« Couvrez cette q… que
je ne saurais voir »  ?
Donner aux élèves des outils
pour se situer dans le monde constitue un des principaux objectifs de
l’Education Nationale, mais nul ne peut oublier les limites de cette
démarche : même en lycée, beaucoup d’élèves sont mineurs. Bien souvent partagés entre leur désir d’autonomie
et leur besoin de sécurité, ils sont en quête de repères.
 La Loi leur assure une protection qui leur permet de se
construire.
Parfois, pour le système
éducatif, des difficultés nouvelles
apparaissent, difficultés qu’il faut pourtant bien gérer. Exemple : nous
sommes en lycée, et le Centre de Documentation et d’Information est abonné aux Cahiers
du Cinéma. Voici donc un texte qui a pu être mis a la disposition des
élèves des classes de seconde. M. Olivier Joyard en est l’auteur :
( A propos du chapitre trois
du DVD de La Cambrioleuse ). «… Là , sur un canapé spécial duo
d’amour, il y a Ian, Ian Scott. Ce qui fait changer d’avis Clara, c’est la
queue de Ian. Celle-là , on la voit se dresser depuis des années. C’et la plus
massive du X français. Pas la plus longue, à peine la plus grosse. Juste la
plus massive. Puisqu’on n’a pas le droit de vous la montrer, on va vous la
décrire. A peu près. Son point fort, c’est la stabilité. Elle est toujours bien
sur son axe, séparée dans sa longueur par deux blocs de chair exactement
parallèles que chez certains on voit à peine, mais qui, chez Ian occupent tout
l’espace. Quand Clara remonte de bas en haut avec sa bouche, elle laisse une
trace luisante qui fait apparaître magiquement le relief. Rien à voir avec les
veines trop grosses de Roberto Malone. La queue de Ian Scott, c’est presque un
gode : droiture de latex surtravaillé, 0% aspérités, 100% statue grecque (
le classé X en plus). Ce toboggan du plaisir, Clara n’arrive pas à le prendre
entièrement en bouche, et, d’ailleurs, pas grand monde n’y arrive » (
etc.…).
Cet extrait de l’article
consacré au film pornographique La Cambrioleuse, réalisé en 2002 par
Fred Coppula ( ! ), figure dans le numéro hors-série « le guide des 100 plus beaux DVD de
l’année », des Cahiers du Cinéma ( novembre 2002 – page 19 ).
C’est assez violent ( un peu « raide » diront certains… ) mais
ce n’est pas un simple dérapage. Explication.
Si l’on se rĂ©fère Ă
l’ouvrage de M. Michel Ciment et de M. Jacques Zimmer
qui fait référence dans ce domaine, les Cahiers du Cinéma - et Positif
- sont des revues de grande qualité, soucieuses d’appréhender le cinéma en tant
qu’Art. Rappelons simplement que François Truffaut, Jean-Luc Godard, Eric
Rohmer et Serge Daney ont publié critiques et articles théoriques dans Les
Cahiers, revue fondée en 1950.
Aujourd’hui, les certitudes
s’estompent. Paradoxalement, dans ce numéro spécial, La cambrioleuse
bénéficie, de la part de l’actuelle équipe de rédaction, du même traitement que
d’autres réalisateurs, dont la qualité de l’œuvre est, cette fois, unanimement reconnue Jacques Rivette, David Lynch, Charlie
Chaplin, Carl Dreyer… ).
Le Téléthon 2002 passe à l’Orange
La page 11 du
numéro de Décembre 2002 d’ « Okapi » magazine destiné aux
collégiens, ne se différencie en rien des autres pages. Un titre :
« Bouge pour faire reculer la maladie », une indication en haut Ă
gauche de la page « Téléthon 2002 ». Il s’agit de la rubrique
« Tu peux le faire ». En illustration de l’article, un enfant
myopathe ( ? ) souriant, assis dans un fauteuil roulant, regarde le
lecteur.
Le
« message » du journal est classique, s’agissant du téléthon :
« Les 6 et 7 décembre prochains, toi aussi tu peux participer à la grande
fete de la solidarité du Téléthon. Course « stop ou encore », courses
de rollers, ventes de journaux, renseigne-toi, il se passe surement quelque chose
près de chez toi ».
L’article
proprement dit comprend trois paragraphes.
Le premier,
sans titre, rappelle l’enjeu du téléthon : « faire reculer la
maladie »
Le second,
titré : « Tu peux encore participer au challenge « stop ou
encore », invite les collégiens à participer à une course, après avoir
vendu des tickets sur le principe : « chaque ticket vendu 1,50 euro =
1 kilomètre ». Les partenaires de cette opération sont, précise l’article,
l’Association française contre les myopathies, le magazine Okapi et … Orange.
