Un accident et ses suites...
Lundi 18
octobre 2004, 16 heures 40 :
Je roulais tranquillement dans la rue Conrad-Adenauer
à Rosny-sous-Bois, avec la voiture de mon grand frère, une Volkswagen de type
Polo. Je roulais aux environs de soixante km/h, quand je suis monté sur une
chicane placée au milieu de la voie et que je n’avais pas vue. Elle a dû faire
un effet de tremplin et la voiture a dérapé, zigzagué, sur une trentaine de
mètres et est venue s’encastrer dans la clôture en grille d’un collège. Au
point oĂą s’est arrĂŞtĂ©e la course de la voiture, la vitesse Ă©tait bien limitĂ©e Ă
30 km/h, mais la voiture avait commencé à déraper sur cette chicane bien avant,
et je n’avais vu aucun panneau limitant la vitesse avant la chicane.
La voiture
était fortement accidentée, j’ai pu en sortir tout seul, sous le choc. Je me
suis assis sur le trottoir, terrorisé, impressionné en regardant la voiture. Je
pleurais dans les bras d’un homme qui essayait de me consoler. J’avais déjà eu
un accident de scooter à l’âge de 14 ans, et j’avais fait très peur à ma mère,
une femme très sensible et qui m’aime beaucoup. C’est d’ailleurs le premier
réflexe que j’ai eu : appeler ma mère pour la rassurer, lui dire que tout
allait bien, qu’elle ne devait pas s’inquiéter. Il n’y avait aucun blessé, que
des dégâts matériels, à la voiture et à la barrière du collège.
Un quart
d’heure après, j’ai entendu la sirène des pompiers qui arrivaient :
j’étais soulagé, parce que j’avais très froid, j’avais mal au petit doigt de la
main droite et au torse (je crois que c’était dû à la ceinture de sécurité).
Les pompiers m’ont interrogé sur mon état, je leur ai indiqué ces douleurs. Les
policiers sont arrivés ensuite. On m’a fait un test d’alcoolémie, j’ai soufflé,
il n’y avait rien, le test était négatif. D’ailleurs, je ne bois jamais, je ne
fume pas, et en plus ce jour-là je faisais le Ramadan. Les pompiers ne m’ont
pas proposé d’aller à l’hôpital, et les policiers m’ont dit qu’ils allaient
m’emmener au commissariat : ça m’a semblé bizarre ; je pensais plutôt
à attendre une dépanneuse et faire la déclaration à l'assurance ! Mais de
toute façon la voiture n’était assurée qu’au tiers… Un policier a alors fait un
appel à témoins : « Tous les témoins se mettent de ce côté. » J’ai
alors vu trois personnes, dont ce gentil monsieur qui avait essayé de me
consoler. J’en ai entendu un dire que je roulais à 70/80 km/h et mon
consolateur (si je puis dire) le contredire : « Mais non,
voyons ! Il n’était pas à plus de soixante ! » Après avoir répondu
aux questions du policier, il m’a laissé son numéro de téléphone en me disant
d’appeler s’il y avait un problème.
Alors je me
suis senti humilié parce que les policiers m’ont mis les menottes, dans la rue,
devant tout le monde, et j’ai été conduit au commissariat. Il était alors 17
heures. Je pensais que j’allais être auditionné, puis relâché. Mais, une
demi-heure après, un officier m’a appris que j’étais placé en garde à vue. Je
ne comprenais plus : encore en état de choc après cet accident, ce
policier en rajoutait ! J’ai demandé pourquoi cette garde à vue, et il m’a
répondu : « Mise en danger de la vie d’autrui. » Il a pris les
renseignements sur mon identité, et j’ai été obligé de me déshabiller
entièrement pour être fouillé, j’étais sous le choc encore, encore plus
humilié, même si le policier était très correct ; ensuite j’ai été placé
en cellule : il Ă©tait 17h30 environ. Dans la cellule, je ne comprenais pas
ce qu’il m’arrivait, il n’y avait aucun blessé, je trouvais ça bizarre qu’on me
mette en garde Ă vue.
