
surveillants et dĂ©tenus. Ădouard Zambeaux ne tombe pas dans le simplisme qui
consisterait à opposer les pauvres détenus aux méchants matons. Il dit
simplement ce quâil a vu et entendu. Au fond, Ă le lire, on a lâimpression que,
dans leurs rapports aux dĂ©tenus, les surveillants peuvent ĂȘtre classĂ©s en trois
groupes : 1/ une minorité de personnes dévouées et trÚs soucieuses de la
déontologie de leur métier, qui imposent le respect des personnes humaines, qui
sont Ă lâĂ©coute des souffrances des jeunes sans rien cĂ©der au rĂšglement et sont
volontaires pour les rares expériences éducative menées depuis quelques
annĂ©es ; 2/ Ă lâopposĂ©, une minoritĂ© de surveillants qui ont des
représentations ultra-négatives de ces jeunes, qui ne cachent pas leur racisme,
qui jouent pleinement de leur pouvoir de privation et dâhumiliation (oublier de
relever les bons de cantine, retarder lâarrivĂ©e du courrier, divulguer
publiquement des contenus de ces courriers, multiplier les fouilles inutiles,
etc.), qui renforcent ainsi dramatiquement lâimpression des dĂ©tenus selon
laquelle la prison est un monde arbitraire et hypocrite, oĂč les rĂšgles de droit
au nom desquels ils ont été condamnées ne sont absolument pas respectées ;
3/ enfin, entre ces deux minorités, un groupe plus nombreux et moins déterminé,
dont le but essentiel semble surtout dâĂ©viter les situations conflictuelles et
stressantes, et qui est sans doute influencĂ© par lâinfluence locale
prĂ©dominante des deux autres groupes plus â agissants â. Par
ailleurs, un des problĂšmes soulevĂ©s est aussi lâopposition entre les Ă©quipes de
jour, spécialisées dans le travail avec les mineurs et qui esquissent parfois
un travail éducatif que les équipes de nuit, non spécialisées, peuvent démolir
en quelques heures en rĂ©agissant mal Ă la tension et lâangoisse qui montent chez
les adolescents au début de la nuit et peuvent les rendre trÚs agités
(opposition qui nâest pas sans rappeler celle existant aussi souvent chez les
policiers entre le travail de jour des Ăźlotiers et le travail de nuit des
unitĂ©s dâintervention comme les Brigades Anti-CriminalitĂ©).
Ăcole et travail, ou tĂ©lĂ©vision et Playstation dans
les brumes du cannabis ?
Un second constat massif ressort de cette enquĂȘte.
Câest la rĂ©ponse Ă la question : que font les mineurs en prison, au
quotidien ? Pour qui nâavait vraiment pas idĂ©e de ce que peut ĂȘtre la vie
carcĂ©rale, câest sans doute ici que le livre dâĂdouard Zambeaux paraĂźtra le
plus édifiant. La réalité tient en effet en peu de mots : la plupart des
adolescents dĂ©tenus sâabrutissent Ă longueur de journĂ©e, et parfois de nuit,
devant la tĂ©lĂ©vision et les jeux vidĂ©os, le tout avec lâesprit endormi et
embrumé par les vapeurs du cannabis. Car on se procure facilement de la drogue
dans la plupart des prisons. Le constat a frappĂ© dâemblĂ©e notre visiteur :
â Il suffit de dĂ©ambuler dans les couloirs dâun quartier pour respirer le
parfum du cannabis qui sâĂ©chappe des cellules. Il suffit de voir les yeux
rougis et lâĂ©locution un peu pĂąteuse de nombreux jeunes pour en confirmer la
consommation effrĂ©nĂ©e dans les quartiers de mineurs. MĂȘme si, bien sĂ»r, ce
nâest pas le produit le plus dangereux qui circule â (p. 77). Il ajoute
plus loin : â Pratiquement dans chaque Ă©tablissement, un jeune un peu
bravache me posera dâailleurs la traditionnelle question : âtu veux fumer
un joint ?â â (p. 79). Le journaliste veut comprendre. Il observe et
interroge. Et il conclut : â Il nâest pas trĂšs compliquĂ© de faire
entrer du shit en prison. Les directeurs le savent et connaissent les méthodes.
Certains sous couvert dâanonymat avouent mĂȘme que le haschich est un âfacteur
de paix socialeâ dans les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires. Les jeunes vautrĂ©s sur
leur lit avec lâesprit un peu embrumĂ© et ralenti et les gestes lents sont plus
âconfortablesâ Ă surveiller. Il ne sâagit donc pas pour les responsables
dâinitier un combat dâarriĂšre-garde qui risquerait de âmettre le feuâ dans
leurs Ă©tablissements â (p. 82). Mais il y a plus grave. Les adolescents
dĂ©tenus luttent aussi contre lâennui et la dĂ©pression en recourrant frĂ©quemment
Ă des mĂ©dicaments, au point que ces derniers sont Ă©galement lâobjet de nombreux
trafics et Ă©changes de services. Et lĂ encore, il semble que cela arrange
parfois tout le monde. Selon lâenquĂȘteur, â Chez certains jeunes, la
pharmacie est assez impressionnante. A Bois-DâArcy, un jeune majeur qui a passĂ©
deux ans et demi chez les mineurs Ă©grĂšne la liste des mĂ©dicaments quâil a
consommĂ© depuis son arrivĂ©e : âLexomil, Imovane, Effexor, TranxĂšne 10 puis
50 puis 100 milligrammes par jourâ. Il suffit de voir le chariot mĂ©dical qui
tous les soirs arpente les couloirs du quartier des mineurs de Fleury-MĂ©rogis
pour sâen convaincre. A cette heure lĂ , on a davantage lâimpression de
dĂ©ambuler dans les coursives dâun Ă©tablissement hospitalier que dans celles
dâun centre pĂ©nitentiaire â (p. 85). La conclusion du chapitre est
inquiĂ©tante : â MĂȘme si le phĂ©nomĂšne est plus prĂ©occupant chez les
majeurs que dans les quartiers de jeunes, la toxicomanie et les
polytoxicomanies semblent progresser en milieu carcéral. Le directeur de la maison
dâarrĂȘt de Lille est lâun des rares Ă tirer le signal dâalarme sur ce sujet.