Le troisième
paragraphe est titré : « Dès maintenant et jusqu’à la fin du
téléthon, tu peux suivre l’opération « stop ou encore » sur ton
mobile Orange plug (wap orange plug, rubrique « the journal »).
Et lĂ , avec
Orange, c’est le Bonheur !
Le collégien
trouvera sur ce service « le nombre de kilomètres parcourus dans toute la
France et un Live Chat ( ! ). Nous découvrons également que les 5 collèges
qui auront récolté le plus de dons se verront récompensés d’un article diffusé
sur le web.orange.fr et le wap Orange plug.
Au final, que de bonnes
raisons de donner sa confiance de jeune consommateur à cette société si
solidaire. Ah j’oubliais : le logo de la marque « Orange »
figure en bas, à droite de cette page d’Okapi. Mais quel esprit rétrograde
irait imaginer que cette page, qui fait appel à l’émotion des enfants, n’est
qu’un piège commercial agressif ?
Quand l’Education nationale
ferme la porte d’entrée du collège aux marchands, ils ont toujours la
possibilité de passer par la fenêtre « ouverte sur le monde » du CDI…
Je suggère d’utiliser cette
page d’Okapi pour donner une nouvelle occasion à nos élèves d’exercer leur sens
critique ( pourquoi pas dans le cadre de la prochaine « semaine de la
presse » ?).
GĂ©rard
Hernandez.
Le devoir d’argumentation
( Nouvelle )
par
GĂ©rard HERNANDEZ, Enseignant-Documentaliste
Il Ă©tait ma foi inhabituel
de retrouver ses élèves un mercredi
après-midi, au collège Catherine Sifredi-Breillat de Majolibanlieue, mais les hasards du calendrier avaient voulu
que Louis, professeur de Français et
ses élèves soient à nouveau rassemblés en classe, par cette douce journée printanière.
« Espérons qu’ils
garderont un minimum d’attention », pensa le jeune enseignant, en
terminant de procéder à l’appel des élèves. Solidement charpenté, Louis devait
avoir environ vingt-sept ans. Un sourire fin et agréable illuminait souvent son
visage. Ses cheveux étaient frisés,
presque noirs,
L’année scolaire s’achevait, et c’est non sans une certaine
fierté qu’il écrivit au tableau l’objet de la troisième séance, le devoir
d’argumentation.
Il Ă©prouvait au fond de
lui-même un sentiment d’inquiétude. Certes, les élèves de la classe de 4° G
auxquels il enseignait le Français étaient des latinistes, certes la classe, d’un
bon niveau général, comptait quelques
éléments brillants ( une élève tentait, par passion personnelle, d’apprendre le
japonais ! ), mais cette journée « hors du temps » scolaire
habituel Ă©tait-elle la plus favorable pour capter leur attention et leur faire
découvrir cette manière de penser, forte et structurée, qui allait accompagner
– il ne pouvait en être autrement - les
meilleurs de ses élèves tout au long de leurs études ?
Bien sûr, il savait que les
jeunes qu’il avait en face de lui étaient en pleine construction, en pleine
formation ; leur corps changeait, leur rapport aux réalités du monde était encore bien flou, leur esprit
critique incertain, leurs connaissances parcellaires.
Il se lança dans
l’explication, avec la conviction d’apporter un savoir, un savoir précieux et
rare, véritable élixir de vérité, dont la découverte avait été, pour lui aussi,
sur les bancs de l’école, une sorte de Â
révélation. Le contenu viendrait sans doute … plus tard, au lycée, et ce
serait la « mission » de ses
collègues de Français, puis de Philosophie. Mais la base, la fondation de
l’édifice, c’était à lui de la construire.
 Il aurait pu tout aussi bien être professeur d’EPS, journaliste,
critique littéraire, metteur en scène de théâtre ou conservateur de bibliothèque.
Mais il s’enthousiasmait pour sa
discipline et pensait que l’acte de transmission était crĂ©ateur d’HumanitĂ©.Â
Il citait souvent avec plaisir l’aphorisme de Magritte : « les
chats ont de la veine, l’obscurité ne les empêche pas de lire ». Par
conviction, il avait parfaitement accepté que l’élève soit au centre du système
éducatif. Les disparitions de Pierre Bourdieu et de Francis Lemarque ne lui avaient fait éprouver aucun sentiment
particulier . Il vouait un véritable culte à René Char.