Ă€ 18 heures, on est
venu me chercher, on m’a fait monter à l’étage, pour être auditionné. Ils
étaient cinq dans le bureau. Au moment où je suis entré, l’un d’eux s’est
exclamé : « Alors c’est toi le fameux Schumacher ! » Je ne lui ai pas
répondu. En réponse aux questions j’ai essayé de raconter le plus simplement
possible ce qu’il s’était passé. Mais plusieurs autres réflexions du même genre
que la première m’ont été faites, comme quoi j’allais devoir repasser mon
permis. Ils étaient cinq et une femme policière leur a dit à un moment qu’ils
pouvaient se retirer, mais ils restaient là à rigoler entre eux. Ce qui m’a
vraiment marqué, c’est quand j’ai demandé à manger, ils ont refusé, et un m’a
dit : « On est dans un pays laïc et on s’en fout que tu fasses le
Ramadan ! » J’ai aussi remarqué qu’ils avaient enlevé de la voiture
l’affichette qui était collé sur la vitre arrière et qui indiquait qu’elle
était à vendre, et ils l’avaient gribouillée en changeant le prix indiqué,
8 300 euros, en… 83 euros ! L’affichette était placée sur un mur…
Une fois l’audition terminée, il devait être 19 heures passées, j’ai demandé un
verre d’eau au policier qui me ramenait en cellule, il a accepté et me l’a
apporté.
Ă€ 19h30,
l’avocat qui m’avait été proposé lors de l’audition est arrivé, c’était une
femme, elle se préoccupait juste de savoir si je n'étais pas maltraité, qu’on
ne me frappe pas et qu’on me donne à manger ; elle m’a dit elle-même
qu’elle n’était pas là pour mon affaire, mais quand même, en me voyant, elle a
eu une sorte de pitié et m’a demandé pourquoi j’étais là . Je lui ai raconté les
faits, et je lui ai aussi dit que j’avais des douleurs un peu partout, et que
je n’avais pas mangé, à part le verre d'eau qu’on m’avait donné. L’avocate m’a
dit qu’elle allait s’en occuper et je suis retourné en cellule. Il devait être
20 heures. Mais on ne m’a pas apporté à manger… pourtant j’ai su après que ma
famille avait apporté des sandwiches mais on ne me les a pas donnés.
Vers 22 heures, on est venu me chercher, pour
m’emmener à l’hôpital Jean Verdier à Bondy, pour, m’a-t-on expliqué, faire un
dépistage de cannabis. J’étais menotté à nouveau, ils ont refusé de me donner
ma veste et j’avais très froid, en chemise. Mais à l’hôpital, il n’y avait pas
de médecin disponible pour faire le test. Il a fallu retourner au commissariat,
toujours menotté bien serré… il était maintenant 22h40. Une fois dans la
cellule, je n’arrivais pas Ă dormir. Je suis restĂ© allongĂ© sur le banc, jusqu’Ă
ce qu’un médecin arrive, vers 3 heures du matin. Il a pris ma tension et
quelques renseignements sur ma personne. Je lui ai indiqué les douleurs que
j’avais à cause de l’accident, mais j’avais l'impression qu’il s’en
moquait : il était très tard et il devait sûrement être pressé de rentrer
chez lui… Il m’a donné un étui pour prélever mon urine : je suis donc allé
aux toilettes, mais sans doute à cause de mon état, et le fait que j’étais en
plein jeûne, je n’arrivais pas à uriner. Les policiers pensaient que je ne
voulais pas uriner parce que j’aurais consommé des stupéfiants (« Comme
par hasard ! » a dit l’un d’eux). J’ai eu beau rester une dizaine de
minutes aux toilettes, je n’y arrivais pas, hélas ce n’était pas de la mauvaise
volonté, au contraire, j’aurais pu leur prouver qu’ils se trompaient…
Mardi 19
octobre, 9 heures :
Vers 9 heures,
un policier est venu me chercher en m’expliquant qu’ils allaient me ramener Ă
l’hôpital pour faire le test, et que si je n’arrivais à nouveau pas à uriner,
ils allaient prolonger la garde à vue de 18 heures ! Ils m’ont dit de
boire de l’eau, mais je leur ai répondu que je faisais le Ramadan ! Ils
m’ont menotté, ils ont refusé à nouveau de me donner ma veste et j’avais très
froid. On est donc allé à l’hôpital, le médecin m'a donné un étui et je suis
allé aux toilettes. Je faisais tout ce que je pouvais pour ne pas retourner si
longtemps en garde à vue, mais rien à faire : je n’arrivais pas à faire
pipi ! Heureusement, finalement, au bout de vingt minutes, j’y suis quand
même arrivé… J’ai donc donné l’étui au médecin, qui a déclaré le test négatif.