Dans son établissement, 52 % des détenus incarcérés sont toxicomanes. Constat
dâentrĂ©e Ă©difiant. Sans illusion sur les ravages de la promiscuitĂ© carcĂ©rale,
ce chef dâĂ©tablissement est persuadĂ© quâil y a plus de toxicomanes qui sortent
de prison que de droguĂ©s qui nây entrent⊠â (p. 87).
Â
Dans cet état, que peut-on bien faire de ses journées
en prison ? A lire cette enquĂȘte, on comprend rapidement que la principale
activité est de regarder la télévision et de jouer à des jeux vidéos sur les
fameuses Playstation (p. 56sqq). En soi, il est bien normal que les
détenus puissent regarder la télévision et que, parmi les activités offertes
aux adolescents, il existe des jeux vidéos dans des salles prévues à cet effet.
Cela fait partie de lâenvironnement quotidien et du rythme de vie de tous les
adolescents. Le problĂšme commence lorsque lâon y passe non pas quelques heures
dans des créneaux bien déterminés, mais le plus clair de son temps. Sur ce
point, les Ă©tablissements ont chacun leur politique officielle : qui
lâautorise en permanence et lâinterdit passĂ©es 23 heures, qui lâoffre
gratuitement et qui la rend payante. Mais dans la réalité, la télé est
omniprésente et les détenus savent contourner les interdictions pour la nuit
(p. 73-74). Et, lĂ encore, on comprend que, dans certains cas, cela arrange
peut-ĂȘtre tout le monde, Ă commencer par les surveillants. Câest un facteur de
â paix sociale â, parfois un effet de ce â climat de dĂ©mission
et de paresse â quâa cru dĂ©celer lâobservateur. Mais dans ces conditions,
quid de lâambition de â rĂ©insertion â prĂ©vue par la loi ? Quelle
place reste t-il pour le travail et lâĂ©cole en prison ? Peau de chagrin en
vĂ©ritĂ©. Dâautant que les deux activitĂ©s sont parfois concurrentes. Les jeunes
qui nâont pas de ressources (qui ne reçoivent pas de mandats de lâextĂ©rieur)
prĂ©fĂšrent parfois travailler, mĂȘme si câest pour gagner Ă peine plus de 10
francs de l'heure (p. 110, 154). Oui, le moins que lâon puisse dire est que
lâĂ©cole nâest pas valorisĂ©e en prison. Sauf exceptions notables (Ă Strasbourg,
les Ă©lĂšves qui â sĂšchent â les rares cours sont privĂ©s de promenade
ou de sport), le personnel de lâadministration pĂ©nitentiaire ne semble pas y
attacher une grande importance, ni lâĂ©ducation nationale qui accorde trĂšs peu
de moyens aux enseignants dévoués à cette tùche particuliÚrement difficile. Des
conventions existent entre les deux institutions, mais dans la pratique ?
Un exemple. Au total, â si les conditions optimales sont rĂ©unies (ce qui
est trĂšs rares), les jeunes mineurs de la maison dâarrĂȘt de Lyon bĂ©nĂ©ficient de
9 heures de cours par semaine, en comptant le dessin et le sport â (p.
107). Reste 5 heures de cours pour les contenus, par semaine rappelons-le. Lâenjeu
est pourtant énorme. La trÚs grande majorité des jeunes détenus sont en échec
scolaire, pour ne pas dire plus. Lâadministration pĂ©nitentiaire le sait, il
existe plusieurs rapports sur lâillettrisme en prison. Le proviseur de lâĂ©cole
qui organise des cours en prison Ă Lyon est pragmatique : son objectif
serait que les jeunes qui sortent de prison ne soient plus illettrĂ©s. Il sâagit
de permettre simplement une â reprise de contact avec lâĂ©cole â. Il
sâagit aussi dâagir pour restaurer un peu dâestime de soi chez ces jeunes qui
cachent souvent leur profond désarroi derriÚre un discours viril et une
revendication dâauto-suffisance. Rappelons ici la trĂšs forte augmentation
tendancielle du taux de suicide en prison depuis 30 ans. Lâenjeu est donc
fondamental. Il devrait mobiliser toutes les Ă©nergies.
 Et tout est
un peu comme cela. Le sport, nouvel exemple, peut ĂȘtre un outil pĂ©dagogique et
un lieu dâapprentissage de la vie en commun. Un cas le montre bien dans cette
enquĂȘte (p. 137). Mais la plupart du temps, les jeunes font surtout de la
musculation dans la salle prĂ©vue Ă cet effetâŠ
Alors dans ces conditions, on nâose pas Ă©voquer la
question du travail psychologique qui devrait aussi se faire en prison, auprĂšs
de ces jeunes souvent à la dérive et en grande souffrance. Quid du travail sur
soi avec un psychologue ? Quid du travail sur les relations avec les
familles ? Quid de lâidĂ©e de faire en sorte que les dĂ©tenus ne ressortent
pas dans un Ă©tat moral et psychologique pire que lorsquâils sont entrĂ©s en
prison ? Le besoin est Ă©norme, les entretiens avec les Ă©ducateurs de la
PJJ le montrent bien (p. 129ssq, on sait toutefois aussi que les
Ă©ducateurs PJJ rechignent parfois Ă travailler en prison). La question nâest
pas posĂ©e comme une prioritĂ©, câest un euphĂ©misme.