 Louis avait une attirance limitée pour les images ; le cinéma
l’intéressait, plus par curiosité sociale que par goût personnel : en
vérité, c’était une bonne occasion pour retrouver sa bande de copains, le temps
d’une sortie amicale. En dépit de leurs provocations, il appréciait Almodovar et Cronemberg. Il avait été
agrĂ©ablement surpris par le ton deÂ
« Monsieur Batignoles » qu’il avait trouvé particulièrement
juste. Il lisait rarement les critiques. Les noms de Lang, Kurosawa, Wilder,
Grémillon, Feyder, Capra, Murnau, Naruse, Dreyer, Ray, Griffith, Vertov,
Harryhausen, Alekan, Daney, Trauner, Falconetti, Delerue, Ivens, von Stroheim,
Rosi, Losey, Kazan, Poudovkine, Franju, Brooks ( Louise ou Richard )
n’évoquaient rien de précis. Il trouvait les films de Luc Besson populaires et assez distrayants. Il
avait modérément apprécié « Amélie Poulain », film d’auteur certes,
mais trop « franchouillard » à son goût. Il se désintéressait du fait
que le cinéma soit, par ailleurs, une
industrie. Plein de bonne volonté, et soucieux de « jeter des ponts »
avec les centres d’intérêt de ses élèves, il avait mis le cinéma à son
programme. Mais avec des limites bien précises : tout au plus acceptait-il
de travailler avec eux sur un scénario, et si possible une adaptation d’une
Ĺ“uvre littĂ©raire forte, ce qui lui permettaitÂ
de traiter le sujet sans trop s’éloigner des savoirs qu’il maîtrisait
parfaitement..
Il Ă©crivit au tableau le
titre : «Le devoir est organisé selon un plan critique » et
dicta d’une voix ferme la suite de la leçon : « Le plan
permet d’aborder deux aspects opposés d’un thème, de voir les avantages et les
inconvénients d’une situation. Ce plan comprend une introduction, un
développement – divisé en deux parties de trois paragraphes chacune -, une
conclusion qui insiste sur votre opinion personnelle et la met en Ă©vidence. Le
développement contient la thèse et la thèse opposée ».
Tout en poursuivant cette
dictée, il se déplaça parmi les élèves pour vérifier que ses paroles étaient
bien notées. Les collégiens l’avaient écouté attentivement. Louis termina son
cours par un exemple.
Rosa-Olympe, sérieuse sous
sa frange, avait admis elle aussi qu’il
était normal de travailler ce mercredi après-midi car elle avait bien
profité du « Pont de l’Ascension ». Par ailleurs, ce que le professeur évoquait aujourd’hui
depuis le début de l’heure éveillait sa curiosité : souvent, elle avait
éprouvé des difficultés – particulièrement en Français - à classer ses idées, à leur donner une forme
cohérente, logique, plus compréhensible. Et il lui semblait que ce « plan
critique » dont il était question ici allait lui être bien utile.
Rosa-Olympe Ă©tait une
excellente élève, pleine de santé, curieuse de tout; cinéphile à sa
manière, elle n’avait pas manqué « Monstres et compagnie »,
« l’Attaque des clones » et attendait impatiemment la sortie de
«Spider man », dont les effets spéciaux étaient, paraît-il,
extraordinaires. Elle s’intéressait au SIDA et à la nouvelle collection de
maillots de bains de l’été, elle se renseignait auprès de ses copines sur le
piercing, et écoutait « NRJ » pour savoir si elle devait, à quatorze
ans, goûter elle aussi aux plaisirs de la « teuf ». Elle consultait
régulièrement son horoscope, pratiquait volontiers ( en amateur ) la cartomancie et la chiromancie ; elle
se félicitait souvent de ne pas être scolarisée au collège de Leurmochezep,
pourtant distant de moins de cinq cent mètres. Son environnement familial lui permettait de connaître de nouveaux
horizons : ne s’était-elle pas rendue récemment avec son oncle Lionel et
sa tante Sylvianne en Sicile, pour visiterÂ
temples et musées ? Ses
parents, par anti-conformisme, avaient toujours refusé de rencontrer ses
enseignants. Au fond, quelle importance ?
Le professeur dictait
maintenant l’énoncé de l’exercice : « Sujet : Pensez-vous
qu’il soit souhaitable qu’une femme exerce une activité professionnelle ou
estimez-vous qu’elle doive se consacrer uniquement à son foyer ? ».