Et quand je suis sorti du cabinet avec le médecin et qu’il a annoncé le
rĂ©sultat aux policiers, j’ai compris que ceuxÂ-ci avaient fait un pari et que
deux sur trois avaient perdu !
Ensuite on
est retourné au commissariat, il devait être 10 heures ou 10h30. Je suis monté
à l’étage, on m’a pris les empreintes, et je suis retourné en cellule. J’ai
demandé à l’officier qui m’accompagnait si j’allais bientôt sortir et il m’a
répondu : « Normalement, oui… » J’étais très impatient de revoir
ma mère, j’avais hâte d’être de retour dans ma famille !
Ă€ midi, deux
policiers m’ont sorti de la cellule, j’ai eu un moment de joie intense, mais
j’ai entendu alors que j’allais être emmené au « dépôt » et que je
devais être jugé ! Ma joie s’est vite éteinte… Je ne savais pas ce
qu’était le « dépôt », j’ai donc demandé aux policiers de quoi il s’agissait.
Ils m’ont répondu que c’était la suite de la garde à vue en attendant d’être
jugé. Ils m’ont redonné ma veste cette fois et m’ont menotté. Lorsque nous
sommes sortis du commissariat, direction le tribunal, j’ai aperçu mon frère,
qui a 19 ans, et un de mes meilleurs amis : ils Ă©taient venus me chercher
pour m’emmener chez moi ! Mais ils ont appris la nouvelle et mon frère
s’est mis à pleurer. Je n’ai pu lui parler qu’un tout petit moment, je ne
pouvais pas le toucher et le consoler…
Une fois
arrivé au dépôt, j’ai été fouillé entièrement et mis en cellule, il devait être
13 heures. Des surveillants sont venus pour proposer Ă tous ceux qui Ă©taient lĂ
avec moi Ă manger. J’ai refusĂ©, car je voulais avoir la force de continuer Ă
respecter le Ramadan. J’aurais dû me méfier et garder la nourriture pour
l’heure de rupture du jeûne, mais sur le moment je n’y ai pas pensé, j’espérais
encore que j’allais bientôt retrouver ma famille. Je me suis assis sur le banc
et j’ai attendu. À 14 heures, on m’a emmené voir le délégué du procureur, il
m’a rappelé les faits, et je me suis mis à pleurer, je n’en pouvais plus !
Le procureur a essayé de me calmer et m’a dit que tout allait bien se passer, qu’il
ne fallait pas que je me mette dans cet état-là … Je suis retourné en cellule.
Ă€ 15h30
environ, on m’a fait rencontrer un avocat commis d’office. Le scénario était
exactement le même qu’avec le précédent. Je lui ai demandé si je risquais la
prison et il m’a répondu : « Bien sûr que non ! Enlève-toi cette
idée-là de la tête ! » J’ai été vraiment soulagé et je me suis dit
que tout allait être bientôt terminé. J’ai donné tous les renseignements me
concernant à l’avocat : étudiant, sérieux, bac + 2 à la fac de Bobigny,
aucun antécédent judiciaire… Et je suis retourné en cellule, il devait être 16
heures environ.