Non, décidément, la prison pour mineurs est bien loin
de la doctrine officielle qui parle de â rĂ©insertion â. La rĂ©alitĂ©
est quâune directrice de quartier pour mineurs doit dĂ©jĂ se battre pour que les
jeunes détenus soient simplement obligés de se lever le matin, se laver,
sâhabiller, ĂȘtre Ă©veillĂ©s le jour et dormir la nuit (p. 52). Alors le resteâŠ
Une â atmosphĂšre de dĂ©mission collective â
Faut-il mettre sur le dos des délinquants cette
situation et dire tout bonnement quââ ils sont trop durs â pour que
lâon puisse changer quoi que ce soit Ă cet Ă©tat de fait ? Câest ce que
lâon entend souvent. A lire Ădouard Zambeaux, on comprend que les choses ne
sont pas aussi simples. Parlons dâabord des surveillants. Pourquoi sont-ils si
difficiles Ă motiver ? Pourquoi des comportements si archaĂŻques
subsistent-ils si fréquemment ? Comment interpréter aussi ces problÚmes
rĂ©currents dâalcoolisme que lâon retrouve dans les observations du
journaliste ? Pourquoi cette difficulté à construire de bonnes relations
avec les jeunes dans la durée ? Certes, les jeunes sont parfois trÚs
difficiles. Il y a mĂȘme des cas oĂč les prisons se repassent rĂ©guliĂšrement tel
ou tel détenu violent sur lequel rien ne semble avoir de prise. Mais en dehors
de ces cas particuliers, pourquoi ces blocages ? Pourquoi lâĂ©volution
réelle du recrutement et de la formation des surveillants (prÚs de 90 % des
jeunes surveillants recrutĂ©s ont aujourdâhui un niveau Bac ou plus, contre
moins de 20 % il y a dix ans ?) a si peu dâeffets visibles sur la vie
quotidienne en prison ? Pourquoi les surveillants les plus motivés
sont-ils parfois mĂȘme la risĂ©e de certains de leurs collĂšgues et ne sont pas
soutenus autant quâils pourraient lâĂȘtre par leurs syndicats ? Encore une fois,
il ne sâagit pas dâaccuser les surveillants, mais dâanalyser leurs pratiques et
leurs reprĂ©sentations. Le journaliste a vu une des clefs du problĂšme lorsquâil
Ă©crit que lâon a affaire Ă â une profession embrassĂ©e par
dĂ©faut â et qui est trĂšs peu valorisĂ©e. Parlons clair : souvent, on
devient surveillant parce quâon a ratĂ© les autres concours de la fonction
publique. Et ce mĂ©tier nâoffre guĂšre de perspective dâĂ©volution de carriĂšre.
Par ailleurs, tout est stigmatisé dans cette activité : le lieu (la
prison), le public (les délinquants) et donc fatalement aussi ceux qui y
travaillent. Tout ceci concourt Ă cette â ambiance gĂ©nĂ©rale de dĂ©mission
qui flotte dans les prisons â (p. 99). Trop souvent, lâobservation invite
Ă conclure que les surveillants â sont lĂ pour ouvrir et fermer des
portes et assurer un semblant de calme dans les cocottes-minute que sont les
quartiers pour mineurs â (p. 97).
Se pose aussi la question de leur encadrement. LĂ
encore, lâenquĂȘte du journaliste est tout de mĂȘme assez inquiĂ©tante. Le constat
central est en effet celui de la distance qui sépare les directeurs de prison
de la vie quotidienne dans les Ă©tablissements publics dont ils ont la charge.
Certes, il y a les cas exemplaires. Selon lâenquĂȘteur, â le directeur de
la maison dâarrĂȘt de Lille, un Ă©tablissement pourtant rĂ©putĂ© difficile, semble
accorder de lâimportance Ă la visibilitĂ© et Ă la comprĂ©hension de la
hiérarchie. Les enfants savent dans cette prison que les surveillants ne sont
pas seuls maĂźtres Ă bord, quâil existe des recours. Les surveillants se sentent
contrĂŽlĂ©s et peuvent en rĂ©fĂ©rer Ă un supĂ©rieur. Le chef de service nâhĂ©site
dâailleurs pas Ă raconter cette scĂšne surrĂ©aliste oĂč il a exigĂ© dâun agent
quâil prĂ©sente des excuses Ă un dĂ©tenu avant de le changer dâaffectation. Les
jeunes, eux, ont ajouté cet épisode à la mémoire collective du quartier. Ils se
plaignent de leur dĂ©tention, ils voudraient ĂȘtre dehors, mais les accusation
dâarbitraires sont rares. Et pas un nâa parlĂ© de comportement raciste Ă son
Ă©gard, ce qui est lâaccusation rĂ©currente ailleurs â (p. 40). Mais Ă cĂŽtĂ©
de ces cas exemplaires, il y a aussi des Ă©tablissements dans lesquels les
directeurs ferment les yeux tant quâil nây a pas de gros problĂšme. Le
journaliste cite trois prisons dans lesquels les surveillants sont incapables
de dater la derniĂšre visite du directeur. Dans un cas, â le directeur
admet lui-mĂȘme quâil nâa pas mis les pieds chez les mineurs depuis quatre
mois â car il a toute confiance en son responsable de quartier. Ainsi,
â les quartiers de mineurs vivent donc souvent en marge, sous la
responsabilitĂ© dâun surveillant-chef ou dâun premier surveillant qui est
parfois exemplaire, parfois moins â (p. 39). A en croire cette enquĂȘte,
beaucoup de directeurs de prison seraient surtout des gestionnaires, préoccupés
par les flux dâentrĂ©es et de sortie, craignant lâĂ©vasion et le suicide, mais ne
se préoccupant guÚre de la vie des détenus et des divers personnels qui
dĂ©terminent au quotidien ce quâest la vie de la prison (constat qui nâest pas
sans Ă©voquer Ă certains Ă©gards la situation de certains Ă©tablissements
scolaires dont les chefs dâĂ©tablissements sont parfois devenus Ă©galement de
pures et simples gestionnaires). Difficile toutefois ici de faire une
gĂ©nĂ©ralitĂ©, les personnalitĂ©s ont peut-ĂȘtre un grand poids dans lâaffaire, ce
qui serait encore une inégalité devant la loi.
