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Il s’agit moins d’ Â« avoir prise Â» sur les « causes Â» de la violence – elles nous Ă©chappent â€“ que de vivre l’entre-deux oĂą ces causes sont Ă  l’œuvre. On parle de « formation Â» pour adultes et enseignants, qui les aide Ă  « faire face Â» ; pourquoi pas, si elle les ouvre au problème mĂŞme de leur vie ? (Se former Ă  la vie… Cocasse ? Mais des formations très privĂ©es exploitent ce filon d’or.) Mais ils veulent des recettes pour, justement, Ă©luder ce problème, et faire de leur prĂ©sence une intervention technique. Beaucoup fuient la violence car son Ă©preuve secouerait leur symptĂ´me, leur Ă©quilibre, dont ils refusent de voir qu’il repose sur leur sacrifice. L’exemple de la « prof Â» de philo qui entre en classe dans son lycĂ©e (de banlieue) faire son cours sur l’acte, et qui trouve sa table pleine de crachats – en dit long sur le respect que l’on doit Ă  sa propre prĂ©sence. La dame ravale sa colère, fait son cours, Ă©vitant toute allusion Ă  cet acte aveuglant ; puis elle constate les jours suivants qu’elle dĂ©prime ; elle demande un arrĂŞt, qu’on lui accorde ; et s’aperçoit enfin qu’elle ne peut plus enseigner. Or, elle aimait « la philosophie Â»â€¦ EĂ»t-elle Ă©tĂ© un peu plus « libre Â» de son symptĂ´me, un peu moins phobique, elle aurait affrontĂ© Ă  vif cette masse inerte et violente, faisant de sa « pensĂ©e Â» sur l’acte un acte de pensĂ©e qui les questionne sur leur acte. Après tout elle n’était pas seule : elle avait l’appui de sa matière ; toute une lignĂ©e de gens qui pensent, non comme manieur de concepts ou maniaques de l’idĂ©e pure, mais comme ĂŞtres qui aiment penser et pour qui l’acte donne Ă  penser, une pensĂ©e qui se nourrit d’actes rĂ©els. En l’occurrence, la peur d’affronter l’acte Ă©tait profonde. Cette femme eĂ»t-elle Ă©tĂ© plus ouverte Ă  elle-mĂŞme, Ă  son autre-corps, Ă  la violence de sa vie et de sa pulsion, aurait-elle fait de ce « cours Â» sur l’acte un Ă©vĂ©nement de vĂ©ritĂ© ? Aurait-elle pu ĂŞtre le tĂ©moin pensant de leur façon de vivre un acte ? En tout cas, sa peur ou son symptĂ´me n’ont laissĂ© aucune chance dans le jeu qui s’engageait. Ayant « choisi Â» le refoulement, elle a pris de plein fouet toute la violence qui Ă©tait lĂ , en acte, redoublĂ©e par son silence et par le leur. Cette violence Ă©touffĂ©e l’a annulĂ©e comme enseignante. Quelle « formation Â» prĂ©alable aurait pu l’aider Ă  vivre cette ouverture qui s’imposait ? Y a-t-il un cursus qui fait vivre la diffĂ©rence entre philosopher et penser en acte ? Devait-elle faire une analyse ? Mais il y a des analyses aseptisĂ©es qui ne donnent ni cĹ“ur ni courage Ă  ceux qui l’ont perdu. Il y aurait bien… un certain amour de la loi, de l’être, et de la violence symbolique pour savoir ne pas lâcher quand il faut tenir,  ne pas se lâcher en plein danger (car après, quand on revient vers soi, pour se reprendre, on est en petits morceaux) ; bref, ne pas fuir dans la lâchetĂ© envers soi-mĂŞme. D’aucuns objectent : mais comment voulez-vous penser dans un contexte aussi critique ? Or ce sont les contextes critiques qui nous appellent Ă  penser et qui Ă©veillent la peur ou l’amour de penser. Sans eux, c’est le symptĂ´me, la routine. Après tout, ces jeunes ont pu faire l’acte de casser une rĂ©pĂ©tition, mettant cette femme au dĂ©fi d’accorder parole et acte, si pour une fois elle fait de sa parole un acte. Si enfin il se passe quelque chose.

 

Daniel Sibony,  Violence.

 

 


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