Bien entendu, le grand secret du régime monarchique et son intérêt vital consistent à tromper les hommes, en travestissant du nom de religion la crainte, dont on veut les tenir en bride ; de sorte qu’ils combattent pour leur servitude, comme s’il s’agissait de leur salut, et pensent non s’avilir, mais s’honorer au plus haut point lorsqu’ils répandent leur sang et sacrifient leur vie, pour appuyer les bravades d’un seul individu. En revanche, on ne saurait imaginer ni entreprendre rien, qui soit plus désastreux dans une libre République ; car la liberté générale, de toute évidence, n’admet point que le jugement individuel soit assiégé de préjugés, ni soumis à une contrainte quelconque. Quant aux séditions excitées sous prétexte de religion, elles ne surgissent qu’avec l’établissement de lois concernant des questions spéculatives. Certaines croyances sont alors déclarées criminelles, c’est-à-dire punissables ; en réalité, les champions et partisans de ces croyances sont immolés non au salut de la collectivité, mais à la haine et à la cruauté de leurs adversaires. Si la législation politique décrétait que seuls les actes peuvent être poursuivis, sans que les paroles soient jamais sujettes à sanction*, les troubles intérieurs ne se pareraient plus d’une apparence de droit et les controverses ne se transformeraient plus en séditions. Or, puisque le rare privilège nous est échu en partage de vivre dans une République, où chacun exerce librement son jugement et honore Dieu comme il lui semble bon, où la liberté est chérie comme le plus précieux et le plus doux des biens, j’ai cru ne pas accomplir un acte inopportun, ni inutile, en formulant ce qui suit : non seulement cette liberté ne menace aucune ferveur véritable, ni la paix au sein de la communauté publique, mais sa suppression, au contraire, entraînerait la ruine et de la paix et de toute ferveur.

 

Baruch Spinoza.

 

 

 

 

 

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* C’est Spinoza qui souligne.