On sâen doute, le livre dâĂdouard Zambeaux nâa pas
plu Ă tout le monde. Lâadministration pĂ©nitentiaire le lui a fait savoir. Il
est pourtant essentiel de savoir ce qui se passe dans les prisons pour mineurs.
Ce journaliste y aura contribué à sa façon, il faut lui en savoir gré. Car
comme lâĂ©crit le sociologue Philippe Combessie (2001, p. 107) : â En
dĂ©mocratie, la justice se doit dâĂȘtre visible. Or cette exigence de visibilitĂ©
laisse de cÎté les prisons, par un double processus qui se renforce :
occultation de ces espaces opĂ©rĂ©e par les citoyens eux-mĂȘmes (y compris les
élus), développement de pratiques autarciques par les administrateurs des
prisons. Une politique volontariste Ă plusieurs niveaux pourrait-elle permettre
de changer ces tendances lourdes ? Ce serait dâun intĂ©rĂȘt majeur pour
lâinstitution pĂ©nitentiaire, Ă commencer par ses acteurs les plus
directs : les dĂ©tenus, qui verraient limiter les abus que lâensemble du
systÚme leur fait subir, et les fonctionnaires pénitentiaires, dont la
conscience professionnelle ne pourrait quâĂȘtre renforcĂ©e lorsquâils verraient
mieux reconnue leur activitĂ© assurĂ©ment ingrate et difficile â. Et il y a
urgence. Au 31 dĂ©cembre 1997, il y avait un â stock â de 767 dĂ©tenus
mineurs. Au 1er juillet 2002, il y en avait 901⊠900 jeunes qui
feront quoi en sortant de prison ? Puisquâen 2002, il faut une fois encore
reconduire le constat multi-séculaire selon lequel on ressort de prison en plus
mauvais Ă©tat quâon y est entrĂ©, faut-il sâĂ©tonner du fait que la grande
majorité de ces jeunes retourneront tÎt ou tard en prison ? DÚs lors, ne
doit-on pas poser pragmatiquement (et non plus simplement idéologiquement), le
question du bien-fondĂ© de la prison ? Dâaucun rĂ©pondront peut-ĂȘtre quâil
faut nĂ©cessairement â neutraliser â (le mot revient Ă la mode) de
dangereux criminels, auteurs dâagressions sauvages, criminels ou violeurs. Ils
mentiront. Environ les deux tiers des mineurs détenus ont été condamnés pour des
atteintes aux biens ou Ă lââ ordre public â (affaires de drogues,
altercations avec des policiers). Est-il véritablement profitable à la société
de les envoyer dans des prisons dâoĂč ils ressortiront plus dĂ©sespĂ©rĂ©s, plus
isolĂ©s et donc plus violents quâils y sont entrĂ©s ?
Laurent Mucchielli, sociologue
Pour en savoir plus
Zambeaux E., En prison avec des ados. EnquĂȘte au
cĆur de lââ Ă©cole du vice â, Paris, DenoĂ«l, 2001.
Chantraine G., 2000, La sociologie carcérale :
approches et débats théoriques en France Déviance et société, 3, p.
297-318.
Combessie P., 2001, Sociologie de la prison,
Paris, La DĂ©couverte.
Les cahiers de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, numĂ©ro thĂ©matique : â Prisons en
sociĂ©tĂ© â, 1998, n°31.
Informations sociales, numĂ©ro thĂ©matique : â Enfermements â,
2000, n°82.
Observatoire International des prisons :
http://www.oip.org
Panoramiques,
numĂ©ro thĂ©matique : â Prisons : quelles
alternatives ? â, 2000, n°45.
___________________________________________________________________________
LâĂ©cole : du rapport dâincident au dĂ©lit
Longtemps les autorités scolaires ont nié les
phĂ©nomĂšnes de dĂ©linquance Ă lâĂ©cole. Les chahuts traditionnels, ainsi nommĂ©s
par TestaniĂšre en 1967
avaient dans une école formant les élites de la société aux études longues plus
une fonction de maintien que de dĂ©stabilisation de lâordre Ă©tabli. Les
enseignants qui les subissaient ne bĂ©nĂ©ficiaient la plupart du temps dâaucun
soutien de la part de leurs collĂšgues, Ă©taient taxĂ©s de â manque
dâautoritĂ© â et ne pouvaient sâen prendre quâĂ eux-mĂȘmes.
Longtemps les désordres en milieu scolaire ont été
ignorĂ©s, lâEcole prĂ©fĂ©rant en taire lâexistence plutĂŽt que de la porter Ă la
connaissance publique et de devoir reconnaßtre ainsi ses difficultés à gérer
certains Ă©lĂšves.