Malgré ce
qu’avaient dit le délégué du procureur et l’avocat, j’étais très inquiet. Après
une heure et demie de stress et d’angoisses, on m’a fait monter au tribunal,
menotté entre le dépôt et la salle. J’étais très impressionné, c’était la
première fois que je voyais une salle d’audience. J’ai aperçu mon petit frère
et un ami dans le public, je n’arrivais pas à les regarder vraiment… et je me
suis mis à pleurer. Avant que ce soit mon tour, c’était un jeune noir qui était
jugé : il a été condamné à quatre mois de prison ferme pour défaut de
permis de conduire. J’ai vraiment été effrayé par cette sanction. Le juge avait
un air très sévère, il faisait peur rien qu’en le regardant. Mon tour est
arrivé, le juge a rappelé les faits, je paniquais complètement, j’avais très
très peur. Le juge déclara que c’était grave… Je n’ai pas compris ce qu’il
voulait dire : c’est grave d’avoir un accident ? C’est vraiment un
délit ? Le juge déclara alors que le jugement allait être reporté au 2
novembre et qu’en attendant, soit j’allais en maison d’arrêt, soit je sortais
sous contrĂ´le judiciaire. Il a demandĂ© son avis au procureur, qui a demandĂ©, Ă
mon vif soulagement, que je sois placé sous contrôle judiciaire puisque je
n’avais aucun antécédent et que j’étais étudiant. L’avocat a pris la parole et
a déclaré les mêmes choses que le procureur, que j’étais étudiant, que je
n’avais eu affaire à la police ou à la justice, que j’étais sérieux…
Alors le
juge et deux autres personnes qui étaient à ses côtés sont sortis de la salle
par une porte qui était juste derrière eux. Au bout de cinq minutes à peu près,
ils sont revenus et le juge a donné sa décision : 15 jours en maison
d’arrêt en attendant la nouvelle audience. J’ai été foudroyé. J’ai ressenti un
violent sentiment d’injustice et de haine. L’avocat me regardait avec
désolation et il a dit aux policiers qui m’accompagnaient :
« Donnez-lui à manger, regardez-le, il est dans un état ! » Depuis
l’accident, en fait depuis lundi matin, le début du jeûne, je n’avais eu qu’un
verre d'eau… Je ne comprenais plus ce qu’il m’arrivait, on m’a menotté, j’ai
entendu, comme dans un brouillard, les policiers répondre gentiment à l’avocat qu’ils
allaient s’occuper de moi. Un des policiers, très sympa, m’a demandé à quelle
heure était la rupture du jeûne et je lui ai répondu que c’était à 19 heures.
Il m’a promis alors que j’aurais à manger à cette heure-là . Je suis retourné en
cellule, il était 18 heures. J’étais fatigué, dégoûté, triste, et j’avais très
peur parce que j’allais me retrouver en prison, j’étais complètement KO,
j’avais été mis KO en un round !
Ă€ 19 heures,
je m’attendais à avoir à manger, mais la promesse du policier n’a pas été
tenue. J’ai appelé un surveillant pour qu’on me donne à manger comme prévu,
mais rien à faire. Ce n’est qu’à 20 heures enfin, comme pour les autres
détenus qui étaient avec moi, qu’on nous a apporté à manger : j’ai pris un
sandwich au fromage que j’ai avalé très rapidement. Je me suis allongé contre
le mur, et deux heures après, vers 22 heures, les gendarmes sont venus nous
chercher pour nous emmener Ă la maison d'arrĂŞt de FleuryÂ-MĂ©rogis. Les
policiers nous ont fait monter dans le camion des gendarmes, mais avant ils
nous ont fait déshabiller pour vérifier qu’on n’avait rien sur nous. Une fois
dans le camion, j’ai été effrayé par le comportement des autres
prisonniers : certains avaient l’air contents d’aller en prison ! Par
contre, moi, je ne parlais pas, j’étais en état de choc total, je n’arrivais
toujours pas à me rendre compte de ce qui m’arrivait… Nous étions dans des
espèces de grilles par quatre, ils nous avaient enlevé les menottes.