Rosa-Olympe, parfaitement
rodée par son expérience et par les conseils de son entourage ( son père aussi
enseignait ) aux attentes du système éducatif, divisa sa page de brouillon en
deux parties, l’une consacrée à la thèse – qu’elle titra « la femme doit
exercer une activitĂ© professionnelle », l’autre, plus bas, consacrĂ©e Ă
l’antithèse – qu’elle titra – « pour une femme rester dans son foyer
présente des avantages ».
L’enseignant donna dix
minutes Ă la classe pour noter des arguments pertinents.
Louis avait emporté avec lui
quelques manuels de Français que les éditeurs proposaient pour la prochaine
rentrée scolaire. Surveillant d’un œil ses élèves qui avaient commencé leur
travail, il feuilleta machinalement le manuel « Français 4° en
séquences » des éditions Magnard. Il fut très étonné de découvrir dans la
séquence 2 ( Portraits et caricatures ) un extrait du roman d’Agota Kristof,
« Le grand cahier ». Louis se souvenait parfaitement qu’il y avait de
cela à peine deux ans, un collègue, qui avait fait étudier ce roman à des
élèves de 3° dans un collège d’Abbeville, avait été interpellé par la police,
sur son lieu de travail, accusé de pornographie par quelques parents. L’affaire
avait fait grand bruit. Les plus hautes
instances pédagogiques du Ministère étaient alors intervenues – à juste raison
- pour défendre la liberté des enseignants, et pour rappeler… que ce livre
n’était en aucune façon destiné aux enfants des collèges !
 Louis voulut vérifier les arguments utilisés par les auteurs du
manuel pour justifier leur choix. Il ne
fut pas étonné de découvrir, dans les quelques lignes de présentation de l’extrait,
qu’il s’agissait de « raconter l’apprentissage de la vie et de la
cruauté » subi par deux enfants « dans un pays ravagé par la
guerre ». Les auteurs proposaient aux élèves d’analyser « l’art de
l’écrivain » en « observant la structure syntaxique des phrases, le
type de propositions employées ». Louis fut consterné de lire l’extrait
suivant :
« Grand-mère ne se lave
jamais. Elle s’essuie la bouche avec le coin de son fichu quand elle a mangé ou
quand elle a bu. Elle ne porte pas de culotte. Quand elle a besoin d’uriner,
elle s’arrête où elle se trouve, écarte les jambes et pisse par terre sous ses
jupes. Naturellement, elle ne le fait pas dans la maison ».
Louis, mal à l’aise, ne pouvait admettre que des collègues
aussi prestigieux puissent imaginer ne
serait-ce qu’une seconde, que de telles phrases pouvaient servir à «dénoncer
les horreurs de la guerre »… Par
ailleurs, après les attentats tragiques du 11 Septembre, minutes d’horreur
qu’il avait vécues en direct, fasciné, devant son poste de télévision, Louis
pensait que ce n’était vraiment pas le bon moment pour parler de Paix et pour
diminuer l’effort d’armement.
 Néanmoins, soucieux d’éviter d’inutiles traumatismes à ses
élèves, il décida de faire l’impasse
sur le texte hors normes et potentiellement dévastateur d’Agota Kristof.
Au cours d’une de leurs
traditionnelles parties de tarot qui les réunissaient, lui et ses collègues, il
avait surnommé cette classe la classe « SAMU », tant les
représentants des professions médicales et para-médicales étaient
nombreux : un fils d’infirmière, deux filles de dentistes, une fille
d’anesthésiste, un fils de généraliste, une fille de médecin de l’Education
nationale, et même la fille d’une comptable dans une mutuelle de santé !
Cette situation lui convenait parfaitement, c’était un public idéal qui
l’autorisait à être - parfois - quelque
peu Ă©litiste.
Rosa-Olympe se rappela que, quelques jours auparavant,
son attention avait été attirée par un article du journal local titré :
«l’école est toujours sexiste » : elle avait cru comprendre que des
inégalités existaient dans l’orientation scolaire des filles et des garçons,
mais ce sujet ne l’avait pas passionnée.
Dix minutes passèrent.
Rosa-Olympe nota avec soin les indications fournies par le professeur pour Ă©tayer
la thèse. En ce qui concerne
l’antithèse, le texte donné en guise de correction fut le suivant :
  « - La femme peut se ainsi se consacrer à l’éducation de
ses enfants et les protĂ©ger de la Â
délinquance ou du refus du travail scolaire.
-
elle a plus de temps libre pour se consacrer Ă ses loisirs.
-
Elle peut organiser son emploi du temps Ă sa guise
-
Une femme qui travaille est plus fatiguée car elle doit en outre
s’occuper de sa maison si le couple ne partage pas les taches ménagères
-
La femme n’est pas traitée à l’égard de l’homme dans les
entreprises ; son salaire est souvent moins élevé ».