Au cours des années 80, le processus de massification
et la suppression des filiÚres pré-professionnelles en cours de collÚge ont
fait rentrer et rester au collĂšge lâensemble dâune classe dâĂąge. Les
enseignants ont dû gérer des publics scolaires trÚs hétérogÚnes alors que leurs
formations initiales avaient peu Ă©voluĂ©. Le thĂšme de la violence Ă lâĂ©cole a
alors pris une importance de plus en plus forte, devenant la catégorie
principale avec laquelle sont pensés les conflits qui accompagnent les
relations maĂźtres- Ă©lĂšves. Câest Ă partir des annĂ©es 90 que se mettent en place
les premiers systĂšmes de comptabilitĂ©, tant au niveau de lâEducation nationale
quâĂ celui du MinistĂšre de lâIntĂ©rieur. En 1993, les plaintes dĂ©posĂ©es sont
trĂšs peu nombreuses : 771 pour coups et blessures volontaires sur Ă©lĂšves et 210
sur des personnels enseignants (pour une population scolaire de 14 millions
dâĂ©lĂšves). De fait, le taux de victimation dans la sociĂ©tĂ© française est de
6,5% alors quâil est 0, 014% Ă lâĂ©cole pour les Ă©lĂšves et de 0,4 % pour les
personnels. Dans les années suivantes, les signalements augmentent
â du fait de la sensibilitĂ© des personnels de lâEducation nationale et par
les effets de la doctrine officielle du signalement â.
En 1998, sur 240 000 incidents déclarés, seulement
2,6 % Ă©taient considĂ©rĂ©s comme des â faits graves â sur lâensemble
des incidents dĂ©clarĂ©s. Ces â faits graves â ayant fait lâobjet dâun
signalement au procureur sont des violences verbales (70,8 %) des coups et
blessures (22,4 %) du racket (3,3 %).... Les auteurs sont Ă 86 % des Ă©lĂšves, Ă
1,3 % des personnels. Les victimes sont Ă 78 % des Ă©lĂšves, Ă 20 % des
personnels. A noter que les incidents de gravités trÚs diverses sont signalés
par les chefs dâĂ©tablissement, ce qui introduit des biais dans leur
comptabilisation : le premier est la diffĂ©rence dâapprĂ©ciation de la
gravité estimée des incidents selon les régions ou la situation de
lâĂ©tablissement, le second est une tendance Ă â gonfler â le nombre
dâincidents ou au contraire Ă le diminuer en fonction des consĂ©quences estimĂ©es
sur la rĂ©putation de lâĂ©tablissement, le troisiĂšme est une trĂšs faible
signalisation des incidents dont sont responsables des adultes des
Ă©tablissements. Le problĂšme est proche des biais introduits par la
comptabilisation des faits de délinquance par les services de police et de
gendarmerie : ils reflĂštent lâactivitĂ© de ces services plutĂŽt que
lâĂ©volution de la dĂ©linquance elle-mĂȘme. A lâĂ©cole, il existe sans doute une
plus grande tolĂ©rance Ă lâĂ©gard des violences mineures, verbales ou physiques
commises par les adultes plutĂŽt quâĂ lâĂ©gard de celles commises par les Ă©lĂšves .
Le dernier logiciel mis en place, Signa, ne
comptabilise plus que les â actes pĂ©nalement rĂ©prĂ©hensibles, les
signalements Ă la justice, Ă la police ou aux services sociaux ainsi que les
incidents qui peuvent perturber fortement lâĂ©tablissementâ, alors que les
prĂ©cĂ©dents modes de comptabilisation signalaient lâensemble des incidents, quel
que soit leur degré estimé de gravité. Ceci explique sans doute que de 240 000
incidents signalĂ©s en 1998, on soit passĂ© Ă 85 000 pour lâannĂ©e scolaire
2001-2002. LâapprĂ©ciation du degrĂ© de
gravitĂ© des incidents qui peuvent perturber la vie de lâĂ©tablissement reste
subjective. Comme sont subjectifs Ă©galement les commentaires quâen font les
ministres : avec des donnĂ©es trĂšs proches, Jack Lang constatait â une
stabilisation voire une amĂ©lioration â, alors que Luc Ferry considĂšre que les chiffres actuels sont tout
simplement â calamiteux â (Le Monde du 31 octobre, p. 11).
En fait ces chiffres recouvrent des réalités trÚs
différentes selon les régions et les établissements : 40 % de ceux qui
sont reliĂ©s Ă Signa nâont rien signalĂ© et 8 % des rĂ©pondants ont signalĂ©s
10 incidents ou plus. Ces chiffres sont dâailleurs Ă relativiser car seuls 30 %
des établissements rentrent leurs données systématiquement dans ce logiciel.
Des tendances contradictoires
Depuis le milieu des annĂ©es 90, les relations de lâĂ©cole avec la police et la justice se sont
renforcées : les incitations à apporter une réponse judiciaire rapide aux
actes commis se sont développées dans les établissements scolaires et la police
est aujourdâhui un partenaire reconnu et apprĂ©ciĂ© de lâĂ©cole, plus sans doute
que le secteur de lâĂ©ducation spĂ©cialisĂ©e.
