Appel à la commémoration du 60e anniversaire du Programme du
Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944
L'Appel
des Résistants
Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre,
Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont,Lise London,
Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey.
Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes
sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des
forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons les jeunes
générations à faire vivre et transmettre l'héritage de la Résistance et ses
idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle.
Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères
et soeurs de la Résistance et des nations unies contre la barbarie fasciste.
Mais cette menace n'a pas totalement disparu et notre colère contre l'injustice
est toujours intacte.
Nous appelons, en conscience, à célébrer l'actualité de la Résistance, non pas
au profit de causes partisanes ou instrumentalisées par un quelconque enjeu de
pouvoir, mais pour proposer aux générations qui nous succéderont d'accomplir
trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme, pour
que la flamme de la Résistance ne s'éteigne jamais :
Nous appelons d'abord les éducateurs, les mouvements sociaux, les collectivités
publiques, les créateurs, les citoyens, les exploités, les humiliés, à célébrer
ensemble l'anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance
(C.N.R.) adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 : Sécurité sociale et
retraites généralisées, contrôle des «féodalités économiques », droit à la
culture et à l'éducation pour tous, presse délivrée de l'argent et de la
corruption, lois sociales ouvrières et agricoles, etc. Comment peut-il manquer
aujourd'hui de l'argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales,
alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la
Libération, période où l'Europe était ruinée ? Les responsables politiques,
économiques,
intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se
laisser impressionner par l'actuelle dictature internationale des marchés
financiers qui menace la paix et la démocratie. Nous appelons ensuite les
mouvements, partis, associations, institutions et syndicats héritiers de la
Résistance à dépasser les enjeux sectoriels, et à se consacrer en priorité aux
causes politiques des injustices et des conflits sociaux, et non plus seulement
à leurs conséquences, à définir ensemble un nouveau « Programme de Résistance »
pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du racisme, de
l'intolérance et de la guerre, qui eux-mêmes se nourrissent des injustices
sociales.
Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et les
grands-parents, les éducateurs, les autorités publiques, à une véritable
insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne
proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le
mépris des plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la
compétition à outrance de tous contre tous.
Nous n'acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par
des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la
Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944.
Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui commence, nous
voulons dire avec notre affection : « Créer, c'est résister. Résister, c'est
créer ».
Signataires :
Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe
Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise
London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey.