Je ne sais pas
comment commencer cette petite histoire, si je peux dire…
Je suis élève
dans ce lycée, Maurice Utrillo à Stains. Je suis congolaise, donc africaine.
Cela fait dix ans maintenant que je vis en France. Lorsque je vivais dans mon pays,
à ma connaissance, tout semblait bien se dérouler : la vie me paraissait
normale, sans problèmes. Je me souviens : j’allais à l’école tous les
jours, je jouais avec mes camarades après les cours, je faisais beaucoup de
choses, je courais partout, je grimpais aux arbres… J’habitais à Makelekelé, un
quartier de Brazzaville. Puis quelques années ont passé et je suis venue vivre
à Paris avec mes parents. La vie à Paris aussi était bien, mais les activités
n’étaient pas les mêmes. On restait souvent dans l’appartement, et puis il y
avait l’hiver, que je n’avais encore jamais connu. En tout cas, je me suis bien
intégrée et j’en suis contente.
En 1994, il y
a eu des problèmes graves au Congo. Deux partis politiques se sont affrontés,
et dans les rues de Bacongo les factions rivales se battaient et
s’entre-tuaient. Puis, en 1997, l’ex-président Sassou a voulu reprendre le
pouvoir par la force. Alors tous les groupes ethniques se sont affrontés une
fois de plus, il y a eu beaucoup de morts. Finalement, Sassou a réussi à
reprendre le pouvoir et il est toujours là…
Ce que je ne
comprends pas, c’est que l’Afrique est pauvre, mais les armes entrent dans tous
les pays, alors que la population meurt de faim ou faute de médicaments. Tout
le monde se bat, pille, casse et détruit tout. Dans mon pays, même l’hôpital de
Makelekelé a été pillé et détruit en partie. Un obus était tombé dessus et la
panique a été totale. Des enfants sont morts, des proches, des milliers de
personnes… Je me souviens d’avoir une fois entendu au journal de 13 heures des
partisans de Sassou dire qu’ils avaient le soutien de Chirac.
Ma famille est
en grande partie là-bas. Je n’ai aucune nouvelle d’eux. La maison a été pillée,
il n’y a plus personne. La télévision parle peu de ces événements. À en croire
ce qu’on dit du Congo le pays entier est retombé dans la misère. L’été dernier,
je devais y retourner pour les vacances pour la première fois depuis dix ans,
mais les hommes en ont décidé autrement.
Moi je mange
bien ici, le soir de Noël et le 31 décembre, nous avons fait la fête. Mais ceux
de ma famille là-bas, où étaient-ils ? Qu’ont-ils fait ? Ont-ils de
quoi manger ? Je ne sais pas. À l’heure où j’écris ceci, j’ai entendu
parler encore de beaucoup d’atrocités, des cadavres jonchent le sol de Bacongo,
des enfants ont été tués par balles, un couple a été tué sous les yeux de leurs
enfants. C’est atroce.
Quand on
parlait à la télévision du Rwanda ou de la Yougoslavie, je n’y attachais pas
autant d’importance. Mais maintenant que cela me touche, moi et mes proches, je
trouve ça horrible.
Mais j’essaie
de ne pas trop y penser, il n’y a que cela à faire. J’imagine que mes proches
marchent, essayant de fuir les combats… Tout ça pour une histoire de pétrole et
de pouvoir. Le Congo de maintenant et celui d’avant ne sont pas les mêmes. Les
gens n’ont plus d’argent, on leur a volé tous leurs biens, ils ne peuvent même
pas recommencer à zéro. Je n’ai plus de pays ! Je ne peux pas supporter de
voir des gens malheureux…
En attendant,
toutes les veillées, nous prions Dieu.
Il y en a trop
dans ma tête, je ne peux pas tout sortir, cela serait trop long et horrible en
même temps.
Guilène,
terminale STT, 19 mars 1999.