Les noms donnĂ©s aux dĂ©lits eux-mĂȘmes portent Ă
rĂ©flexion : ainsi parle-t-on du racket Ă lâĂ©cole (le vol sous la menace)
alors que ce terme renvoie à des pratiques du banditisme (racket de cafés ou de
restaurants par exemples) et quâil sâapplique Ă lâĂ©cole Ă des vols de goĂ»ter,
de blousons, Ă lâextorsion dâargent, mĂ©langeant les Ăąges et les objets
concernĂ©s, quâil sâagisse de vols Ă©pisodiques ou du harcĂšlement dâun Ă©lĂšve
obligé de verser réguliÚrement de
lâargent Ă des jeunes de son Ăąge. Ainsi dans le guide pratique â approches
partenariales en cas dâinfractions dans un Ă©tablissement scolaire â (B.O.
n° 11, octobre 1988, p. 23), on peut lire que lâextorsion est passible de 7 ans
dâemprisonnement et de 700 000 francs dâamende, portĂ©s Ă 10 ans et 1 000 000 F
lorsque la victime est particuliÚrement vulnérable, peines dont on peut douter
quâelles correspondent Ă des situations rencontrĂ©es dans un contexte
scolaire... De mĂȘme se gĂ©nĂ©ralisent dans les Ă©tablissements scolaires des
punitions appelĂ©es â travaux dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral â, expression
directement reprise du vocabulaire des sanctions pénales.
Le procureur de la RĂ©publique de Valenciennes entre
autres, Jean-Louis Catez a inauguré un
mode de travail particulier :Â les
rapports dâincidents scolaires remontent vers lui et font lâobjet dâune
convocation de lâĂ©lĂšve et de ses parents aux fins de semonce ou de sanction.
Cette â procĂ©dure â dâun genre nouveau se fait avec lâaccord des
chefs dâĂ©tablissements (collĂšges et lycĂ©es). LâEducation nationale dĂ©lĂšgue
ainsi à la Justice le soin de gérer les incidents qui émaillent la vie
quotidienne des Ă©tablissements. Le mĂȘme type de procĂ©dure est dâailleurs mis en
place dans les quartiers dâhabitat social de la ville.
En Seine St-Denis, des pratiques de ce type existent
déjà , illustrant une tendance observée depuis plusieurs années : la
gestion des incidents scolaires sur un mode proche de la gestion de lâordre
public. De lâavis des professionnels de la justice des mineurs, le risque est
grand de qualifier de délinquants des enfants ou adolescents dont les
dĂ©bordements pourraient ĂȘtre traitĂ©s de maniĂšre moins lourde... et plus
pédagogique.
Mais par ailleurs, la circulaire du 13 juillet 2000,
(Bulletin Officiel n° 8) tente
dâĂ©tablir des principes de droit dans les sanctions : interdiction des punitions
collectives, principe de la proportionnalité de la sanction, interdiction de
baisser une note sanctionnant les connaissances en fonction de lâapprĂ©ciation
du comportement de lâĂ©lĂšve... Toutes directives qui tendent Ă rĂ©duire le
sentiment dâinjustice frĂ©quemment observĂ© chez les Ă©lĂšves et Ă fournir un cadre
clair Ă lâensemble des acteurs de la vie scolaire, suivant des principes de
droit souvent ignorĂ©s de ceux-ci. Ils sont donc dotĂ©s aujourdâhui dâoutils qui
permettraient de rĂ©gler Ă lâinterne une grande partie des conflits dans les
Ă©tablissements scolaires...
 Les derniÚres
mesures de prĂ©vention de la violence Ă lâĂ©cole prĂ©sentĂ©es par le gouvernement
actuel reprennent des axes déjà observés sous les gouvernements
précédents : développement des classes-relais et des internats scolaires,
ouverture des établissements scolaires pendant les congés (école ouverte),
encouragement de parcours diversifiĂ©s, mise en place dâun contrat de vie
scolaire, développement des partenariats. Des mesures qui ne présentent pas une
grande originalitĂ© et sâaccompagnent en termes de moyens de... la suppression
de 5600 postes de surveillants, anticipant la refonte de lâensemble des 50 000
postes de surveillants et la suppression annoncée des 20 000 aides-éducateurs,
remplacĂ©s Ă terme par des Ă©tudiants, des jeunes retraitĂ©s ou des â mĂšres
de famille â.
Ces remplacements augurent-ils dâun renforcement de
la judiciarisation des conduites juvĂ©niles Ă lâĂ©cole, par manque de relais et
de médiations entre élÚves et adultes des établissements ? Il faudra dans
lâavenir observer avec attention lâĂ©volution de la situation Ă ce propos.
Maryse Esterle-Hedibel, sociologue
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Le dĂ©lit dââ outrage Ă
enseignant â :
illusion dâaction politique
et doxa sécuritaire
Câest
le 3 août dernier, que la majorité parlementaire (UMP et UDF) votait la loi
dâorientation et de programmation pour la justice prĂ©sentĂ©e par le ministre de la
justice, Dominique Perben. Plusieurs amendements Ă©taient introduits, durcissant
considérablement le dispositif répressif concernant notamment la justice des
mineurs, câest le cas du dĂ©lit âdâoutrage Ă enseignantâ. Avant le vote de cette
loi, il existait une disposition du code pénal (Article 433-5) qui permettait
dâinfliger 7500 euros dâamende, aux individus auteurs de paroles, de gestes, de
menaces, dâĂ©crits ou dâimages, de lâenvoi dâobjets quelconques adressĂ©s Ă une
personne chargĂ©e dâune mission de service public, et de nature Ă porter
atteinte à sa dignité ou au respect de sa fonction.
Avec
les modifications introduites par la loi âPerbenâ, lâoutrage commis en milieu
scolaire, peut donner lieu Ă 6 mois dâemprisonnement et toujours 7500 euros
dâamende. Entre les deux dispositifs, les nouveautĂ©s concernent la possibilitĂ©
dâenvoyer les auteurs de ce type de manquements en prison et les enseignants
deviennent potentiellement, au mĂȘme titre que les magistrats et les policiers,
dĂ©positaires de lâordre public.