Mercredi 20
octobre, 0 heure et quelques… :
On est arrivé
à Fleury-Mérogis peu après minuit. Nous sommes sortis du camion et on nous a
placés deux par deux dans des cellules, dans un bâtiment appelé D4. Il faisait
très froid dans cette cellule et nous avons attendu là plus d’une heure. Quand
nous sommes sortis de ce frigo, des surveillants, grincheux et méchants (ils ne
nous parlaient pas, ils gueulaient), nous ont pris les empreintes et en photos
pour leur registre. Et nous avons été replacés en cellule, par quatre cette
fois. Au bout d’un quart d’heure, on nous a fait ressortir, pour la fouille, il
a fallu se déshabiller à nouveau complètement. On nous a fait regagner une
autre cellule encore, et au bout de vingt minutes, on nous a emmenés avec un
véhicule, une sorte d’utilitaire, vers un autre bâtiment, dont je ne connais
pas le nom… Nous avons été replacés dans une cellule collective cette fois, des
surveillants sont venus nous distribuer des bons pour des produits qui devaient
nous être apportés le lendemain. Une fois les bons récupérés, ils nous ont fait
sortir en file indienne dans le couloir et nous ont distribué des draps, deux
couvertures chacun et un sandwich. Nous avons ensuite été placés en cellule,
deux par deux. C’est là que nous devions passer le reste de la nuit : il y avait deux lits et un robinet, il était 2
ou 3 heures du matin…
Ă€ 7 heures,
des surveillants sont venus nous réveiller. À 7h30, on est venu nous apporter
le petit-déjeuner, mais je ne l’ai pas pris, car je voulais avoir la force de
continuer le jeûne du Ramadan. Vers 9 heures, on est venu nous chercher,
pour aller voir le chef (je crois que c’était le chef du bâtiment), un par un.
C’était une femme : elle m’a posé quelques questions et m’a indiqué dans
quel bâtiment j’allais être placé. C’était le Dl, et j’allais être avec le même
garçon avec lequel j’avais passé la première nuit, il s’appelait David, il
avait 19 ans et était d'origine antillaise. Une fois l’entretien terminé, nous
avons été ramenés en cellule. On est revenu nous chercher au bout d’un quart
d’heure : un médecin nous a examinés et a pris des radios de nos poumons.
Il était gentil. Et une fois la séance terminée, on nous a fait monter dans un
véhicule pour nous emmener au bâtiment Dl. Là -bas nous avons passé plusieurs
entretiens, avec un psychologue, un médecin à nouveau et une assistante
sociale. Puis on nous a affectés à la cellule où, apparemment, nous devions
rester pour le reste du temps de détention. Il était 13 heures. Nous avions
déjà un peu parlé, David et moi : il était là parce qu’il avait braqué un tabac
et quand je lui ai dit pourquoi j’étais là , il n’y croyait pas ! Dans la
cellule, il y avait deux lits, un poste de télé, des WC et un lavabo. Tout
était très sale, les toilettes étaient à découvert, c’est-à -dire qu’il n’y
avait rien qui les séparaient du reste de la cellule, c’était écœurant. Nous
nous sommes installés. Ensuite nous sommes allés en promenade. Quand j’ai
découvert la cour de promenade, j’ai été choqué par la vue des bâtiments et des
cellules vues de l’extérieur : tout était délabré, les vitres cassées
étaient remplacées par du carton ou des draps ! C'est là que j’ai vraiment
réalisé que j’étais en prison. Franchement, cela faisait peur ! Je me suis
dit qu’il allait falloir que je reste ici quinze jours et que j’allais devoir
être très patient… Nous tournions en rond dans cette cour : les nouveaux
arrivants, comme moi, nous avons été interrogés par ceux qui étaient déjà là ,
tous étaient très calmes et très impressionnés par mon histoire… Vers 16
heures, on m’a emmené pour prendre une douche, nous étions une dizaine, dans
des cabines non fermées. Cette douche m’a fait vraiment beaucoup de bien. Mais
là aussi, j’ai été choqué : tout le local était d’une saleté repoussante…
Durant ces
quinze jours, j’ai eu l'impression de vivre un vrai cauchemar. Ce qui m’a le