Rosa-Olympe Ă©tait chaque
fois surprise par la variété et la pertinence des exemples choisis par
l’enseignant. Vraiment, elle considérait qu’elle avait de la chance d’avoir un
professeur qui, contrairement à d’autres, n’hésitait pas à faire entrer le
monde et son vacarme assourdissant dans la salle de classe pour mieux le
dominer, l’expliquer, le donner à comprendre.
La méthode était
efficace : l’exposé de la thèse avait précédé la mise en place de
l’antithèse, mais son attente fut déçue : la sonnerie stridente annonçant
la fin du cours empêcha son professeur de développer ce qui s’annonçait à ses
yeux comme un exploit irréalisable – et qui aurait définitivement démontré ses
qualités pédagogiques uniques – la
fameuse synthèse tant attendue.
Au milieu des cris et des
rires, les Ă©lèves quittèrent la classe.Â
Louis rangea ses cours et ses manuels, contempla un paquet de copies Ă
corriger, et maudit l’Administration qui allait encore l’obliger à participer,
le lendemain soir, à une réunion sur l’orientation de la classe de 3° B, où il
était également professeur. Louis ne comprenait toujours pas en quoi l’avis du
professeur de Français pouvait être plus important, pour orienter les élèves,
que ceux de ses collègues d’EPS ou d’Arts Plastiques …
 En rejoignant la salle des professeurs pour y prendre un café
serré, Louis passa devant la salle de musique, vide à cette heure. En cette
journée particulière de « travail imposé », il ne put s’empêcher de
penser à son amie, sa collègue Monique V. professeur de musique aujourd’hui
retraitée, qui animait d’une main de fer la section syndicale de son
établissement ( c’était elle qui avait l’habitude de dire « J’ai connu
douze ministres de l’Education nationale » pour indiquer non sans humour,
la durée de son parcours professionnel ). Un seul vrai motif de désaccord avait
surgi entre lui, adhérent par raison, et sa collègue, militante par
passion : « la Marseillaise », qu’elle faisait apprendre avec
constance par toutes les classes de sixième, pratique qu’il jugeait – comme les
autres adhĂ©rents de son syndicat -Â
définitivement « réactionnaire ».
Rosa-Olympe, qui
brillait autant dans les disciplines littéraires que dans
les disciplines scientifiques, était heureuse d’avoir M. Germain comme
enseignant ( elle s’était d’ailleurs promis de lui rendre hommage si plus tard
elle parvenait à réussir quelque chose de bien ou d’utile dans sa vie ).
Pour l’instant, elle se
rendait au CDI du collège afin de collecter des documents qui allaient lui
permettre de rédiger l’exposé demandé
en Education civique. Sujet : « les inégalités entre les hommes et
les femmes ».
Elle Ă©prouva soudain un
sentiment de fierté : son frère Jack à Boulogne-sur-Mer, ses cousins
Claude    ( surnommé « le
mammouth » par ses facétieux camarades de laboratoire, Georges et
Pierre-Gilles, en raison de l’extrême épaisseur de ses sourcils ) et Luc (
celui-là même qui affirmait ne jamais vouloir s’engager en politique ) avaient
beau être étudiants, et se plonger
quotidiennement dans des matières passionnantes comme les Arts, la Géologie ou
la Philosophie, ils ne devaient certainement pas savoir structurer leur pensée,
argumenter comme elle avait apprisÂ
maintenant à le faire, puisque ces pauvres garçons n’avaient pas été les
élèves de M. Germain !  Il
semblait évident, pensa-t-elle du haut de ses quatorze ans, qu’en ce début de
XXI° siècle, les filles étaient bel et bien avantagées !
A quelques pas du collège,
sur un transformateur électrique, quelques affiches électorales délavées
commencent à se détacher. On y déchiffre encore un slogan : « la
famille française est le socle de notre société », mais le visage et le
nom du candidat se sont déjà effacés…
Louis Germain, professeur de
Français, quitte maintenant le collège, fatigué, mais heureux du travail
accompli. Il se dirige vers sa voiture, et, comme Ă son habitude, il ignore le
transformateur et les affiches qui le recouvrent.
C’est ainsi, après le
« séisme » du 21 Avril, que  la vie, petit à petit, a repris son cours ordinaire…
F I N
[ P.S : les paroles soulignées ont
vĂ©ritablement Ă©tĂ© prononcĂ©es, en 2002,Â
par un professeur de Français à des élèves de 4°. D’autres éléments de
cette nouvelle s’inspirent également à des faits réels. ]