Les
principaux syndicats dâenseignants ont rĂ©agi en dĂ©nonçant la âdĂ©magogieâ dâun
tel dispositif. Pour Gérard Aschieri secrétaire général de la FSU, cet
amendement est âau minimum disproportionnĂ© et on pourrait considĂ©rer quâil ne
sâagit que dâun effet dâaffichageâ (AFP). MĂȘme son de cloche Ă LâUNSA Education
oĂč le secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale rappelle quâil âest facile et dĂ©magogique de
prĂ©tendre redĂ©couvrir ce qui existe dĂ©jĂ â (LibĂ©ration du 29 aout). Au-delĂ de
lâapparente cohĂ©sion syndicale qui Ă©merge des communiquĂ©s, ces mesures ont
rĂ©vĂ©lĂ© une rĂ©elle ambiguĂŻtĂ© au sein du corps enseignant, oĂč un tel amendement
nâa pas donnĂ© lieu Ă un vĂ©ritable dĂ©bat de fond (le vote en catimini de cette
loi en plein mois dâaoĂ»t nâa rien arrangĂ©), une partie des professeurs rĂ©servant
un accueil plutĂŽt favorable Ă lâaccentuation du mouvement de judiciarisation de
lâespace scolaire.
Cette
loi sâinscrit pourtant au cĆur du rapport pĂ©dagogique entre Ă©lĂšves et
enseignants, elle renvoie à la problématique de la gestion des conflits et au
âtravailâ de maintien de lâordre scolaire, que cette loi tend Ă confier
davantage au procureur. Le but de cet amendement, loin dâĂȘtre penser afin de
sâattaquer au phĂ©nomĂšne quâelle prĂ©tend vouloir rĂ©duire, est dâaccentuer le
processus de criminalisation des Ă©lĂšves de quartiers âdifficilesâ, tout en
installant lâillusion dâaction politique concrĂšte.
Illusion,
Luc Ferry a décidé de réduire drastiquement les postes de surveillant
dâexternat et les âemplois-jeunesâ, dont le rĂŽle de rĂ©gulation interne et la
place dans les structures scolaires sont reconnus par les enseignants. Le délit
âdâoutrage Ă enseignantâ nâest dans cette perspective quâun maillon de la
chaĂźne idĂ©ologique, qui verrouille lâĂ©volution actuelle de la justice des
mineurs, oĂč la prioritĂ© va au rĂ©pressif plutĂŽt quâĂ lâaction Ă©ducative. La
dynamique actuelle de pénalisation et de stigmatisation des habitants des
milieux populaires, trouve dans cet amendement, son pendant scolaire.
Illusion,
car câest une disposition difficilement applicable. Tout dâabord, pour quâelle
ait un effet rĂ©ellement dissuasif, il faudrait dĂ©jĂ quâelle soit connue des
principaux concernĂ©s, les Ă©lĂšves. Or, comme lâexplique la principale du collĂšge
des Prunais (voir entretien ci-aprĂšs), ni les parents dâĂ©lĂšves, ni leurs
enfants nâont connaissance de cet amendement et de ses consĂ©quences possibles.
De plus, les problĂšmes dâautoritĂ© et dâirrespect que rencontrent les
reprĂ©sentants de lâEtat, quel que soit leur statut public, ne sont pas Ă saisir
uniquement dans lâenceinte scolaire, mais Ă lâĂ©chelle de la sociĂ©tĂ©. La volontĂ©
de créer une spécificité scolaire ne repose sur aucun principe cohérent, car
pourquoi les pompiers ou les chauffeurs de bus nâauraient pas le droit aux
mĂȘmes Ă©gards ?
Lâoutrage
tel quâil est dĂ©fini par lâarticle 433-5 du code pĂ©nal, laisse une place
importante à la subjectivité des acteurs concernés. Ce délit est avant tout le
produit dâune interaction, dont la responsabilitĂ© peut ĂȘtre largement partagĂ©e
entre lâadulte et lâĂ©lĂšve, ce qui rend difficile lâincontestabilitĂ© des faits.
Dans cette perspective, et sans compter sur la solidaritĂ© de âclasseâ (dans les
sens scolaire et sociologique du terme), les conséquences de telles poursuites
pourraient ĂȘtre plus graves que les dĂ©sordres qui en sont Ă lâorigine. Les 7500
euros dâamende quâune condamnation pour dĂ©lit âdâoutrageâ prĂ©voit (câest Ă dire
lâĂ©quivalent des revenus semestriels, aides sociales comprises, dâun grand
nombre de familles en difficultés), auraient pour conséquence de criminaliser
la famille de lâĂ©lĂšve auteur de manquements, accentuant davantage la prĂ©caritĂ©
dans laquelle ils se trouveraient et leur désarroi.
Lâillusion
dâaction politique nâest dâailleurs pas dĂ©menti par les ministres Luc Ferry et
Xavier Darcos. Lâobjectif rĂ©el nâest pas dâenrayer les phĂ©nomĂšnes de violences
verbales et physiques que subissent les enseignants, les coupes budgétaires et
les suppressions de poste annoncées pour 2003 sont là pour le rappeler. Comme
le disait trĂšs justement Xavier Darcos quelques jours aprĂšs le vote de cette
loi, cet amendement a avant tout une âvaleur symboliqueâ. Alors que les budgets
des foyers sociaux éducatifs des collÚges et lycées se réduisent (Libération 22
novembre 2002), le ministĂšre met en avant ses atouts âsymboliquesâ et sa doxa
sĂ©curitaire. Pour Luc Ferry, il âfaut faire confiance au jugeâ afin que la loi
ne donne pas lieu Ă des âdĂ©cisions dĂ©lirantesâ. En effet, il faut espĂ©rer que
les enseignants et les juges seront plus rationnels que les dĂ©putĂ©s dâautant
plus que les gesticulations engendrées par cette loi, ne peuvent dissimuler les
problÚmes de fond qui demeurent et que la disparition programmée du collÚgue
unique ne fera sans doute pas disparaĂźtre du jour au lendemain.