plus marqué était le total manque de respect de certains gardiens à l’égard des
détenus. Par contre il y en avait d’autres qui pouvaient être très sympas. Mais
ceux qui manquaient de respect étaient très mal polis, ils insultaient les
prisonniers, sous n’importe quel prétexte, par exemple lorsque quelqu’un
mettait ses mains dans ses poches, ou lorsqu’un autre ne se pressait pas lors
des mouvements pour aller ou revenir de la promenade : « Abruti,
branleur, pédé, travelo… etc. ! » Mais moi je n’ai jamais été
insulté. Sinon, c’était une routine pénible : tous les jours se ressemblaient, réveil le matin, télé
jusqu’à 16 heures, promenade, télé à nouveau jusqu’au soir, sommeil. J’ai
poursuivi le jeûne, je gardais le chocolat en poudre du matin pour le mettre
sur une tartine le soir, la nourriture n’était pas bonne, des choux-fleurs, des
carottes… Dans la cour j’avais retrouvé un très ancien copain, et comme on ne
peut pas cantiner la première semaine, il a trouvé moyen, une fois, de me faire
passer, par une gardienne sympa, un chausson aux pommes. La seule chose qui me
sortait de cette routine Ă©tait les lettres que je recevais de ma famille et de
copains. Je les ai toutes gardées précieusement. Et j’avais de la peine pour
David qui, lui, des quinze jours où j’ai été là , n’a jamais reçu de courrier.
Au bout d’une semaine, on nous a changĂ©s de cellule, nous sommes montĂ©s Ă
l’étage. Les conditions étaient les mêmes. Mais cette deuxième semaine a été
très pénible pour moi, parce que plus le jour du jugement approchait, et plus
je stressais, j’imaginais le pire, j’étais angoissé, même si je savais que ma
famille avait pris un avocat pour moi.
Mardi 2
novembre, 6 heures :
Un
surveillant est venu me réveiller. Cette nuit-là , j’ai très mal dormi. Je
pensais au pire, que j’allais avoir de la prison ferme. Des policiers, des
avocats, le procureur même m’avaient déjà menti ou s’étaient trompés en me
disant que je ne risquais pas la prison, que cela allait bien se passer… Le
surveillant m’a prévenu que le départ pour le tribunal de Bobigny était dans
une demi-heure. Et à 7h30, on m’a emmené dans le même bâtiment que celui de
l’arrivée. J’ai eu droit à deux fouilles : une fois par les surveillants
et une deuxième fois par les gendarmes. J’ai attrapé froid et suis tombé malade
à cause de ces fouilles : il fallait se déshabiller complètement, et il
faisait terriblement froid ! Une fois monté dans le camion des gendarmes,
j’étais un peu soulagé : j’espérais ne jamais revenir ici, jamais, jamais,
jamais…
Après trois
quarts d’heure à peu près de trajet, nous sommes arrivés au tribunal. Là nous
avons à nouveau été fouillés et on nous a placés dans une grande cellule. Nous
étions tous, tous les prévenus, dans la même cellule. Et on a attendu… Vers 13
heures, un policier est venu me chercher pour que je rencontre mon avocat, celui que ma famille avait choisi.
L’entretien a duré un quart d’heure et il m’a promis que j’allais sortir de là .
Il m’a mis en confiance, j’avais confiance en lui. Je suis retourné en cellule,
et les surveillants nous ont apporté à manger : un paquet de chips, deux
biscottes, un morceau de fromage pourri, une tartelette et une petite bouteille
d’eau. Cette fois j’ai pensé à tout garder pour pouvoir plus tard rompre le
jeûne à l’heure. Vers une heure et demie, les surveillants sont venus me
chercher pour être jugé. J’étais complètement stressé, j’invoquais Dieu pour
que je sois libéré et pouvoir revenir parmi les gens que j’aime et qui
m’aiment. Lorsque je suis entré dans la salle d’audience, j’ai vu toute ma
famille et tous mes amis, la salle était pleine, ils étaient tous là ! Dès
que j'ai croisé le regard de mes parents, je n’ai pas pu empêcher mes yeux de
verser des larmes. J’ai pleuré… jusqu’à ce qu’une policière me dise d’arrêter
parce que je faisais ainsi pleurer ma mère ! Elle s’est aussi adressĂ© Ă
moi, en me répétant d’arrêter de pleurer, qu’il fallait être courageux, que
j’allais m’en sortir.
Le juge est
arrivé et l’audience a commencé. Les faits ont été rappelés, le procureur a demandé
quatre mois de prison avec sursis, six mois de retrait de permis de conduire et
400 euros d’amende. Mon avocat a pris la parole pour dire que je n’étais pas un
délinquant, que j’étais une personne sérieuse dans la vie, étudiant en
université, et que je n’avais jamais eu de problèmes avec la justice. Il a dit
aussi qu’il y avait eu une injustice manifeste en m’envoyant en prison, que ma
place n’était pas là -bas et que j’avais déjà assez souffert comme ça. J’ai
ensuite pris la parole pour répéter ce qu’avait dit mon avocat, que je n’étais
pas un délinquant, que ma place était à l’école et non en prison… Enfin le juge
a pris la parole pour annoncer le verdict : j’avais très très peur… Trois
mois de prison avec sursis, six mois de retrait de permis de conduire et 300
euros d’amende, voilà le verdict qui a été prononcé. J’ai ressenti un
soulagement et une joie extraordinaire, un peu tempérée par le fait que j’ai
ensuite appris que j’allais devoir retourner Ă FleuryÂ-MĂ©rogis : mais il
me fallait bien récupérer mes affaires et signer des papiers.
Je suis donc
retourné, menotté à nouveau entre la salle d’audience et le dépôt, dans la
grande cellule d’attente, où il y avait encore tous ceux qui allaient devoir
passer après moi en jugement. Un tunisien, avec lequel j’avais commencé à faire
connaissance, m’a demandé ce que j’avais eu. Je lui ai dit que j’avais eu du
sursis et que j’allais être libéré. Il était très content pour moi et nous
avons continué à faire connaissance. J’ai aussi remarqué un chinois qui avait
un œil très très abîmé : on m’a dit qu’il avait refusé d’embarquer dans un
avion pour être expulsé et qu’il avait été tabassé. J’ai aussi parlé avec un
homme de 35 ans à peu près : c’était un français, qui était là pour délit
de fuite, défaut de permis et ivre au volant. Je lui ai raconté pourquoi moi
j’étais lĂ et ce que j’avais eu, en plus des quinze jours passĂ©s Ă
Fleury-Mérogis, et il s’est fait alors beaucoup de soucis… Mais quand, plus
tard, il est revenu de l’audience, il m’a dit qu’il n’avait rien et sortait ce
soir en même temps que moi. Rien, pas de prison avec sursis, pas d’amende, pour
tout ce qu’il avait fait ! J’ai cru comprendre que s’il n’avait rien eu
c’était parce que les policiers qui l’avaient arrêté l’avaient tabassé et lui avaient
cassé son portable… Et même si j'étais content pour lui qu’il n’ait rien,
j’étais quand même très choqué par rapport à ma situation. Nous sommes restés
là , à attendre, jusqu’à plus de minuit…
Nouvelle
fouille avant de repartir à Fleury-Mérogis, et nouvelle fouille à l’arrivée
là -bas… Tous ceux qui allaient être libérés devaient récupérer leurs vêtements,
on m’a fait signer des papiers, on m’a redonné mon argent et mes deux
chaînettes de cou, ma gourmette et ma montre et on m’a conduit vers la sortie.
Enfin, je suis sorti de ce trou ! ce trou qui ne mène nulle part… Il était
quatre heures du matin et toute ma famille et mes amis m’attendaient !
Chacun à leur tour, ils m'ont pris dans leurs bras... avec une très grande
joie ! J’avais enfin retrouvé mes proches et je me suis juré alors de ne
plus jamais m’en séparer.
Mourad
Ourdi, 20 ans.