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Machiavel, Fatalité ou liberté ?

Fatalité et/ou liberté

 

 

 

FatalitĂ© et/ou libertĂ© ?

 

Je n’ignore pas cette croyance fort rĂ©pandue : les affaires de ce monde sont gouvernĂ©es par la fortune[1] et par Dieu ; les hommes ne peuvent rien y changer, si grande soit leur sagesse ; il n’existe mĂŞme aucune sorte de remède ; par consĂ©quent il est tout Ă  fait inutile de suer sang et eau Ă  vouloir les corriger, et il vaut mieux s’abandonner au sort. Opinion qui a gagnĂ© du poids en notre temps, Ă  cause des grands bouleversements auxquels on assiste chaque jour, et que nul n’aurait jamais pu prĂ©voir. Si bien qu’en y rĂ©flĂ©chissant moi-mĂŞme, il m’arrive parfois de l’accepter.

 

Cependant, comme notre libre arbitre[2] ne peut disparaĂ®tre, j’en viens Ă  croire que la fortune est maĂ®tresse de la moitiĂ© de nos actions, mais qu’elle nous abandonne Ă  peu près l’autre moitiĂ©. Je la vois pareille Ă  une rivière torrentueuse qui, dans sa fureur, inonde les plaines, emporte les arbres et les maisons, arrache la terre d’un cĂ´tĂ©, la dĂ©pose de l’autre ; chacun fuit devant elle ; chacun cède Ă  son assaut, sans pouvoir dresser aucun obstacle. Et bien que sa nature soit telle, il n’empĂŞche que les hommes, une fois le calme revenu, peuvent prendre certaines dispositions, construire des digues et des remparts ; en sorte que la nouvelle crue s’évacuera par un canal ou causera des ravages moindres. Il en est de mĂŞme de la fortune : elle fait la dĂ©monstration de sa puissance lĂ  oĂą aucune vertu[3] ne s’est prĂ©parĂ©e Ă  lui rĂ©sister ; elle tourne ses assauts oĂą elle sait que nul obstacle n’a Ă©tĂ© construit pour lui tenir tĂŞte.

 

Nicolas Machiavel.



[1] La « fortune Â» dĂ©signe ici l’alternance imprĂ©visible de chance et de malchance, ou, pourrait-on dire, le hasard.

[2]  Notre liberté.

[3]  La « vertu Â» dĂ©signe ici un mĂ©lange de courage, d’intelligence et d’esprit d’initiative.


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