Marwan Mohammed,
sociologue
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Une mesure applicable ? Le point de vue
dâune praticienne
Entretien avec Madame Martine Rozet, principale du collĂšge des
Prunais à Villiers sur Marne, établissement classé R.E.P accueillant 781
Ă©lĂšves.
Claris : Que
pensez-vous des nouvelles dispositions concernant le dĂ©lit âdâoutrage Ă
enseignantâ ?
Martine Rozet :
Câest une mesure rĂ©pressive, qui Ă mon avis ne rĂšgle pas rĂ©ellement le problĂšme.
Dans le cas des outrages Ă enseignant ou Ă chef dâĂ©tablissement, la menace de
sanction nâest pas forcĂ©ment un frein pour lâindividu qui agresse, le problĂšme
ne vient pas de lĂ . Câest souvent, de mon point de vue, des situations trĂšs
marginales qui sont lâaboutissement de quelque chose de beaucoup plus profond,
je me situe dans le traitement de ces problÚmes, davantage du cÎté de la
prévention que de la répression, donc le fait de menacer les gens de peine de
prison, ne va pas régler le problÚme.
Claris : A votre
avis, est-ce que cela répond à une demande des enseignants ?
M. Rozet :
Oui ça je le pense, quelque part ça répond à une demande des enseignants, enfin
câest fait Ă mon avis, pour les rassurer. Câest bien pour ça dâailleurs quâau
niveau des syndicats enseignants, je ne sens pas quâil y ait vraiment eu de
protestation significatives contre cette loi.
Claris : Il y a
eu quelques prises de position publiques des principaux syndicats (excepté le
SNALC) critiquant le caractÚre démagogique de ces mesures.
M. Rozet : Je
pense que quelque soit la position des syndicats, il doit y avoir des
enseignants qui trouvent ça plutĂŽt bien, mais ça ne fait pas dĂ©bat, mĂȘme dans
les syndicats de chef dâĂ©tablissement ça nâa pas donner lieu Ă de rĂ©els dĂ©bats,
alors pourquoi ? Je nâen sais rien, sans doute parce que ça nâapparaĂźt pas si
important que ça, si fondamentale. Cependant, ce nâest pas ça qui va changer
nos pratiques. Câest comme pour la loi dâintrusion dans les Ă©tablissements
scolaires, le nombre de fois oĂč jâaurais pu aller porter plainte... Je ne lâai
jamais fait, jâai pu menacer des gens de le faire mais je ne lâai jamais fait,
parce que le problĂšme se rĂšgle autrement quâen dĂ©posant plainte, la seule
raison qui pourrait me faire dĂ©poser plainte, câest lâagression physique.
Claris :
Maintenant que la loi a Ă©tĂ© votĂ©e, est-ce que vous pensez que lâinformation a
été diffusée aux parents et aux élÚves ?
M. Rozet :
Les Ă©lĂšves non ! Je ne pense pas et je ne suis mĂȘme pas sur que les parents
dâĂ©lĂšves le savent, et puis ce nâest pas moi qui vais aller diffuser
lâinformation, je nâen vois pas lâintĂ©rĂȘt.
Claris : Vous
pensez que des enseignants porteront plainte en sachant que des peines de
prison sont prévues ?
M. Rozet :
Pour des paroles jâen doute, pour des agressions physiques oui ! Câest mon avis
personnel, en tout cas moi je ne le ferais pas. Sauf si ça arrive plusieurs
fois, que ce sont des menaces trĂšs fortes et que ma vie peut ĂȘtre en danger.
Sinon je ne pense pas que cette loi freinerait un enseignant, car lorsquâon
fait cette dĂ©marche câest quâon se sent atteint dans sa propre personne. Donc
je ne pense pas que cette disposition empĂȘchera un enseignant dâaller devant la
justice, et il ne sera pas forcĂ©ment conscient au moment dâaller porter plainte
des implications que cela peut avoir.
Claris : Du point de vue de lâapplication concrĂšte de cet amendement,
la dĂ©finition mĂȘme de lâoutrage est problĂ©matique, lâoutrage est une
interaction entre un enseignant et un Ă©lĂšve et lâorigine de lâincident nâest
pas toujours clairement de la responsabilitĂ© de lâaccusĂ©...
M. Rozet :
Oui en effet, mais aprĂšs câest au tribunal dâĂ©tablir les responsabilitĂ©s, aprĂšs
tout si lâon est obligĂ© dâen arriver lĂ câest quâon a pas rĂ©ussi Ă traiter
lâaffaire en interne en fait cette loi est moins intĂ©ressante pour les Ă©lĂšves
que pour les parents, parce que lâagression verbale ou physique des parents
relĂšve dâun conflit entre adultes. Avec les Ă©lĂšves on est dans un rapport de
prĂ©vention, dâĂ©ducation mais avec les parents je fais clairement une
différence.
Claris : Les
ministres Ferry et Darcos ont exprimĂ© la volontĂ© de rĂ©tablir lâautoritĂ©
publique et celle de lâenseignant par cette loi. Pensez vous quâelle aura un
impact dans ce sens ?
M. Rozet :
Non. je ne pense pas, ça aura peu dâimpact, sur lâadulte peut ĂȘtre mais sur
lâĂ©lĂšve non.